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Les carnets de NEECHEEMUS

Les carnets de NEECHEEMUS

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AMOUR

1 . Nom masculin. Sentiment vif qui pousse à aimer quelqu’un, à vouloir du bien, à aider en s’identifiant plus ou moins. Sentiment considéré comme naturel entre les membres d’une même famille.

2 . Inclination envers une personne, le plus souvent à caractère passionnel, fondée sur l’instinct sexuel, mais entraînant des comportements variés.

 

– Le Robert

 

 

La recherche de l’âme sœur est très présente autour de nous, dans nos discussions avec nos proches, dans la musique, le théâtre, la littérature, le petit et le grand écran. Au Québec, de nombreux auteurs tentent de comprendre cette quête. Les nouveaux auteurs tels que Sarah-Maude Beauchesne ou Simon Boulerice désirent présenter de nouvelles façons de percevoir l’amour comme l’ont fait avant eux Shakespeare ou Jane Austen à leurs époques respectives.

 

En constante évolution depuis des millénaires et dépendant du contexte social dans lequel nous vivons, l’amour ne peut qu’être constamment redéfini. L’amour tel que défini dans le Robert ou dans le Larousse se base sur un concept qui a évolué suivant les valeurs dominantes et les contraintes socio-économiques en Europe.

 

Qu’en est-il de l’amour et de l’érotisme chez les peuples colonisés? De quelles façons définissent-ils ce concept? C’est en créant un espace de discussion, de création artistique et de partage entre femmes qu’Emilie Monnet désire aborder ces questions. Cette approche prend tout son sens alors que la tradition orale est au sein même de la transmission des valeurs, des codes sociétaux et des visions du monde des peuples autochtones.

 

KISAKIIN : « je t’aime » en anishinaabemowin

 

L’anishinaabemowin est une langue autochtone qui se parle du Manitoba jusqu’au Québec, et plus particulièrement autour des Grands Lacs.

 

 

 

DES LANGAGES AUTOCHTONES DE L’AMOUR

 

Chez les peuples autochtones, la tradition orale a longtemps été le principal outil de transmission des valeurs et des connaissances. Véritables bibliothèques de connaissances, les conteurs doivent s’assurer de l’exactitude de leurs récits et l’auditoire a la responsabilité de prêter attention pour s’assurer de ne pas déformer le sens.

 

Les légendes et les récits populaires d’Europe ont jadis eu ces mêmes fonctions  d’éducation et de socialisation, mais aujourd’hui, ils sont perçus comme un divertissement plutôt qu’une partie intégrante des cultures vivantes [Perspectives autochtones : La tradition orale, 2004].

 

Les peuples autochtones définissent le monde à travers la poésie de leur langue. Le psychanalyste Jacques Lancan établit une concordance directe entre le champ social et le champ linguistique qui influence notre façon de percevoir l’amour. Selon lui, l’origine psychique de l’amour, soit la pulsion et le désir, peut se décliner à l’infini.

 

Dans un contexte matricentriste, soit dans une société où la femme est au centre, comme chez de nombreuses nations autochtones, ces déclinaisons des pulsions et des désirs peuvent se manifester sous des formes inimaginables pour des sociétés occidentales où le patriarcat domine.

 

 

 

AMOUR DÉCOLONIAL

 

Malgré le caractère festif de l’œuvre NEECHEEMUS, on ne peut ignorer l’impact du colonialisme et des normes sociales occidentales dominantes sur les relations amoureuses et érotiques des communautés autochtones. Ces douleurs coloniales incluent une quête identitaire profonde et un sentiment de mal-être qui affectent l’intimité profonde des Autochtones.

 

D’ailleurs, l’autrice Michi Saagiig Nishnaabeg Leanne Betasamosake Simpson, aborde l’amour de soi en premier lieu comme une solution qui aide à contrer les douleurs causées par le colonialisme dans les communautés autochtones ainsi que leurs impacts dans les relations interpersonnelles tant entre autochtones qu’entre autochtones et allochtones. Son livre Cartographie de l’amour décolonial appelle au pardon et à la guérison pour rendre possible la rencontre entre deux âmes.

