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L’EXPÉRIENCE MYSTIQUE D’UN PATIENT AVEC LA THÉRAPIE ASSISTÉE PAR LA PSILOCYBINE
par Houman Farzin
 
Département de médecine de famille
Faculté de médecine et des sciences de la santé
Université McGill, Montréal
houman.farzin@mcgill.ca
 
 
Les patients atteints de maladies graves comme les cancers avancés vivent souvent de la détresse existentielle et psychospirituelle. Soulager cette forme de souffrance s’est avéré peu évident en utilisant les traitements traditionnels. La thérapie assistée par la psilocybine emploie les effets psychoactifs de la psilocybine pour catalyser un processus psychothérapeutique ancré dans les traditions autochtones et dans le contexte d’un état d’esprit et d’un environnement thérapeutique (le set and setting). Consciencieusement préparée, cette expérience d’un état d’esprit modifié peut promouvoir la guérison et le développement psychospirituel indépendamment de la trajectoire de la maladie. La recherche actuelle appuie l’utilisation de cette forme de thérapie comme étant un outil thérapeutique sûr et efficace pour les patients ciblés. Ce rapport clinique, fondé sur et écrit depuis la perspective du médecin traitant, décrit le parcours thérapeutique d’un patient portant le nom fictif de Martin, depuis l’annonce de son diagnostic de phase terminale, lors de sa thérapie assistée par la psilocybine, et jusqu’à ce qu’il nous quitte. Martin fut le premier patient au Québec à recevoir un traitement de psilocybine grâce au programme d’accès spécial de Santé Canada et à demander l’aide médicale à mourir, les deux accès ayant été approuvés dans un contexte de soins à domicile et entièrement subventionnés par le système de santé public du Québec.
 
Dans notre existence parsemée de mystères et d’inconnu, la mort est l’une des vérités les plus certaines et indéniables. La période de la fin de vie, en revanche, est remplie d’incertitude. La souffrance de certains et certaines réside dans la difficulté à faire face à ces incertitudes et à y trouver du sens. S’accompagnant de peu de solutions efficaces, la souffrance existentielle guette souvent les derniers moments. Bien que les soins palliatifs aient amené un changement de paradigme en ce qui concerne le contrôle des symptômes physiques des mourants et mourantes, les aspects psychospirituels de la souffrance ne répondent pas aussi bien aux traitements traditionnels. La psilocybine est le composé psychoactif des espèces fongiques du genre Psilocybe, lesquelles sont plus souvent désignées par « champignons magiques » dans la culture populaire. Ils se trouvent partout à travers le monde et leur utilisation cérémoniale parles autochtones a été documentée depuis des centaines, voire des milliers d’années. Il existe un intérêt grandissant pour l’utilisation de ces substances dans la médecine occidentale. Certaines des premières recherches sur les thérapies psychédéliques étaient axées sur la détresse existentielle chez les patients atteints d’un cancer; elles avaient recours à une approche psychothérapeutique qui emploie les états modifiés de conscience pour promouvoir le développement psychospirituel et diminuer la souffrance.
 
L’expérience psychédélique y est organisée dans un environnement et un état d’esprit thérapeutiques (les et and setting). Ce cadre thérapeutique implique des périodes de préparation et d’intégration visant à générer de la signification et à faciliter la transcendance. Malgré les résultats positifs obtenus lors des études initiales sur les psychédéliques durant les années 60 et 70, il survint une pause de recherche durant toute une décennie à cause de la prohibition de ces substances. Plus récemment, toutefois, la recherche sur les psychédéliques a connu une résurgence avec l’enchaînement de résultats favorables publiés par des institutions académiques réputées aux États-Unis. Ces résultats suggèrent que cette forme de thérapie pourrait être un outil sécuritaire et efficace pour les patients atteints d’une maladie grave et souffrant de détresse existentielle. La modalité du traitement utilisée est souvent l’application de diverses formes de psychothérapie ancrées dans les traditions autochtones ; c’est cette modalité que nous avons choisie pour notre patient. Mon patient, Martin, avait été recommandé au service de soins palliatifs après la récidive de son cancer métastatique. Lors de notre première rencontre, nous avions exploré plusieurs aspects de son bien-être et avions travaillé sur l’optimisation de l’analgésie. À ce moment, il gardait espoir en la possibilité d’un essai clinique prometteur et son état de santé n’était pas responsable d’une hausse de son anxiété ou de son état dépressif. Néanmoins, j’avais tout de même mentionné la récente ouverture aux thérapies psychédéliques pour des patients comme lui. Il était content d’en apprendre plus sur l’accès à ce genre de traitement, mais à ce moment-là, il ne ressentait pas le besoin d’y avoir recours. Lors de la visite suivante, quelques semaines plus tard, il avait reçu un message de la part de son équipe d’oncologues lui disant qu’il n’y avait pas d’option viable en vue d’un traitement spécifique pour sa maladie. Son cancer avait métastasé dans les poumons, ce qui entraîna des symptômes respiratoires et l’aggravation de ses douleurs. Le pronostic de Martin avait été estimé à six mois ou moins. Réalisant l’imminence de la fin de sa vie, le combat d’une vie entière contre l’anxiété et la dépression, qui avaient à ce moment atteint des proportions vertigineuses, était désormais difficile à mener. L’augmentation du dosage des antidépresseurs en parallèle avec un suivi en psychothérapie n’avait pas aidé. Martin était le portrait parfait du patient qui pourrait bénéficier d’une psychothérapie assistée par la psilocybine. Cette prise en charge fut approuvée par Santé Canada. Il devint le troisième patient à recevoir un traitement légal avec la psilocybine au Québec depuis l’interdiction de 1974, et le premier patient à être traité sous le nouveau programme d’accès spécial à un médicament d’exception de Santé Canada. Suivant l’accord de Santé Canada, nous avions choisi une date et commencé à le préparer pour la session de son expérience psychédélique. Mon co-thérapeute, un psychiatre talentueux familier avec l’usage médicinal de la kétamine, une autre substance psychédélique, impliqua Martin dans un modèle psychanalytique basé sur la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT). Nous avions exploré l’historique psychosocial de Martin, tout en décrivant la phénoménologie de l’expérience à venir qui impliquerait des altérations profondes de l’humeur, de la pensée et des sens. Martin choisit son chalet à l’extérieur de Montréal comme emplacement pour recevoir son traitement. C’est une magnifique structure de bois, nichée entre les arbres et bordant un lac scintillant. Ce fut l’espace de guérison qu’il choisit pour passer ses derniers jours. Son plan était d’avoir recours à l’aide médicale à mourir (AMM) lors de son prochain anniversaire, ou plus tôt si la souffrance devenait insoutenable.
 
