Billetterie

Mal-être individuel et collectif, socialisme et utopie

Socialisme :

 

1- Nom masculin. Doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers, au moyen d’une organisation concertée.

2- Phase transitoire entre la disparition du capitalisme et l’instauration du communisme.

 

-Le Robert

 

 

 

Utopie :

 

1- Construction imaginaire et rigoureuse d’une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal.

2- Projet dont la réalisation est impossible, conception imaginaire.

 

-Larousse

 

 

 

C’est l’humaniste anglais Thomas More qui invente le terme utopie, dans un livre écrit en latin et publié en 1516, La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle île d’Utopie, généralement connu sous son titre abrégé Utopia. Il y construit l’idée de cette île d’Utopie, un monde dans lequel la propriété et la hiérarchie sociale n’existent plus et où les loisirs occupent une place prépondérante dans la vie des individus, réunis en communauté ; sorte de contre-image positive de ce que pourrait être l’Angleterre, si elle était mieux gouvernée.

 

 

Utopie est donc, à la base, un nom propre féminin, construit à partir du mot grec «topos» qui signifie « lieu » ou « région », associé au préfixe négatif « ou » (non) et qui peut se traduire par « en aucun lieu » ou « lieu qui n’est nulle part ».

 

 

 

SOCIALISME UTOPIQUE ET SOCIALISME SCIENTIFIQUE

 

 

Le socialisme dit « utopique » est un courant ayant comme volontés la transformation de la société et la mise en place de communautés alternatives dites idéales, selon divers modèles et règlements internes, au sein même du système capitaliste. La création de ces contre-sociétés socialistes à petite échelle ne repose pas forcément sur une révolution politique, un renversement ou une action réformiste de l’État, mais plutôt sur une initiative citoyenne et collective fondée sur une organisation harmonieuse et la lutte aux injustices. Ses adeptes dénoncent la propriété privée, le libre-échange, l’accumulation de richesses individuelles et la hiérarchie. Ce terme est principalement associé aux premiers penseurs et théoriciens socialistes européens du début du XIXᵉ siècle, tels que Robert Owen en Grande-Bretagne, Saint-Simon, Charles Fourier et Étienne Cabet en France.

 

 

Le socialisme utopique décline autour de 1870 alors que le marxisme (ou socialisme scientifique), inauguré par Karl Marx et son comparse Friedrich Engels, devient l’idéologie dominante et structurante du mouvement socialiste. Friedrich Engels fait la distinction entre les deux modèles de pensée dans son ouvrage de 1880, Socialisme utopique et socialisme scientifique. Il reproche aux socialistes utopiques leurs méthodes inappropriées et idéalistes, leur pouvoir d’action limité et le fait d’être incapables de résoudre concrètement la lutte des classes sociales. Engels et Marx sont en partie responsables de la popularisation du qualificatif «utopique» qui teintera péjorativement le travail et les théories de leurs prédécesseurs.

 

 

Le courant de pensée marxiste, fondé sur une analyse poussée et critique du capitalisme et de ses modes de production, prône l’unification des pôles « prolétariat » et « bourgeoisie » et donc, une victoire et une émancipation de la classe ouvrière, par un socialisme devenu science. Par la suite, le marxisme a engendré une multitude de mouvements politiques, en passant de partis socialistes plus modérés à des partis communistes radicaux et à des États socialistes comme l’Union soviétique, la Chine et Cuba.

 

 

Jordan : Comment on peut être bien nulle part? Les autres, y sont bien. C’est quoi, mon problème? Peut-être que je suis ingrat? C’est-tu ça, une dépression?

June : C’est pas toi, le problème! Personne est bien!

 

 

Les personnages de la pièce de Liliane Gougeon Moisan vivent, au départ, en huis clos, dans l’enfermement physique de leur condo respectif, mais aussi dans un certain enfermement psychologique, créé par ce qu’on attend d’elles et lui. Il/elles sont à la recherche incessante du bonheur à travers le sport, le rituel du souper, l’aménagement du bureau et le rêve vendu par la publicité.

 

 

Ces jeunes adultes à un carrefour de leur vie se questionnent tous à savoir s’il/elles veulent des enfants ou non, se projettent dans une vie familiale parfaite, celle que l’on voit dans les magazines, ou angoissent face à la pression sociale et les enjeux écologiques qui caractérisent leur époque et leur génération.