 

L’amour décolonial est un concept popularisé dans les dernières années par les communautés autochtones anglophones. Le mot-clic #decoloniallove est particulièrement utilisé sur les réseaux sociaux. Un concept qui représente des générations d’Autochtones qui désirent se défaire des traumatismes liés à la colonisation pour s’aimer et pouvoir aimer l’autre.

 

Au Canada, l’un des symboles forts du colonialisme est la Loi sur les Indiens. Encore en vigueur aujourd’hui, cette loi a notamment inspiré la rédaction de la politique de l’apartheid en Afrique du Sud. En raison de la Loi sur les Indiens, les relations amoureuses des communautés autochtones deviennent d’ordre politique plutôt qu’émotionnel.

 

La reconnaissance du statut indien émis par le gouvernement fédéral a fait son chemin dans l’esprit de nombreux autochtones qui prennent cet aspect en considération pour choisir leur partenaire de vie. L’union entre deux individus devient un outil de transmission culturelle envers les prochaines générations pour éloigner le sentiment de recherche identitaire et pour éviter un génocide culturel.

 

L’autrice et militante Leanne Betasamosake Simpson rappelle d’ailleurs que « l’intime n’est jamais aussi politique que lorsqu’on subit de l’oppression. L’amour étouffe sans liberté, ce vaste territoire que doivent reconquérir à la barbe de leurs ennemis tristement nombreux, les jeunes autochtones » [Le Devoir, 2018].

 

 

 

ÉROTISME

1 . Nom masculin. Propriété de dires, gestes, comportements ou tenues qui suggèrent l’amour physique afin de susciter, accompagner ou augmenter le désir sexuel.

2 . Aptitude à éprouver des sensations de plaisir érotique (sensuel, sexuel), mode de satisfaction libidinale propre aux zones érogènes, à certaines fonctions vitales.

 

– Dictionnaire de la langue française

 

 

 

 

L’AMOUR À TRAVERS LES ÉPOQUES

 

 

AMOUR COURTOIS

 

Caractérisé par la tendresse et la passion, l’amour courtois n’est jamais consommé. On se brûle d’amour, on meurt d’amour, on se noie dans la souffrance de ne pouvoir dire et prouver à l’être tant désiré tout ce que l’on ressent. C’est un amour dévastateur, voire dangereux.

 

 

AMOUR VICTORIEN

 

Invention de la pudeur à l’ère victorienne. Il s’agit d’un amour qui est construit à travers de rigides normes sociales, un amour que l’on tente le plus possible de rationaliser. C’est une époque où il faut protéger la pudeur des gens, ne pas les soumettre à la tentation.

 

 

AMOUR POSTMODERNE

 

Le désir et la passion doivent être à la source de toute union et il faut savoir l’entretenir, voire le rallumer, puisque c’est l’amour qui doit être la raison principale pour rester avec cette autre personne. Ce n’est plus tellement le maintien d’une sécurité socioéconomique qui donne son importance à l’union, mais plutôt la garantie de maintenir le sentiment amoureux dans notre engagement individuel. (Source : Anne-Marie Shink, 2020)

 

Comprendre la société occidentale dominante est une étape essentielle à la décolonisation. La décolonisation est d’ailleurs un concept qui touche l’entièreté de la population, malgré le fait qu’on l’associe davantage aux peuples autochtones et afrodescendants. En effet, la colonisation et l’hyperindustrialisation ont entraîné des changements rapides qui ont des impacts sur l’ensemble de la société. En amour, les changements des derniers siècles causeraient une désorientation identitaire et affecteraient les sentiments eux-mêmes.

 

Le psychanalyste Jacques Lancan, en 1963, soulignait que l’amour n’est pas naturel, mais bien culturel. La construction sociale de l’amour a changé de manière accélérée dans les dernières décennies entre autres en raison du changement dans certaines valeurs fondamentales des sociétés occidentales. Hyperindustrialisation et la surconsommation ont tassé la valeur de la stabilité qui régnait tant dans le travail que dans l’amour pour laisser place à la mobilité, à l’adaptabilité et au changement.

