Billetterie

Sources d’inspiration

Toujours, nous créons nos spectacles à partir du plateau afin qu’ils se composent à partir d’un tissage fin des différents langages: lumière, son, jeu, texte… Cela demande de longs temps de résidence avec toute l’équipe et l’équipement scénique. C’est ce qui permet une véritable et profonde collaboration entre les artistes et leur médiums. Nous ne partons pas d’un texte théâtral mais de matériaux d’inspiration. Par exemple, pour White Out, il y avait la lumière diffuse de l’artiste James Turrel, le roman La maladie de la mort de Marguerite Duras et le vide lumineux qui nous obsède et traverse les démarches de ces deux artistes. Pour Créatures, il y a d’abord le fort désir de poursuivre la collaboration avec les jeunes performeuses de White Out et La chambre des enfants et l’univers de l’autrice et dessinatrice finlandaise Tove Jansson. La fumée, très présente dans nos précédentes créations par sa capacité à diffuser la lumière, embrumer les personnages et envelopper les spectateur·rices, est maintenant remplacée par un autre élément: l’eau, matière plastique et poétique, qui vient transformer le jeu, la lumière et le son.

 

CES PERFORMEUSES-LÀ

 

Âgées de 13 ans maintenant, LiCan, Camille et Jeanne travaillent avec nous depuis 5 ans. Elles ont déjà une démarche artistique et une personnalité scénique affirmée. Elles sont passées de l’enfance à l’adolescence au fil de nos résidences. La démarche de L’eau du bain, elles l’ont dans le corps et elles la prolongent à leur façon. Cela nous stimule énormément et nous avons eu envie d’aller plus loin avec elles, de les suivre un peu sur leurs propres territoires. Pour ce nouveau projet, elles ont émis le souhait de jouer de la musique. Nous avons donc invité Jasmine, une de leur amie, qui joue de la batterie, à se joindre à elles. Elles forment donc un band plus ou moins expérimenté, portant des uniformes de fanfare, comme si elles s’étaient échappées du local de musique d’un pensionnat en volant les instruments, les amplis et un micro.

 

Rasili et Nadia viennent respectivement du buto et de la performance, elles ont un sens de la scène et de l’action décalé par rapport aux attentes théâtrales. Cela produit certains chocs avec ce que peut proposer Marie-Ève, comédienne et improvisatrice d’expérience. Or, ces chocs, au lieu d’être maladroits, viennent ouvrir des brèches de sens et multiplier les couches de lecture. Marie-Ève a le don de suivre tout ce qui se passe sur le plateau, de récupérer ce qui dérape et de soutenir les autres dans ce qu’elles proposent. Charlotte et Sophie ont terminé leur bac en jeu à l’Université d’Ottawa au printemps 2023. Dès leur entrée au département, elles se sont fait remarquer pour leur créativité et leur signature très personnelle. En plus d’être comédiennes, elles font des costumes, de la danse, de la conception sonore… Pour ce projet, nous avons été mues par la volonté de rassembler une équipe d’artistes, plus qu’une équipe de filles et de femmes.

 

 

TOVE JANSSON

 

Auteure, peintre, illustratrice, féministe, connue dans le monde entier pour ses célèbres Moomins et son roman Le livre d’un été, Tove Jansson (1914-2001) est à l’origine d’une œuvre littéraire exceptionnelle. Autrice queer avant l’heure, c’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’elle commence à écrire. Dans un présent accablant, elle réenchante le réel sans jamais en gommer la complexité. Ses livres pour enfants dépeignent des mondes inquiétants peuplés de créatures de tous acabits et sur lesquels une menace gronde.

 

Dans La comète arrive, un rat musqué nihiliste prophétise la fin du monde et, le lendemain, la vallée est couverte d’une poussière grise et la mer commence à se vider. Dans L’été dramatique de Moomin, une de nos principales inspirations, un tsunami envahit la vallée. La famille quitte alors la maison et trouve un bâtiment étrange, un théâtre flottant. Dans plusieurs des récits moominesques, les personnages doivent fuir leur lieu de vie. Maman Moomin accueille tout le monde, peu importe son espèce, créant des communautés de fortune bigarrées. Les mondes dépeints par Jansson sont tragiques et magnifiques.

 

 

Ses livres pour adultes sont aussi portés par un imaginaire foisonnant et traversés par le souffle de l’enfance et de l’irrévérence. Chez Jansson, il n’y a pas de frontière claire entre l’enfance et l’âge adulte et c’est ce qui nous fascine et que nous souhaitons creuser et prolonger sur le plateau. En ce sens, nous prévoyons que Créatures: La grande flottaison puisse s’adresser au tout public à partir de 10 ans et l’imaginaire de Tove Jansson nous semble le tremplin idéal pour une création performative à la fois débridée et profonde. Un spectacle qui pourra perturber, faire rire, réfléchir et surtout rêver des spectateur·rices de tous âges.

