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Mot de Wynn Holmes

Les carnets du spectacle

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J’ai trouvé Le Mont Analogue il y a une quinzaine d’années dans une pile de bouquins donnés à ma mère par une de ses amies. Depuis, je l’ai toujours gardé près de moi, sur une étagère, quelque part. Il m’accompagne. Je l’ai relu souvent et chaque fois, j’y ai trouvé quelque chose de neuf. En ce moment, il me parle de manière très directe de la création artistique, du processus créatif. En effet, il me semble que nous empruntons en studio le même parcours que les personnages du roman de Daumal : tout comme ceux-ci partent en toute confiance à la recherche d’une montagne immense dont personne ne soupçonne l’existence, nous prenons le risque de créer à partir de rien une œuvre nouvelle dont personne n’aurait pu anticiper la venue au monde ; ensemble, nous partons à la recherche de notre propre Mont Analogue et entreprenons de le gravir.

 

 

 

L’idée du collectif est au cœur du texte de Daumal : « … du fait que nous sommes deux, tout change », affirme Pierre Sogol, chef extravagant de l’expédition. Pour ce personnage, il s’agit d’une évidence géométrique : on ne peut mesurer la distance d’un astre à notre planète en ne disposant que d’un seul point connu sur la surface du globe. Mais avec un second point le calcul devient possible, parce qu’on peut construire le triangle. De la même manière, il suffit d’être plus d’un à croire en l’existence d’une chose, à la voir en pensée, pour qu’elle acquière toute la tangibilité du réel. Aussitôt qu’un objet virtuel inventé par un esprit est communiqué à d’autres esprits, il entre en concurrence avec le réel. Cette idée est pour moi au cœur de ce que cela signifie faire de l’art, de la danse, de la performance avec d’autres, de manière collective. « La tâche ne devient pas […] plus facile, non : d’impossible, elle devient possible ».

 

 

 

Je ne suis pas la première à m’intéresser à cette œuvre. Depuis longtemps, elle fascine les artistes : les beatniks y voyaient l’expression d’une vérité qui se cache au-delà du langage ; Alejandro Jodorowsky, artiste franco-chilien visionnaire, s’en est largement inspiré pour son film culte La Montagne sacrée ; Patti Smith, grande chansonnière et poétesse américaine, en a fait une installation artistique immersive ainsi qu’un album, Peradam. C’est une œuvre qui lance un défi que chacun peut relever à sa manière, et c’est ce que nous nous sommes attachés à faire. Sans cesse, nous devons nous mettre en danger, car c’est seulement ainsi que l’on peut espérer toucher à l’absolu, que l’on peut espérer atteindre le sommet de la montagne.

 

 

 

Sur le plan de la chorégraphie, nous nous sommes beaucoup inspirés des mouvements propres à l’alpinisme et à l’escalade. C’est inhabituel, mais la chorégraphie doit sembler exigeante, difficile. Nous devons voir l’épuisement des personnages, le travail des corps, leur repos, puis leur retour à l’effort, encore et encore, dans l’espoir d’atteindre le sommet. Si l’aventure est d’ordre spirituel, elle est aussi ancrée dans le corps, dans le réel. Nous nous sommes également inspirés d’œuvres diverses, autant sur le plan thématique que stylistique. Parmi elles, mentionnons : Trainspotting de Danny Boyle, qui tout comme Le Mont Analogue met en scène des personnages réunis autour d’une idée folle (et destructrice, dans ce cas) ; Werckmeister Harmonies de Béla Tarr et Ágnes Hranitzk, un de mes films favoris, qui traite de l’observation et de l’intériorisation du monde extérieur ; et même une entrevue échevelée de Jean-Michel Basquiat dans un loft extrêmement bruyant, en proie à un chaos si total qu’il en devient éloquent. Toutes ces influences se mêlent férocement dans notre creuset collectif et formeront à terme un alliage inédit qui, nous l’espérons, étonnera et fascinera le public.

 

 

 

Enfin, l’incomplétude est un élément important du mythe entourant le texte de Daumal. Elle nous suggère l’idée rassurante que la forme incomplète est la plus intéressante des formes. Il n’est pas nécessaire de mener une chose à bout pour la faire exister. Au contraire, l’incomplétude permet à une œuvre de continuer à croître dans notre imagination. Le Mont Analogue se passe à merveille du mot « Fin ».

 

 

 

C’est d’être rattaché à la terre, mais de tendre la main vers l’au-delà

C’est une profonde nostalgie pour quelque chose qui nous échappe

C’est donner leur chance à des idées terribles, mais excitantes, ainsi qu’à des idées géniales, mais dangereuses

C’est facétieux, plein d’humour et complètement absurde

 

– Wynn Holmes

 

 

© L. Holmes

 

 

 

 

 

 

Texte rédigé en collaboration avec Charles Beaudoin