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Vingt mille lieues sous la surface

Les carnets d'AFFAIRES INTÉRIEURES

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Entrevue avec Sophie Cadieux, Mélanie Demers et Frannie Holder au sujet du spectacle AFFAIRES INTÉRIEURES

Propos rassemblés par Elsa Pépin

 

 

 

AFFAIRES INTÉRIEURES propose une descente dans les profondeurs de soi, un voyage introspectif qui mêle théâtre, chant et danse. D’abord orientée vers une adaptation, votre collaboration s’est muée en une création tricéphale?

 

 

Sophie Cadieux : À l’invitation d’ESPACE GO, on s’est d’abord rassemblées autour d’un texte qui nous inspirait, Les Nouveaux Anciens de Kae Tempest. C’est une fable urbaine contemporaine et existentielle qui mêle rap, poésie et épopée dramatique et qui renoue avec les anciens mythes, mais pour lequel on n’a pas eu les droits. Tempest se garde le droit de monter elle-même cette pièce. Ça nous a déboussolées, mais notre association était déjà très excitante, alors on a fait un grand saut dans le vide. Le souci de la musicalité du texte de Tempest, qui mêle poésie et spoken word, nous a inspiré un désir d’explorer nous aussi le potentiel de nos trois disciplines réunies. Comment le corps peut incarner le narré, le souffle, dans chacune de nos disciplines.

 

 

Frannie Holder : De ce texte, nous avons retenu l’idée des couches qui nous habitent à l’intérieur, des possibles, des inconnus et des gouffres qui dorment en nous et qu’il suffit d’une chose pour faire jaillir. On a eu envie de faire une incursion dans nos intériorités après une période de grand bruit vers l’extérieur professionnellement.

 

 

Mélanie Demers : On explore l’idée de plonger à l’intérieur de soi pour échapper au bruit ambiant, aller écouter sous les différentes strates, à la manière de spéléologues qui partent à la rencontre de ce qu’on trouve à travers nos trois disciplines. C’est la beauté et la grande difficulté de cette création : le grand puzzle d’allier nos trois sensibilités, nos disciplines qui travaillent des dramaturgies et des montées dramatiques complètement différentes. Unir nos différences est l’attrait et l’écueil en même temps.

 

 

 

 

Votre plongée intérieure n’exclut pas une présence sociale. Comment se conjugue le mouvement vers soi et celui orienté vers le monde?

 

 

Mélanie Demers : Le déclic a eu lieu quand on s’est fixées sur un titre, qui a longtemps été SOUS LA SURFACE. Après, quand on est allées avec AFFAIRES INTÉRIEURES, je trouvais intéressant d’explorer l’idée d’une plongée intérieure qui a des résonances politiques, un lien avec le monde. On va à l’intérieur de nous-mêmes et ce qu’on y trouve a un impact à l’extérieur, un écho. C’est cette façon de tisser ce qu’on trouve à l’intérieur avec le monde extérieur qui nous inspire : comment on s’explique soi-même pour s’expliquer le monde après. Ce n’est pas un repli sur soi individuel, ni un refuge, ce à quoi je résiste dans toutes les formes de méditations et de quêtes spirituelles. Je ne résiste pas à la spiritualité, mais à son instrumentalisation. Il y a un désir de faire émerger une pensée politique et philosophique même si on plonge dans l’idée du féminin, qui, doit-on le rappeler, n’est pas seulement associé au soin. J’aime l’idée d’exprimer des choses très intimes par une parole collective. Le titre AFFAIRES INTÉRIEURES renvoie à un organe politique qu’on tient très serré à l’intérieur de nous. C’est là que les problèmes internes sont réglés : cet organe est bouillonnant, c’est souvent là où on ne veut pas aller voir. Ce ne sera pas juste tout beau, mais salissant.

 

 

Frannie Holder : Depuis que je suis petite, je me demande pourquoi en devenant adulte on se rigidifie ou on se fige quelque part. Plus on vieillit, plus on a des couches de résistance quand on vit des conflits. La rencontre de nos différences et de nos aspérités crée le bruit ambiant. Aller à l’intérieur, c’est peut-être souhaiter retrouver un espace où on est encore flexible, s’éloigner de la rigidité de la surface et retrouver un lieu de potentielle transformation qui nous façonne et nous permet de revenir dans le monde avec moins de violence, ou un autre type de courage qui n’est pas juste de crier. En plongeant, on découvre d’autres formes de soi, d’autres possibles et d’autres façons d’être dans le monde. En explorant nos erreurs, nos laideurs, en meilleure connaissance des violences qu’on porte en soi, on est mieux outillé pour comprendre et répondre aux violences des autres. Avant de pointer l’autre comme étant la cause de tout, nous invitons à observer ce qui nous habite, à moins se gueuler dessus et à prendre un moment pour se chanter une petite berceuse.