Le jour de l’expérience psychédélique de Martin a été l’un des plus remarquables de ma vie. L’expérience surréaliste d’offrir cette prometteuse thérapie a été pour nous une véritable leçon d’humilité. Martin était prêt à se livrer à l’expérience, mais il lui avait été initialement difficile de pénétrer dans l’espace psychédélique. La sensation accrue de ses sens avait engendré une plus grande sensibilité à sa douleur physique et à son angoisse existentielle. En ayant recours au mantra trust, let go, be open (aie confiance, lâche prise et sois ouvert), et en l’encourageant à confronter sa douleur plutôt qu’à l’éviter, nous avons finalement pu l’aider à entrer dans un état spirituel qui dura plusieurs heures et qui lui permit de surmonter sa souffrance. Pendant l’expérience, il a pu s’exprimer sur son ressenti : Je ne ressens plus de douleur maintenant, je me suis envolé au-dessus de mon corps. J’ai fait un magnifique voyage. J’ai une discussion avec moi-même qui ne requiert pas de mots. Je sais que les portes se fermeront bientôt, que c’est ma dernière chance de dire ou de faire les choses qui sont importantes pour moi, d’exprimer cette douleur et ce deuil que je n’ai pas pu exprimer ou communiquer aux autres…Nous nous étions engagés dans une conversation portant sur des sujets profonds comme la connexion à la nature : « Je fais partie de la nature et la nature est une partie de moi. » Il avait exploré ses relations avec les animaux, du chat domestique qui s’asseyait sur ses genoux jusqu’aux animaux sauvages qu’il avait chassés pour se nourrir, et comment il finit par se considérer comme leur égal. L’odeur d’huile essentielle à la rose lui avait remémoré l’image réconfortante de sa grand-mère, décédée, dont il avait été très proche : « Je vois des gens au loin, des enfants, enjoués, en costumes, avec des couleurs vives, comme si j’étais à un carnaval. Je vois aussi ma grand-mère, elle me sourit, et elle est prête à m’accueillir. Je la vois dans un tunnel, qui m’attend. Je vois mes autres grands-parents aussi, ils m’invitent à les rejoindre, ils me tendent leurs mains, mais il y a une sorte de vitre qui m’empêche de les toucher. » La session dura six heures, et aucun événement indésirable majeur ne se produisit. Nous avons quitté Martin le cœur léger, tout en sachant que sa conjointe prenait soin de lui avec bienveillance. L’apaisement de Martin avait duré plusieurs semaines, mais les douleurs grandissantes entretinrent son désir de partir. En parallèle avec sa détérioration physique, il avait pu ressentir à nouveau des états de conscience similaires à ceux de son expérience psychédélique avec la psilocybine. La mort pourrait-elle s’associer à une telle expérience psychédélique? Nous n’allons peut-être jamais le savoir, mais les expériences de mort imminente rejoignent cette idée. Jusqu’à la toute fin de sa vie, Martin fut reconnaissant pour sa thérapie assistée par la psilocybine et il reconnut à plusieurs reprises que, s’il avait pu retourner dans le passé, il aurait choisi de la faire à nouveau. Finalement, impuissant par rapport aux douleurs insupportables qu’il subissait, il opta pour l’aide médicale à mourir avant son anniversaire suivant. Il partit apaisé aux côtés de sa famille. Le jour précédant son décès, il appela pour nous remercier et pour nous exprimer sa reconnaissance. Il nous partagea que son seul regret avait été de ne pas nous avoir rencontrés plus tôt : il aurait pu bénéficier plus longtemps de cet extraordinaire traitement. Le plus important pour moi fut de pouvoir apaiser sa souffrance de fin de vie, soit un idéal qui ne se concrétise pas toujours. Je me souviendrai toujours des derniers remerciements de Martin et ils me serviront de motivation pour continuer ce travail.
 
 
DÉCLARATION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS
L’auteur fait partie des comités de formation et d’éthique de Therapsil et a reçu des honoraires pour son rôle d’enseignant. Il est membre du groupe consultatif clinique, Projet Cœurs Héroïques Canada, et est l’un des premiers investisseurs dans Beckley Psytech. Il a également reçu du financement de recherche du Fonds de recherche du Québec.
 
Diffusion numérique : 14 février 2024
https://www.erudit.org/fr/revues/cfsp/2023-v23-n2-cfsp09124/1109567ar/
Un document de la revue Cahiers francophones de soins palliatifs
Volume 23, numéro 2, 2023, p. 36–42
 
Institut de soins palliatifs et de fin de vie Michel-Sarrazin – Université Laval
institutmichelsarrazin@ulaval.ca
418 656-2131, poste 409275
 
Pavillon Ferdinand-Vandry, local 3554
Québec (Québec) G1V 0A6