Au début, il y avait un désir de douceur. Le besoin de se réfugier. Comme si une retraite ou une introspection était nécessaire. Une mise au ban de la lumière. Étrangement, c’était cela qui nous liait toutes les trois.
Et puis, de ce désir de douceur est né le besoin de s’enfoncer en soi comme pour se protéger de la tourmente et des bruits du monde. Et surprise, cette descente ne fut pas sans ambages. Descendre en soi pour y trouver quoi et surtout descendre en soi mais à trois. Le boulot a été ardu, ardent, bouillonnant, chaotique surtout.
Et quelle arrogance de vouloir une introspection mais publique. Quelle arrogance de vouloir de la douceur et de crier pour la revendiquer.
C’est le propre du spectacle, dit-on. Réclamer pour soi une qualité de présence et d’écoute qui se paie 100 $ de l’heure sur un sofa, dans le creux des oreilles qui recueillent nos confessions ou devant une mère à qui on aurait hurlé maman maman maman cent fois.
Au début donc, il y avait un désir de douceur.
Et pour la trouver, chacune avait des chemins préférés.
Pour l’une, le chemin des mots et de la pensée. Une pensée labyrinthique, foisonnante qui s’intéresse aux sciences naturelles et à la phénoménologie. Comme un tout petit origami qu’on déploie et qui révélerait tous ses plis.
Pour l’autre, le chemin de la voix et de la mélodie. Des musiques de boîte à bijoux, des chansons à hurler comme des hymnes. Mais surtout des comptines. Des berceuses qui consolent et contiennent nos blessures et nos souvenirs.
Pour l’autre encore, le chemin des gestes et celui du corps. Comme une envie d’incarnation qui ne tient que dans la seule présence. Dans le fait d’être là. De se tenir debout. Et de faire une danse de ses appétits et de son appétence.
Nous avons emprunté tous ces chemins. Nous nous sommes détournées de nos routes préférées. Au point de douter et de faire douter dans cette fragilité multipliée. Nous avons toutes les trois écrit. Nous avons toutes les trois chanté. Nous avons toutes les trois dansé. Nous avons toutes les trois dicté la direction.
Nous nous sommes exposées aux forces des autres, aux instincts des autres, aux nécessités des autres. Et ce faisant, nous nous sommes heurtées aux limites des autres et surtout aux nôtres.
Il nous est resté ce que ça prend d’amour pour que le processus et son résultat s’abreuvent à la même source.
Au début, donc, il y avait forcément un désir de douceur. Et à force de s’y enfoncer, ce désir de douceur s’est effrité. Parce que les idéaux de solidarité, de sororité, d’horizontalité se sont heurtés à la réalité. Le processus nous a confrontées. C’est-à-dire qu’entre le désir de douceur et celui de créer, il y a un monde de contradictions.
La création est traversée de doutes, mais nourrie d’ambitions, de convictions, de prétentions. La douceur est incurvée, taillée du marbre des méandres et faite de circonvolutions.
Ce voyage fut un révélateur de nos natures, de nos qualités, de nos travers et de nos individualités. Et ce qu’il en reste c’est que le désir de nous protéger des bruits du monde a dévoilé et amplifié ce que nous fuyons : nos bruits, nos manques et nos monstres.
Le spectacle, quant à lui, est un polaroïd de cette descente. Pour y parvenir, il aura fallu traverser des frontières, arriver en territoire sous-terrain et baigner dans ce que nous y avons trouvé. Comme si, à travers le chaos, il n’y avait qu’à recouvrer les fragments de nos vies. Et refaire le puzzle des quelques éclats de réalité nous constituant. Ce que nous nous racontons devient ce que nous devenons. Ce dont nous nous souvenons devient le socle de ce que nous serons.
Une dispute, une fête, une disparition. Et nous voilà déjà cristallisées dans nos récits, nos légendes, nos annales et nos mémoires ancestrales.
Nous tenons à si peu de choses.
En contrepartie, ce spectacle tient grâce à tant de choses. Mais surtout grâce à tant de gens. Ce spectacle n’existe que grâce à celles et ceux qui ont eu la foi de s’engager dans un processus atypique, où rien n’avait vraiment d’ascendant. Là où les mots nous manquaient, le chant s’est substitué. Là où la voix nous a fait défaut, le corps s’est manifesté. Là où la danse défaillait, le silence a joué. C’est peut-être là que la douceur est arrivée.
Surtout, ce spectacle tient grâce à Ginette Noiseux qui nous a réunies, grâce à toute l’équipe de GO qui nous a accueillies, grâce à Anne-Marie Jourdenais qui nous a balisées, grâce à nos amies et amours qui nous ont écoutées. Et grâce à nos collaboratrices et collaborateurs qui nous ont concocté un écrin flamboyant, il y a peut-être ce soir comme une chose qu’on appelle une comédie musicale existentielle.
Merci de prendre le temps d’y être avec nous.
Sophie Cadieux
Mélanie Demers
Frannie Holder