 

 

Sophie Cadieux : D’un point de vue féministe, en art contemporain, l’introspection est souvent snobée, et nous souhaitons la présenter, non pas seulement comme féminine, mais comme universelle. Les sédiments du monde qui remontent avec nos souvenirs ne concernent pas une chambre à soi gardée. Tout ce qui a longtemps été confiné à l’intérieur peut être politique, faste et explosif. Ce n’est pas juste mignon et délicat, ça peut être réfléchi et puissant, mais dans la douceur. J’aime qu’on puisse revendiquer cette douceur au même titre que les excès et la subversion dans un théâtre comme ESPACE GO.

 

 

 

 

Il y a dans AFFAIRES INTÉRIEURES l’idée d’habiter un territoire qui « ne supporterait pas le poids d’un nom » : une invitation à quitter les assignations et les étiquettes de la société pour renouer avec une identité plus profonde?

 

 

Sophie Cadieux : Nous encourageons une décentralisation de notre perspective humaine en nous rattachant à une pensée philosophique, notamment à la notion du temps humain versus celui de la création terrestre, ce qui a rapport aux roches, aux sédiments, aux savoirs ancestraux. On s’est notamment inspirées des Météorologiques d’Aristote, des textes préscientifiques d’ordre philosophique qui portent sur l’étude des corps et des phénomènes célestes, une tentative de connaître le monde et les choses qui nous dépassent, comme le tonnerre, la mer, les flots, l’impétuosité de ce qui est plus grand que nous, une volonté de cadrer le monde avant d’avoir tous les outils d’aujourd’hui.

 

 

 

 

À l’image de spéléologues, vous devenez les excavatrices d’une fouille des profondeurs où l’infiniment petit rejoint l’infiniment grand, où vous pénétrez concrètement dans une sorte de caverne?

 

 

Mélanie Demers : Entrer à l’intérieur de soi, c’est aussi entrer dans une cavité, dans le rien, le vide, c’est l’univers. La plongée ou la descente que nous entamons telles des spéléologues nous fait parfois entrer dans le corps, dans notre cavité, notre cœur ou dans notre tête pour excaver des bribes, des fragments de souvenirs qui nous révèlent, nous sédimentent, nous constituent. Nous avons le personnage de la douanière, incarnée par Sophie, qui nous fait passer les frontières, qui accompagne notre descente dans les profondeurs, strate par strate.

 

 

 

 

Vous visitez des souvenirs qui remontent à la mémoire lors de vos plongées. AFFAIRES INTÉRIEURES est aussi un voyage dans le temps?

 

 

Sophie Cadieux : On découvre toutes ces choses qui nous parlent dans un autre temps. On aborde aussi la maternité. Mélanie et moi nous sommes deux mères et c’est un sujet qui nous habite en filigrane : notre suite, la transmission. Au début, on en parlait sans vouloir l’aborder de front, alors que ça nous définit vraiment, ainsi que notre intériorité. On a porté d’autres humains, on en a encore des traces, notre corps a traversé la naissance. On aborde donc l’enfance, mais aussi la maternité. Souvent, il est de bon ton de parler de nos mères en art, mais on a une pudeur de parler de nous en tant que parent. On peut autopsier nos parents, mais d’entrevoir la suite est plus compliqué.

 

 

Mélanie Demers : Le désir d’enfantement, cette poussée de la pensée pour arriver à l’acceptation du désir d’enfanter, c’est retrouver la suite à l’intérieur de soi. Et puis il y a aussi toutes ces choses qu’on a oubliées, qui sont passées dans nos corps et qui ont sûrement laissé des traces.

 

 

 

 

Incarnez-vous des personnages?

