Créatures

« Quand Charlotte ne grommelle pas, elle se tait et son silence est puissant. Sa tête est un palace. »

L’eau a envahi la ville. Elle s’infiltre partout, jusqu’à la scène du théâtre où flotte une structure précaire sur laquelle onze filles et femmes, âgées de 5 à 70 ans, choisissent de se réfugier. Secousses, pannes d’électricité, petits et grands effondrements filent la trame d’une cohabitation cernée par la catastrophe. Pourtant, entre sororité et dissidence, le jeu s’invite. Au gré de métamorphoses tantôt inquiétantes, tantôt réjouissantes, l’imaginaire de chacune fait dériver l’absence d’horizons. L’eau monte et avec elle s’élargit le champ des possibles comme autant de grimaces à la menace qui gronde.

Il est de ces créatrices qui, depuis longtemps, avancent tête baissée en frayant le chemin. Anne-Marie Ouellet semble avoir échappé aux radars des institutions. Pourtant, avec ses acolytes de la compagnie L’eau du bain — Nancy Bussières et Thomas Sinou —, elle a développé une maîtrise déconcertante et unique des codes de la représentation, entre théâtralité et performance. Professeure de théâtre à l’Université d’Ottawa, chercheure-créateure, Anne-Marie se spécialise dans la mise en scène de non-acteurs au sein de créations contemporaines avant-gardistes. C’est pourquoi ESPACE GO est fier d’accueillir CRÉATURES, une œuvre qui s’inspire de l’univers de Tove Jansson, autrice, peintre, illustratrice, dessinatrice féministe finlandaise qui déploie des mondes dans lesquels l’imaginaire est roi. Tove Jansson est connue dans le monde entier pour ses célèbres Moomins. Ses livres pour enfants, dépeignent des univers inquiétants, peuplés de créatures de tous acabits, sur lesquels une menace gronde. Ses livres pour adultes sont aussi portés par un imaginaire foisonnant et traversés par le souffle de l’enfance et de l’irrévérence. Chez Jansson, il n’y a pas de frontière claire entre l’enfance et l’âge adulte, et c’est ce qui fascine Anne-Marie Ouellet et ses compagnons qui souhaitent qui souhaite creuser et prolonger cette perspective sur le plateau.

Avec cette nouvelle création, la compagnie L’eau du bain poursuit sa quête d’une forme théâtrale qui repose sur un langage artistique métissé combinant théâtre, performance et installation sonore. En pratiquant un théâtre qui interroge son identité et chevauche d’autres disciplines, la compagnie veut exploiter au maximum l’aspect vivant de cet art, son immédiateté. Des outils novateurs sont conçus pour permettre aux artistes en scène de construire concrètement le spectacle sous l’œil du public et avec lui. À chaque création, de nouvelles règles de jeu sont définies et de nouvelles machines sont inventées pour rendre possible cette interaction entre l’espace, les environnements sonore et lumineux, les artistes, le texte, le public et les éléments du réel.

Fondée par Nancy Bussières, Anne-Marie Ouellet et Thomas Sinou, L’eau du bain a été a créé sept œuvres théâtrales et installatives déployant des dispositifs scéniques originaux. Ses remarquables LA CHAMBRE DES ENFANTS, qui rassemble sept enfants dans une chambre habitée et transformée par leurs rêves, et WHITE OUT, où une immense tempête de neige et de brouillard envahit la scène, illustrent l’exigence, la beauté et l’inventivité de sa démarche. En 2024, la pièce DE GLACE s’est jouée au Centre National des Arts (CNA), IMPATIENCE a été présentée à l’Usine C, au Festival Les Coups de théâtre, à Mons 2015 Capitale européenne de la culture, ainsi qu’au Théâtre français du CNA et au Théâtre français de Toronto. Le spectacle NOUS VOILÀ RENDUS s’est tenu au Carrefour international de théâtre de Québec et à l’Usine C. L’eau du bain a comme code de conduite de ne jamais sous- estimer le public, d’éviter d’imposer une vision unique et de laisser le sens émerger par lui-même.