Billetterie

Créatures : Mot de la metteuse en scène

Dimanche, 23 février 2025
 
Chères spectateur·rices,
 
Je vous écris alors que nous sommes à dix jours de la première. Il est 6 h 27 et je suis levée depuis deux heures déjà. J’ai fait le ménage des notes prises hier en répétition, préparé celles d’aujourd’hui et fait cuire les œufs pour le lunch de la smala. Je suis prête à me rendre au théâtre, mais les autres dorment encore et je vais les laisser tranquilles, encore un peu.
 
C’est le moment du processus où je n’ai aucun recul. Le nez dans le guidon, la broue dans le toupet. Et cette phrase tourne en boucle dans ma tête : « Je ne comprends plus rien. » Je pense au spectacle. Je ne comprends plus rien. Je lis le journal. Je ne comprends plus rien. Je me promène dans la ville qui se fragilise à vitesse grand V. Je ne comprends plus rien.
 
Je ne comprends plus rien, mais j’avance. NOUS avançons, toutes, ensemble. En se tirant parfois par la main, par le bras, ou en se bottant les fesses, les unes les autres. Nous sommes 21, les pieds dans l’eau trouble et les manches retroussées.
 
Et, puisque, celles et ceux qui comprennent, qui savent dire le « gros bon sens » nous font peur, apprivoiser la déraison est peut-être notre voie de sortie. S’enfoncer plus profondément dans le non-savoir et l’amour de la l’étrangeté pour voir ce qui y pousse encore.
 
Attraper l’imaginaire, comme une bouée.
 
Sur deux ans, nous avons voulu expérimenter la puissance de la sororité, sa complexité aussi. L’artiste et autrice Tove Jansson nous a guidé·es, sourire en coin, avec sa lampe-tempête vers l’envers de l’évidence. Dans La fille du sculpteur elle écrit : « Elles savaient le danger qui rôdait partout, mais rien ne pouvait les sauver tant qu’elles n’avaient pas été sculptées dans le marbre et placées dans un musée. Là, on est en sécurité. Dans un musée, dans les bras ou dans un arbre. »
 
Quand vous lirez ces mots, nous serons prêtes à ouvrir les portes de la maison précaire que nous avons construite. J’ai le souhait que vous vous y sentiez à la fois perdu·es et chaleureusement accueilli·es.
 
 
Anne-Marie Ouellet
(traversée par Émilie, Nancy, Thomas, Camille, Charlie Loup, Claire, Rasili, Jane, Nadia, Marie-Ève, Mégane, Lauriane, LiCan, Charlotte, Jeanne, Sophie, Karine, Jasmine, Marie-Audrey et Inès)
 
P.S. J’ai privilégié le genre féminin en parlant de l’équipe, car nous sommes 19 à nous identifier à ce genre, alors qu’ils sont deux à porter le pronom « il ». Leur présence à ces deux-là est néanmoins cruciale et tout aussi tendre.