 

 

 

« J’en ai pas encore, des enfants…

Mais y me semble qu’on va être bien,

ensemble. »

 

-Bianca

 

 

 

« Fuck les deux chambres fermées.

Fuck les bébés.

Ça doit pas être trop difficile à défoncer, un mur… »

 

-June

 

 

 

Plus la pièce avance, plus nous assistons à une sorte de psychose individuelle et collective qui pousse à l’éclatement dudit huis clos. June manque d’air et finit par abattre les murs de son condo dont la cloison avec son voisin Jordan. Bianca fait des quantités phénoménales de nourriture qu’elle ne mange jamais, commande un congélateur-tombeau pour l’entreposer et finit par s’y enfermer. Ingrid, pour s’apaiser, installe une piscine pour enfant chez elle, qu’elle remplit et fait déborder en s’y plongeant, ce qui crée un dégât d’eau important.

 

Puis, tout s’effondre. Les condos et la vie telle qu’il/elles la connaissent.

 

 

 

« Faut tout repenser. Si on enlevait vraiment tous les murs? Même ceux qu’on a choisis.

Même ceux qui ont l’air importants. Même ceux qu’on voit pas. »

 

-June

 

 

 

La troisième partie de la pièce s’ouvre sur une ville/forêt aux allures dystopiques, sur un nouveau monde à créer. Le moment est venu pour les personnages de fonder leur propre commune autarcique, leur utopie, pour s’éloigner du capitalisme.

 

Chacun·e détermine le rôle qu’il/elle veut y jouer, même s’il est plus ou moins approprié.

 

Ingrid veut être chasseuse et délaisse son nouveau-né qu’elle vient de mettre au monde inopinément. Jordan, qui devient le papa parmi 3 mamans, souhaite être nourrice et allaiter le bébé, en croyant que son corps va s’adapter. Il s’accroche au poupon comme à une bouée et s’en occupe plutôt pour se sentir compétent et valorisé que pour la réelle survie du bébé.

 

 

 

« Avec un enfant, tu deviens comme… surqualifié devant l’existence. »

 

-Jordan

 

 

 

Bianca s’improvise agricultrice alors qu’avant, elle utilisait principalement des légumes congelés et qu’elle ne peut cuisiner sans suivre une recette précise. Elle ne fait preuve d’aucune patience (ni talent) et fait du chantage émotif à son potager avant de le détruire.

 

June, qui s’est nommée architecte de leur commune, finit par contrôler tout le monde et exiger que les choses soient faites comme elle le souhaite, quand elle le souhaite.

 

Vivre libre, mais finir par s’organiser, hiérarchiser, obliger.

 

Vivre sans rien, mais construire, développer, contraindre.

 

 

 

« Je pense que des fois, on a pas le choix de brusquer un petit peu le monde pour évoluer. Des fois, quand nos intentions sont bonnes, quand on sait qu’on milite pour le bien, faut qu’on agisse sans le consentement des gens. Sinon, on avance pas. »

 

-June

 

 

 

Leur désir d’utopie révèle donc progressivement leur égoïsme. Après l’échec du retour à la nature et du modèle alternatif, il et elles sont éblouis par les lumières de la ville, par les logos et les enseignes rassurantes. June est attirée par le nouveau projet immobilier moderne à échelle humaine : cent quatre-vingt-cinq unités au design épuré. Bianca par les épiceries, le styromousse, le cellophane et l’abondance de denrées, qu’elle ne mangera toujours pas. Jordan par son ancien bureau moderne, sa vie d’avant, le flot continu de notifications et d’informations.

 

Il et elles se refont avaler. C’est le retour à zéro.

 

Seule Ingrid s’émancipe et se libère vraiment de toute contrainte et de toute trace de son ancienne vie. Ce « changement de paradigme » éveille en elle un redoutable instinct de guerrière, d’Amazone. Celle qui disait au début de la pièce que « l’idéal, avec un corps, c’est de pas le sentir », n’est à la fin que dans son corps. Elle redevient animale.

 

 

 

« L’adrénaline monte, je deviens vraiment alerte,

mes réflexes décident de tout,

mon cœur bat vite.

Je me sens vivante, tellement vivante.

(…)

Pour la première fois de ma vie,

je comprends ce que ça veut dire

exister. »

 

-Ingrid

 

 

 

Recherche et rédaction : Sophie Gemme
Coordination : Valérie Hénault
Une création du Théâtre PÀP

 

 

 

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