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Le projet et sa portée, selon Waira Nina

Les carnets de NIGAMON/TUNAI

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Octobre 2023
Discussion avec Waira Nina retranscrite et traduite par Onishka
Retranscription validée par Waira Nina et Émilie Monnet

 

 

 

CONFIANCE, TRANSPARENCE

 

L’importance de cette œuvre est qu’elle fait la jonction de deux mondes distincts.

 

 

L’œuvre est créée sur la confiance qui est établie entre Émilie et moi. De cette relation très personnelle naît toute la relation artistique. Tout part de nos sensibilités personnelles, et d’une transparence totale entre nous – nous nous disons ce que nous ressentons, ce que nous vivons. La création m’aide à extraire ce qui est en moi, y compris la tristesse et la douleur, c’est une forme de guérison. Nous nous posons beaucoup de questions (« comment tu te sens ? ») tout au long du processus. Toujours nous nous soucions de maintenir, d’entretenir l’amour / l’amitié.

 

 

Nous découvrons à quel point les cultures de nos deux peuples (inga et anishinaabe) se répondent. Nous voyons les distinctions, les variations entre nos cultures et nos cosmogonies, et comment ces différences se rencontrent, et nous donnent de la force. Dans les deux, nous ressentons l’importance de la terre, de l’eau, des forêts, de la tortue.

 

 

Nous nous connaissons depuis 20 ans, nous nous connaissons très bien. Les débuts de notre collaboration artistique remontent à 2009, nous avons beaucoup fait de voyages et d’échanges entre la Colombie et le Canada. Nigamon/Tunai est quelque chose qui se développe sur le temps long, qui fermente – bientôt prêt à naître.

 

 

Ce qui est beau, c’est comme le début de notre collaboration artistique correspond aussi au moment où Émilie a commencé sa carrière d’artiste. Nos deux chemins artistiques se sont faits en même temps.

 

 

 

PROCESSUS CIRCULAIRE

 

Ce que j’ai ressenti, c’est que l’œuvre cherche l’interdisciplinarité de nos expériences. Nous travaillons sur ce que chacun·e a vécu, c’est ainsi que nous accueillons celles et ceux qui viennent dans ce processus – l’équipe créative. Nous ouvrons un espace qui est génératif et réciproque, où chaque personne peut partager son expérience, amener ses valeurs, intérioriser ses apports. C’est un processus que nous appelons circulaire. Nous sommes tous dans le même espace, égales et égaux, sans hiérarchie. Nous prenons les décisions ensemble.

 

 

 

CÉRÉMONIES

 

Les cérémonies ont permis un approfondissement spirituel très important au projet. C’est là que nous pouvons voir (visualiser) et penser comment être une personne au sein de la communauté, quelle personne être. C’est sur ces bases que nous construisons l’œuvre. Tout a commencé par une cérémonie. Dans l’espace de la cérémonie, il n’y a pas de place pour l’ego. L’ego s’en va. C’est là que naît une vision claire. Dans le processus de Nigamon/Tunai, c’est en parlant, en partageant cet espace cérémoniel, que nous visualisons l’œuvre.

 

 

Au cours de rencontres et d’entrevues, se joignent à nous des gens qui nous sont proches, des défenseurs du territoire, de l’eau, les taitas[1], mamas, leaders de nos communautés, qui nous inspirent, dont nous désirons apprendre.

 

 

 

GUÉRISON

 

L’œuvre aborde des situations très personnelles de ma vie. C’est une confrontation avec la vie réelle, avec ce qui se passe sur notre territoire, avec les conflits armés. Toutes ces choses auxquelles on veut échapper, l’œuvre les explore. Parce que c’est un espace où guérir (tenter de), mais aussi où conserver la mémoire de ces réalités. C’est ainsi que je peux faire sortir la douleur, la tristesse. J’ai l’impression de renaître avec un nouveau langage, un nouveau regard. Et que mon corps s’y repose enfin. Dans la performance, je respire, je me sens vivante, je passe à travers les douleurs, la tristesse, les souffrances, puis je sens que mon corps devient léger. C’est ça l’œuvre. Un espace de guérison personnel – partagé.

 

 

C’est ainsi que la création m’aide moi, et qu’elle aidera peut-être la cause inga.

 

 

 

IMPACT DE L’ŒUVRE

 

En sensibilisant, l’œuvre peut aider à changer les réalités, peut nous aider à mieux voir l’eau, les tortues, les arbres – tout ce dont nous faisons partie. La création fait entendre l’importance de nos cultures, de nos communautés. J’espère qu’elle fera résonner ces langages, si proches de la forêt, de l’eau, faire résonner nos spiritualités auprès du public, et jusqu’aux gouvernements.

 

 

La création soutient la transmission de nos cultures, de nos valeurs, des paysages sonores de nos communautés – tous ces trésors auxquels nous devons faire attention, que nous devons protéger. C’est une plateforme pour des échanges précieux entre communautés autochtones des Amériques, qui a créé des liens précieux entre Ingas et Anishinaabeg, mais aussi avec la communauté Ka’lina de Guyane notamment, avec Floyd Favel de la nation Cree qui viendra en Colombie, et éventuellement avec les Guarani du Brésil.

 

 

L’œuvre garde les mémoires des tortues, des forêts, des corps. Des mémoires que nous hébergeons en nous et que nous partageons.

 

 

Quelque chose que j’aime beaucoup du projet, c’est qu’il touche des générations différentes. C’est un espace où les aîné·es et les jeunes peuvent être inclus·es. Ça ne concerne pas juste deux femmes d’un certain âge. Ainsi Eloiza, la fille du concepteur sonore Leonel Vasquez (présente en studio lors d’une résidence de création au printemps 2023) a trouvé sa place, en participant spontanément. C’est un espace immersif et intergénérationnel, où chacun est inclus, où chacun peut se sentir plus libre, attentif à ce qui naît et ce qui est ressenti. C’est une expérience qui fortifie.

 

 

 

ÉCHANGES

 

Je crois que les échanges que nous menons entre communautés autochtones du Nord et du Sud fortifient les peuples. Je me rends compte de la richesse de nos chants, des similitudes des voix, des tonalités, des rythmes quand nous chantons. Je me suis aussi rappelé de l’importance des femmes dans nos communautés, de leur participation.

 

 

 

 

[1] Un taita désigne un leader spirituel autochtone et gardien des savoirs traditionnels en Amazonie. Le mot vient du quechua et signifie « père ».

 

 

 

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