 

Au-delà de la collaboration entre les onze artistes filles et femmes qui soutiennent le spectacle et son écriture, nous nous inspirons de nombres de féministes qui choisissent de “fabriquer de l’espoir au bord du gouffre”, selon la très belle formule d’Isabelle Stengers. Autrement dit, il s’agit, avec cette création, d’offrir autre chose que la collapsologie comme seul point de fuite aux crises profondes qui traversent le présent. Nous souhaitons ainsi réaffirmer la puissance de l’imagination et de la dissidence pour tenter d’ouvrir des territoires d’espérance où se nouent, en commun, la conviction qu’existent encore des futurs désirables.

 

Photo : La comète arrive (Tove Jansson)

 

 

L’EAU

 

Matière pour pêcher, réfléchir, inonder, voguer… Tantôt douce, berçante et maternelle, tantôt sombre, violente et menaçante, l’eau est l’élément ambiguë par excellence. En mouvement perpétuel, l’eau est aussi une archive planétaire de sens et de matière. Entre ce qui flotte et ce qui coule, l’eau garde trace et fait remonter des vestiges d’un temps proche et lointain.

 

D’emblée la situation est trouble, les spectateur·rices pénètrent dans le théâtre et la scène est inondée. Un échafaudage aux allures d’habitats temporaires trempe dans l’eau. Le plafond coule, on entend les gouttes résonner dans des seaux de métal. Cette eau n’augure rien de bon. Or, dans l’esprit de Tove Jansson qui transforme les catastrophes en aventures, l’inondation du théâtre devient propice à de multiples jeux et permet de réenchanter l’espace théâtral. Des objets sont repêchés de l’eau, des vestiges de la vie inondée, mais aussi de drôles d’algues démesurées. On accroche ces objets afin qu’ils sèchent. Ils habillent la structure et le son des gouttes qui s’écoulent participent de l’environnement sonore créant un lien très concret entre le public et la scène. L’eau est réelle. Qui ne s’est pas déjà senti paniqué en entendant son plafond goutter? De la même manière, quand l’eau pour le thé de Rasili atteint 100 degrés et que la bouilloire crie, un sentiment de quotidienneté se dégage de la scène. Ces petites percées de réel viennent à chaque fois rassembler performeuses et spectateur·rices dans un temps commun et concret, quoique étrange et flottant.

 

Dans L’eau et les rêves: essai sur l’imagination de la matière, Gaston Bachelard déploie une riche et complexe poétique de l’eau. Il loue la profondeur et la noirceur de l’eau, sa puissance complexe, son mystère. La philosophie de Bachelard se distingue par le fait qu’elle pense et parle à partir de la matière. Dans cette veine, les matériaux que nous choisissons pour nos créations deviennent des éléments à la fois plastiques, esthétiques mais aussi performatifs et poétiques. Sur quelles pistes de création l’eau peut-elle nous faire dériver?

 

Photo : Makoko Floating School, Lunlé Adeyemi

 

 

L’EAU, CANEVAS DE LUMIÈRE

 

Dans la lignée des artistes James Turrell et Olafur Eliasson, nous travaillons sur l’aspect perceptuel de la lumière. L’originalité de nos dispositifs lumière tient également à ce qu’ils ont pour composante un médium non-artistique. Ces médiums, fougueux et sauvages, envahissent scène et salle dans leur interaction avec la lumière, et génèrent des sensations uniques, toutes organiques. Par leur nature à la fois brute et soignée, elles favorisent la vitalité de l’œuvre et, comme l’observe Eliasson, l’engagement des spectateur·rices. Si White Out, La chambre des enfants et De Glace utilisent la fumée pour explorer la lumière diffuse et son impact sur la perception, ici, un médium encore plus poétique guidera nos recherches lumineuses : l’eau.

 

Cette recherche s’inspire, entre autres, des travaux d’Eliasson, mettant de l’avant la relation entre la lumière et différentes textures d’eau, Nous explorerons l’eau stagnante, en mouvement, en vagues, en vapeur, en jets, en bruine; nous y induirons des ondes créant divers motifs sur lesquels la lumière se réfléchira. Interdépendants, l’eau et la lumière se magnifieront mutuellement.

 

Ainsi l’eau sera le canevas pour irradier la lumière. Toute la lumière passera par le filtre de l’eau, qu’elle soit réfléchie, diffractée, réfractée ou autre, donnant l’impression de n’avoir d’autre source qu’elle, se mouvant avec elle, et donnant naissance à des phénomènes d’une beauté saisissante et contemplative.

 

Photo : Notion, Olafur Eliasson

 

 

L’EAU ET LES ONDES SONORES

 

Les vagues se propagent dans l’eau de la même manière que les ondes sonores dans l’air. Il est donc possible de créer une représentation tangible du son en créant des vibrations sous-marines. Nous travaillons depuis plusieurs spectacles à développer des outils qui permettent de créer une relation étroite entre l’éclairage, le son et les interprètes. Avec Créatures, nous allons approfondir cette recherche en essayant de rendre encore plus explicite ces rapports. Les interprètes pourront créer des sons qui influeront sur les mouvements de l’eau qui sera éclairée puis réfléchie dans l’espace scénique. Dans la quête continue d’aller capter des sons inouïs, le concepteur Thomas Sinou s’était munis d’hydrophones pour faire des captations sous-marines. Les performeuses pourront utiliser ces appareils pour contribuer à l’environnement sonore.

 

Photo : Ondulation, Thomas McIntosh

 

 

Waterfall d’Olafur Eliasson