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Créatures : Mot de la directrice artistique

J’avais surtout entendu parler des « shows de boucane » d’Anne-Marie Ouellet – White Out, programmé au FTA, ou encore La chambre des enfants, que j’ai vu plus tard. J’aimais déjà l’idée de ces univers radicaux et atmosphériques.
 
J’ai pris un café avec Anne-Marie. Le projet dont elle me parlait était autre. Il s’agissait de filles et de femmes, sœurs d’abri, qui se tiennent au cœur de catastrophes inconnues. Il n’y aurait pas toute cette fumée, mais peut-être de l’eau.
 
J’avais entendu parler, aussi, du travail d’Anne-Marie avec les non-acteurs, de la fascinante qualité de présence qu’elle parvenait à générer. Je comprenais que j’étais face à une artiste unique, mais en réalité, je ne savais pas, sur scène, à quoi m’attendre.
 
Je suis donc allée assister à une sortie de résidence. Les performeuses et les concepteur·ices abordaient tout juste le travail, avaient cocréé une première ébauche au cours des deux semaines précédentes. Je me suis assise dans le studio avec indulgence, dans l’espoir de saisir l’essence, malgré le fait que j’assisterais probablement à une simple esquisse.
 
Et je suis disparue. Pendant une heure peut-être, j’ai été happée. J’étais suspendue aux gestes concrets, à la multitude des petites et grandes choses, à la vérité de l’immédiat renouvelée mouvement après mouvement.
 
Je suis disparue, hypnotisée par les jeux inventés qui tissaient une toile – on aurait dit indestructible – entre les onze filles et femmes. Je connaissais l’intention d’explorer la sororité et j’avais craint un excès de douceur, une représentation unidimensionnelle de la féminité. Et voilà que s’élaboraient devant moi des liens merveilleusement complexes, attentionnés et baveux. L’univers qui se déployait était aimant, oui, mais aussi brut et inquiétant. Ces femmes pouvaient tout, du plus salvateur au plus dangereux; elles s’emparaient de toutes leurs dimensions, enfants et monstres.
 
Je suis disparue, aussi, entre deux états émotifs, ne comprenant pas dans quelle fissure j’étais tombée. Était-ce la nostalgie de l’enfance, le présent criant de l’œuvre qui se créait devant mes yeux, ou l’espoir que l’après-humanité-telle-qu’on-la-connaît réserve des lueurs de joie à celles et ceux qui sauront s’unir? Je ne savais pas. Mais je pleurais et je riais, en même temps. Ou peut-être était-ce autre chose. Peut-être étais-je secouée de me reconnaître, de me sentir liée. Ou peut-être était-ce cette liberté d’être absolue qui semblait circuler entre les performeuses que je ressentais de façon électrique.
 
En revenant du laboratoire, je n’ai pas su pas raconter le spectacle. Le récit ne s’écrivait pas dans une narrativité connue, il était plus mystérieux, plus trouble et plus ouvert. Ma seule certitude était mon désir d’y retourner.
 
Encore aujourd’hui, je ne sais pas parler de Créatures. Mais je sais qu’il réveille chez moi des savoirs humains ancestraux et qu’il me donne envie d’un futur où construire des mondes alternatifs, où inventer de nouvelles formes de relations, des maisons qui nous tiennent serré·es au cœur des eaux, des forêts enflammées et des tempêtes de l’homme.
 
 
Édith Patenaude
Directrice artistique et codirectrice générale