 

À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, le sentiment de solitude et d’échec amoureux semble omniprésent dans notre entourage. En effet, ayant désormais le contrôle de toutes les sphères de nos vies, lorsque les relations amoureuses ne fonctionnent pas, la responsabilité retombe sur les épaules des individus. Illusion créée par une société hyperindustrielle qui favorise la consommation dans toutes les sphères de nos vies et qui présente tant le matériel que les relations interpersonnelles comme interchangeables à la moindre insatisfaction. L’attachement et l’intimité profonde deviennent alors des denrées rares.

 

L’autrice crie Virginia Pésémapéo Bordeleau aborde entre autres la construction d’un monde où allochtone et autochtones cohabitent, dialoguent et créent une identité fluide et métissée dans son roman L’amant du lac.

 

 

 

REPENSER L’AMOUR À TRAVERS LES ARTS

 

Notre conception de l’amour est grandement influencée par la culture anglaise grâce à la puissance de son empire colonial. Roméo et Juliette, Orgueil et Préjugés sont des histoires d’amour connues à travers le monde qui influencent la construction des idéaux amoureux et érotiques des individus à travers le monde [Anne-Marie Shink, 2020].

 

Le plaisir sexuel étant vu comme un péché selon la religion, l’association entre l’érotisme ainsi que les plaisirs corporels et émotionnels sont rejetés. Le mot érotisme prend ses origines du dieu grec de l’amour Éros relatif à l’amour physique. Les Grecques utilisent quatre mots différents pour définir les différents types d’amour.

 

ÉROS : amour physique

PHILIA : amitié et réciprocité

AGAPÉ : amour que l’on porte à son prochain

STORGÊ : amour familial et tendresse

 

L’une des créatrices invitées de NEECHEEMUS, Virginia Pésémapéo Bordeleau, est d’ailleurs une instigatrice de la littérature érotique autochtone au Québec. Par le biais de sa plume, l’autrice crie encourage la réappropriation des corps en connexion avec la force créatrice de la nature.

 

Dans son écriture, l’humain n’est pas le seul qui dégage de la sensualité et de l’érotisme, la nature en est capable elle aussi. Le lac, porteur d’eau et de l’origine de la vie, est un personnage important de son roman et joue un rôle fondamental dans la relation entre les amoureux.

 

Le vent se promenait sous les arbres en les flattant par dessous. Ils frémirent et levèrent très haut leur feuillage comme les filles de leurs jupes pour les amants. Alors, le vent s’excita, monta plus haut et remonta maintes et maintes fois, souffla plus fort et renversa les feuilles ruisselantes de la rosée du matin. 

 

– Extrait de L’amant du lac de Virginia Pésémapéo Bordeleau

 

 

L’autrice innue Natasha Kanapé Fontaine présente dans ses œuvres des personnalités féminines qui maîtrisent leur sexualité, leur plaisir et qui n’ont pas peur de l’utiliser. Selon l’autrice, le sens pratique du couple était beaucoup plus important pour les Innus que le romantisme. Les couples s’unissent pour former une équipe prête à braver les épreuves pour survivre ensemble.

 

Emilie Monnet, par l’œuvre NEECHEEMUS qui réunit des femmes des communautés autochtones et noires, espère que « repenser Amour et plaisir en termes de décolonisation peut être une porte de solution face au fléau de violences sexuelles dans nos communautés ».

 

 

 

Dossier dramaturgique réalisé par Véronik Picard

 

 

Véronik Picard

Véronik Picard est originaire de la communauté de Wendake et habite maintenant à Tiohtià :ke/Mooniyaang/Montréal depuis un an. Diplômée d’un baccalauréat en études internationales et langues modernes, Véronik Picard cumule plusieurs années d’expériences tant dans le milieu autochtone canadien que dans l’univers journalistique et médiatique québécois. Après avoir travaillé pour Tourisme Autochtone Québec, elle se déplace à Sydney en Australie où elle soutient les entrepreneurs autochtones canadiens désirant exporter leurs produits à l’autre bout du globe. En revenant à sa terre natale, elle devient journaliste spécialisée en sujets autochtones pour Radio-Canada. Toujours à la recherche de projets qui la passionne, Véronik Picard œuvre maintenant dans le milieu des arts et des cultures autochtones à titre de recherchiste, rédactrice, chroniqueuse et consultante.

 

 

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