 

 

Frannie Holder : Depuis le début, on se demande si on est nous-mêmes ou si on incarne un personnage. C’est intéressant, parce qu’en danse ou en musique, on ne se pose pas vraiment la question, on est juste soi-même. Sophie est la seule qui incarne un vrai personnage, tout en étant parfois elle-même, mais sans le savoir, on a découvert qu’on avait toutes trois des personnages clairs. Sophie est la tête chercheuse, Mélanie le corps et moi le cœur, avec chacune le défi de se commettre dans nos disciplines et dans celles des deux autres. On rencontre des résistances et des limites et on s’intéresse à la manière de les traverser, comme des frontières à passer ou pas, et ce qu’on découvre sur soi en les traversant.

 

 

Mélanie Demers : Il y a aussi la logique interne du spectacle qui doit être respectée, une forme à trouver pour que le spectacle soit lisible, choisir qui doit porter quoi à quel moment, quand doit-on être fragile ou forte. Le processus est le reflet du thème : on est dans la transgression de nos propres frontières, nos propres limites et résistances. Au final, le spectacle n’est pas à propos de nous plus qu’à propos du grand thème global qu’on essaie d’amener à la surface : que trouve-t-on quand on plonge?

 

 

 

 

Il est question de l’inconfort des mystères qu’on cherche souvent à simplifier, alors que vous proposez une posture de déséquilibre, d’incompris et d’inconfort?

 

 

Mélanie Demers : Dans un livre d’écoféminisme et d’écoresponsabilité, j’ai lu que quand on plonge à l’intérieur, on trouve de nouvelles formes de narrations. C’est ce avec quoi on se bat ici : une nouvelle forme de narration née du croisement de nos trois disciplines qui fait qu’on cherche un ton où tout converge, une posture très inconfortable.

 

 

Frannie Holder : Si tu acceptes d’aller à l’intérieur de toi, il faut accepter les inconforts que tu portes, au lieu de blâmer toujours ton inconfort dans le monde en accusant ce qui se trouve de l’autre côté de toi. En plongeant, tu peux observer ce que tu portes en toi qui rend la frontière aussi impénétrable pour l’autre. Cette frontière est partout, dans notre monde polarisé et divisé.

 

 

 

 

Il est en effet question du franchissement de la frontière, puis d’une frontière qui s’effrite, s’estompe, disparaît. Peut-on y voir une invitation à plus d’ouverture, à redéfinir nos contours et nos limites?

 

 

Sophie Cadieux : Nous explorons l’idée de paliers. On essaie d’imaginer ce que serait une descente de plus en plus profonde : y a-t-il une hiérarchie? Ce qu’on pense être un palier, est-il le dernier? Finalement, y a-t-il autre chose plus loin?

 

 

Mélanie Demers : On trouve à un moment donné un semblant d’équilibre entre ce qui monte et ce qui descend quand on rencontre un pilier (en spéléologie, c’est lorsque des stalactites et les stalagmites se touchent et se reposent les unes sur les autres). Un équilibre entre ce qui veut devenir et ce qui veut se rétracter.

 

 

Frannie Holder : Il est aussi question de tout ce qui entre et sort de soi : un cri, une voix, les traces. Tout cela résonne en toi, dans l’espace ou dans le vide dont tu disposes pour l’entendre, l’accueillir.

 

 

 

 

Créer à trois suppose de partager le pouvoir à trois, mais aussi d’endosser plusieurs rôles. Comment expérimentez-vous cette division du pouvoir?

 

 

Mélanie Demers : On s’est demandé à plusieurs reprises : qui dirige quand? On a envie parfois que l’autre nous dirige, mais il faut que ça vienne de nous. Pour avancer, il faut toujours accéder à une voie alternative qui n’est jamais notre voix. Ce n’est pas le spectacle qu’on aurait fait en solo. On est tout le temps sur la voie d’accotement. Ça va plus lentement, c’est plus cahoteux, mais le paysage est plus intéressant que sur l’autoroute. Pour avancer, il faut s’allier. On ne peut pas en laisser une derrière, mais on est toujours en train de faire des deuils. La création implique toujours une suite de deuils, mais là, c’est plus prégnant. Dès qu’on exprime une idée, elle est tout de suite fragmentée, éclatée, avalée, négociée, transformée avant d’être testée. On est dans la corruption perpétuelle. Étant donné qu’on écrit, qu’on met en scène et interprète en même temps, souvent, on n’a pas les mêmes champs de résolution des nœuds. Chacune a sa méthode pour régler ses problèmes. Est-ce au niveau de l’idéation, de la mise en scène ou de l’interprétation que l’on doit agir? La metteure en scène en moi se dit qu’il faut faire tel changement, mais l’interprète doute. Donc, parfois je vis un conflit à l’intérieur de moi, c’est très exigeant. Et puis comme chorégraphe, je crée toujours à partir de rien. Dans un théâtre comme ESPACE GO, la création de l’espace est très importante, alors qu’en danse, souvent, je crée à partir d’un plateau vide. Les choses émergent de mes désirs, plutôt que de s’insérer dans un décor. J’ai travaillé vraiment fort pour me rallier au mode de fonctionnement d’un théâtre.

