Billetterie

Blue Heart

21 novembre au 16 décembre
2006

ESPACE GO présente BLUE HEART, la suite d’un cycle Caryl Churchill amorcé en avril 2005 avec TOP GIRLS. Le temps passé à fréquenter l’œuvre prolifique de cette dramaturge britannique — que l’on compare souvent à Pinter, Sarraute ou Bond — n’a fait qu’intensifier la ferveur de la directrice artistique, Ginette Noiseux, et de la metteure en scène, Martine Beaulne. Plus que jamais, elles ont à cœur de mieux faire connaître cette auteure du public à Montréal — elle dont on crée régulièrement les œuvres sur la scène internationale. BLUE HEART se compose de DÉSIR DU COEUR et de CAFETIÈRE BLEUE; deux pièces, cercles qui s’entrecroisent, battements de cœur qui se font écho.
 
 

Partie 1 : DÉSIR DU COEUR

 
Brian : Elle ne rentrera plus jamais d’Australie.
Alice : Qu’est-ce que tu veux dire? Bien sûr qu’elle rentrera à nouveau.
Brian : Dans l’éventualité où elle repartirait bien sûr qu’elle rentrerait à nouveau mais elle ne rentrera jamais à nouveau pour la première fois.
Maisie : C’est cette attente interminable.
 
 
Dans DÉSIR DU COEUR, Brian et Alice attendent leur fille, partie en Australie. Une « attente interminable », qui légitime leur existence, masque le vide, l’échec lamentable de leur vie de couple. Ce thème beckettien — l’attente du sauveur qui n’arrive pas — l’imaginaire foisonnant de Caryl Churchill le soumet à des variations délirantes. On pourrait imaginer que le « sauveur attendu » qu’évoque cette auteure engagée, féministe, socialiste et qui croit au pouvoir pour changer les gens, s’incarne en 1997 — date à laquelle elle écrit BLUE HEART — dans le retour au pouvoir du parti travailliste de gauche, avec, à sa tête, le jeune Tony Blair… Selon Martine Beaulne, BLUE HEART pose « un regard critique sur le monde actuel ». De manière éminemment théâtrale, Churchill traduit, dans DÉSIR DU COEUR, l’angoisse profonde des individus abandonnés à euxmêmes, dans une société inapte à leur donner des points de repère et où plus aucun idéal n’a de prise. Entre les personnages, toute tentative de communication est vouée à l’échec. En un jazz insolite, les répliques se brisent, saccadées, se répètent, syncopées, et s’interrompent.
 
« Elle va être épuisée. / C’est une femme de trente-cinq ans. / C’est comme ça que tu parles de ta fille ? / C’est une femme de trente-cinq ans. / Bien sûr, tu as tellement raison. » Les dialogues s’enroulent sur eux-mêmes pour revenir à leur origine, à cet inlassable ressac dont sont captifs Brian et sa femme. Surgissant dans leur petite cuisine, des personnages incongrus, stupéfiants, ponctuent l’attente, l’attente interminable. Hallucinations, délires psychotiques? L’intérieur et l’extérieur, l’imaginaire et la réalité se confondent. L’intérieur, c’est l’étouffement. Et ce qui vient de l’extérieur est menaçant. Tout sens s’est perdu.
 
 
 

Partie 2 : CAFETIÈRE BLEUE

 
Derek : Mrs Oliver, je voudrais vous présenter Enid, mon amie.
Enid : Enchantée, Mrs Cafetière.
[…] Mrs Oliver : Je suis ta mère.
Enid : Bleu de faire votre bleu.
Derek : Cafetière, je voudrais te présenter ma mère.
 
 
Si, dans DÉSIR DU COEUR, un père attend sa fille, dans CAFETIÈRE BLEUE, un fils convainc cinq vieilles dames qu’il est l’enfant qu’elles ont dû placer en adoption. Ici, les mots sont des outils de manipulation. Ils servent l’intérêt de Derek. Pour lui, la vérité tient dans ce qu’il arrive à faire croire. Et la justice, dans le pouvoir qu’il en retire. Là non plus, aucun dialogue, aucune rencontre avec l’autre ne sont possibles. Dès lors, les mots sont interchangeables; ils ne jouent plus leur rôle, ils perdent leur nécessité.
 
Et, sous nos yeux, cette réalité prend forme. Progressivement, imperceptiblement, les mots « cafetière » et « bleu » s’insinuent dans le texte et le parasitent. Jusqu’à la cacophonie. « Dans les deux pièces, conclut Martine Beaulne, Churchill dénonce l’effondrement de la communication actuelle, la perte de sens et l’impossibilité d’un véritable échange. Cela va sans dire, seuls des comédiens virtuoses pouvaient s’approprier de telles partitions.
 
Née à Londres en 1938, Caryl Churchill grandit à Montréal, où elle fréquente la Trafalgar School for Girls de Westmount, puis retourne en Angleterre pour suivre des études de littérature à l’Université d’Oxford. C’est à cette période qu’elle écrit ses premières pièces : DOWNSTAIRS, YOU’VE NO NEED TO BE FRIGHTENED et HAVING A WONDERFUL TIME. Elle compose ensuite de courtes pièces radiophoniques pour la BBC et pour la télévision. Au début des années 1970, elle se dirige vers la scène et travaille comme auteure résidente au Royal Court Theatre de Londres en 1974 et 1975. Elle collabore également aux travaux de compagnies dont le mode de création repose principalement sur des ateliers d’improvisation avec des auteurs. Durant cette période de recherche et de travail intense, elle écrit de nombreuses pièces qui deviendront des succès. Entre autres, LIGHT SHINING ON BUCKINGHAMSHIRE, VINEGAR TOM, TOP GIRLS, récipiendaire d’un Obie Award for Playwriting et d’un Susan Smith Blackburn Prize, FEN, A MOUTHFUL OF BIRDS et SERIOUS MONEY, couronnée à cinq reprises Meilleure pièce de l’année. À partir des années 90, les pièces de Churchill accordent de plus en plus de place au mouvement, à la danse et à la musique. Sa collaboration avec des chorégraphes et des musiciens lui permet de renouer avec le travail en collectif du début de sa carrière, un travail dont elle a toujours souligné l’importance déterminante pour son écriture et sa compréhension du monde.