 

 

Sophie Cadieux : Ce qui est fascinant dans ce type d’introspection à trois têtes capitaines, c’est que chacune réfléchit avec son système de pensée. Nos réflexions portent sur quelque chose d’intime, sur notre vision du monde, mais on l’aborde chacune différemment. C’est intéressant de voir comment ça frictionne. Frannie vient de la musique, écrit ses textes, partage son intimité; Mélanie fonctionne par tableaux, par le corps; moi, j’avais longtemps un souci de structure dramatique. Mettre tout ça ensemble est un défi qui relève aussi de notre tentative de vivre ensemble. Et parce qu’on est interprète, notre lecture du spectacle est toujours tronquée. On essaie d’être guides les unes pour les autres.

 

 

Frannie Holder : Travailler à trois personnes qui confrontent leurs idées ensemble exige de négocier tout le temps. Chacune a ses enjeux importants qui doivent être considérés. Quand les enjeux des trois sont entendus dans une réponse au-delà des trois, on a quelque chose de beaucoup plus grand qui élève le groupe. Pour créer un spectacle à trois, chacune doit lâcher prise souvent. Le processus est extrêmement riche, parce qu’il éprouve la réalité de ce qu’est plonger, ou arriver à quelque chose qui nous habite sans qu’on le sache. C’est cet abandon-là, éprouvé à trois dans le processus de création, jamais facile, qui nous a fait comprendre la réelle spéléologie de creuser en profondeur. Les « affaires intérieures » renvoient à nos affaires à nous trois : comment arrimer nos façons de travailler, notre petit pays qu’on s’est créé à trois, comment trouver une place pour s’émanciper chacune. On a chacune eu notre moment où on cherchait notre place, parce qu’il faut la partager à trois. Sur certains plans, on a l’impression de s’absenter, sur d’autres, où on est à l’aise, on prend tout l’espace. Le spectacle pose la question de ce qui se passe quand trois personnes se rencontrent et essaient de créer la vie, de créer le monde, dans cet idéal d’anarchie dirigée par des femmes. C’est riche, mais complexe.

 

 

 

 

La chanson Tout est déjà renvoie à une fin qui est déjà arrivée. Que faisons-nous quand tout paraît avoir été épuisé? Dans nos quêtes de nouveautés : sommes-nous finalement condamnés à revenir à ce qui est déjà là?

 

 

Frannie Holder : À chaque fois, on s’étonne d’une guerre, d’un conflit, d’une peine d’amour, mais c’est déjà arrivé mille fois. On fait juste répéter éternellement les mêmes choses. On est déjà mort et on existe en même temps. Quand on sait tout ça, on peut abandonner la lutte et juste être, dans un esprit d’abdication invitante, non pas défaitiste, mais plutôt comme une prise de conscience que mes drames ont été vécus par mille autres personnes, mille autres héros, tracées par d’autres mythologies avant moi, d’autres ancêtres. C’est à chaque génération, chaque humain, chaque enfant d’essayer de refaire le monde, mais ce sont les mêmes affects, blessures et egos qui se battent.

 

 

Sophie Cadieux : Tout renaît et se transmet : la terre devient de la mer et la mer devient de la terre…

 

 

 

 

La pièce mêle vos trois disciplines (texte, chanson et mouvement) et plusieurs registres (douceur, légèreté et vulnérabilité, mais aussi des cris, de la colère et de l’humour). Y a-t-il une volonté de dire le monde dans son ensemble, de représenter la tension des forces en jeu?

 

 

Mélanie Demers : Il y a quelque chose dans la forme, de mettre la musique, le corps et les mots ensemble et de tomber tout à coup dans une comédie musicale existentielle, qui donne l’impression de devoir parfois presque subir le spectacle avec ses codes. On joue avec l’idée d’un spectacle oppressant. On assume le paradoxe de chercher à sortir de la représentation, tout en faisant une représentation. La douanière, incarnée par Sophie, qui nous fait rentrer à l’intérieur de nous, travaille cette tension d’être en représentation devant des gens tout en essayant d’être authentique.

 

 

Sophie Cadieux : On aime l’idée de ne pas détenir les rênes de notre action. La musique nous fait parfois changer de palier. Il y a une volonté de descente, mais ce n’est pas nous qui décidons quand appuyer sur le bouton. Parfois, on est au milieu de quelque chose, on creuse ici, on pense qu’on est bien, et on descend de vingt paliers contre notre gré. D’autres fois, on voudrait sortir, mais l’ascenseur n’arrive pas. Ça nous permet d’aller dans des moments de grande intensité, si on choisit de plonger en nous. On subit le rythme des découvertes.

 

 

Mélanie Demers : Il y a un moment que j’aime beaucoup quand Sophie (la douanière) demande à Frannie si elle veut descendre. Frannie dit toujours oui, mais on dirait qu’elle dit non. Elle dit oui contre son gré. Toute l’ambiguïté de vouloir quelque chose et d’y résister en même temps s’illustre.

 

 

Frannie Holder : Aussi, quand tu descends où tu veux, tu vas voir les choses que tu as envie de voir, tu places le miroir où tu veux le placer pour voir ce qui te plaît, mais quand tu es poussée à une place à l’intérieur de toi à laquelle tu acceptes d’aller par retranchement, ou par violence, tu peux découvrir des choses que tu n’aurais jamais trouvées si tu avais pris le premier chemin.

 

 

 

 

Pour la composition musicale, quelles ont été les lignes directrices? AFFAIRES INTÉRIEURES mêle berceuses, rap, prend des airs de comédie musicale sans en être tout à fait une?

 

 

Frannie Holder : L’idée de comédie musicale est venue d’un élan soudain, partagé dans une envie de grande intensité. La chanson revient quelques fois comme un thème qui nous happe, un peu à la Walt Disney. Après, il y a l’idée qu’on essaie de faire avancer les bruits du monde, son grondement, qui va d’un bruit de frigo à un grondement de laveuse, de gens qui écrivent, pour ensuite établir un plan d’évasion et de plongée dans les souvenirs.

 

 

Le rap est arrivé dès que j’ai commencé à écrire en français. On part de ce qu’on sait faire, et j’ai fait 15 ans de rap, mais c’est nouveau pour moi d’écrire en français et j’y prends plaisir. Il y a des textes que j’avais écrits et qui ne fonctionnaient pas, mais passent très bien en chanson, parce que la chanson française permet de dire de grandes vérités avec candeur, qui passent en petites mélodies. Je suis habitée par les berceuses depuis toujours, j’aime leur douceur, l’aspect maternel et les rappels à l’enfance. Comment se consoler du monde? C’est pour ça qu’on fait un spectacle. La seule consolation du monde c’est peut-être l’art et la création. La berceuse a cette fonction pour moi d’être consolatrice, mais de dire aussi quelque chose de très cru en quelques mots. J’aime le mélange de douceur et de grande intensité. Il y a aussi de l’humour dans la musique.

 

 

 

 

Quelle approche a orienté la chorégraphie? Le travail du mouvement est-il différent avec des interprètes qui ne sont pas des danseuses à la base?

 

 

Mélanie Demers : J’essaie de trouver une justesse de présence. On ne peut pas se comporter de façon trop décontractée ni être trop dans l’expressionnisme. On cherche la justesse. J’aime quand le corps danse, mais je n’aime pas trop la chorégraphie. Je trouve que la chorégraphie tue la danse. Je cherche plutôt à faire émerger des corps, souvent par des pulsions qui émanent du centre. Même si je le sens dans mon corps, ça doit se traduire dans leurs corps à elles. Il y a eu beaucoup d’allers-retours sur la fonction même du spectacle : je dis souvent que pour moi, un spectacle est une question que je me pose, mais dont je ne contrôle pas la réponse. Pour d’autres, il y a une volonté de contrôler le sens. Quelle est la fonction d’un spectacle dans nos vies? Pour moi, c’est de découvrir quelque chose. J’aime écouter le spectacle me révéler quelque chose d’insoupçonné.