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Dix ans après LA FUREUR DE CE QUE JE PENSE

Les carnets de La fureur de ce que je pense

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Par Karine Rosso

 

 

Il y a dix ans avait lieu la première de LA FUREUR DE CE QUE JE PENSE, un spectacle porté entièrement par des femmes qui braquaient les projecteurs sur les différentes facettes de l’œuvre de Nelly Arcan. Le grand public découvrait alors son écriture poétique et protéiforme; il commençait à prendre la mesure de toutes les couches de sens qui se cachaient sous les apparences sulfureuses de sa prose. À l’époque, il y avait déjà quelques mémoires et articles scientifiques portant sur les premiers romans d’Arcan : on y étudiait le système prostitutionnel, les effets déshumanisants de la cyberpornographie ou la réception critique — très souvent négative — de son écriture autofictionnelle.

 

 

Dans les dernières années, les recherches se sont intensifiées : un nombre élevé d’articles, de chapitres et de thèses ont étudié la portée sociologique de son œuvre, la façon dont l’écriture met au jour le « discours patriarcal » (à travers la voix du père, du grand-père, des amants ou des clients), en contestant les injonctions à suivre les codes normatifs en matière de beauté et de sexualité.

 

 

Des travaux récents insistent également sur l’importance de l’analyse psychanalytique dans ses écrits, sur les formes littéraires novatrices qu’elle a contribué à développer et sur sa manière si singulière d’écrire la ville. Pas étonnant qu’elle ait fait son entrée dans l’Atlas littéraire du Québec et dans le Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal aux côtés d’écrivain·es qui ont façonné l’histoire littéraire du Québec. Désormais, on inclut Arcan dans la filiation des écritures de l’intime (souvent confessionnelles ou sacrificielles), on intègre son apport dans l’enseignement de la littérature des femmes.

 

 

Or, son empreinte ne se mesure pas seulement à l’intérieur du cadre académique. La culture populaire s’est aussi saisie de son œuvre. Avant la réédition commentée de Putain aux éditions du Seuil (2019), il y a eu le film Nelly (2016) d’Anne Émond, l’hommage collectif dirigé par Claudia Larochelle dans Je veux une maison faite de sorties de secours (2015) et le roman Les Désastrées (2013) de Mélikah Abdelmoumen. Encore tout récemment, la chanteuse française Pomme sortait la chanson Nelly (2022) où l’on entend, en toile de fond, des extraits du désormais célèbre passage de l’autrice à l’émission Tout le monde en parle, en 2007.

 

 

Si on mesure parfois l’importance d’une œuvre par sa survivance dans les textes qui lui ont succédé, on peut affirmer que l’œuvre de Nelly Arcan continue de faire ricochet. On observe une série d’autrices et d’auteurs qui se revendiquent de son œuvre ou la citent dans leurs œuvres respectives. De Marie Darsigny à Antoine Charbonneau-Demers, en passant par Chloé Savoie Bernard et plusieurs autres, toute une génération d’écrivain·es creusent son sillon, car la démarche et la pensée de Nelly Arcan ont délié les langues, offert des résistances et inspiré des revendications. Son œuvre continue aujourd’hui de briller, non pas comme une étoile filante, mais plutôt comme un astre servant à éclairer les mille et une voix du récit de soi, et les personnes qui, comme moi, marchent dans ses pas.

 

 

Car pour nous, Nelly n’est pas une ennemie, mais bien une alliée. Elle représente le canari dans la mine, celui dont le chant et la mort tentaient de nous mettre en garde face aux dangers de « consommer la féminité » dans l’intimité et l’espace public. Sa lucidité décapante témoignait déjà d’un air vicié, mais dont il est possible de s’extraire par la prise de parole et la solidarité qui nous fait entrevoir un horizon où tous les corps et les rêves peuvent habiter. Dans la fureur et la résilience, dans la vigilance et la colère libérée.

 

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN

 

« Nelly Arcan, écrivaine [postface] », Putain, réédition commentée par Lilas Bass, Isabelle Boisclair, Lucile Dumont, Catherine Parent et Lori Saint-Martin, 2019, Paris, Seuil.

 

Nelly Arcan. Trajectoires fulgurantes, Isabelle Boisclair, Christina Chung, Joëlle Papillon et Karine Rosso (dir.), 2017, Montréal, Remue-Ménage.

 

Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal, Justin Bur, Yves Desjardins, Jean-Claude Robert, Bernard Vallée, Joshua Wolfe, 2017, Montréal, Écosociété.

 

Les filles en série, Martine Delvaux, 2013, Montréal, Remue-Ménage.

 

Atlas littéraire du Québec, Pierre Hébert, Bernard Andrès, Alex Gagnon, 2020, Montréal, Fides.

 

Je veux une maison faite de sorties de secours, Claudia Larochelle, 2015, Montréal, VLB.

 

De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan : se dire, se faire par l’écriture intime, Patricia Smart, 2014, Montréal, Boréal.

 

 

 

POUR POURSUIVRE PAR LA LITTÉRATURE

 

Les désastrées, Mélikah Abdelmoumen, VLB Éditeur, 2013

 

Daddy, Antoine Charbonneau-Demers, VLB Éditeur, 2020

 

Trente, Marie Darsigny, Éditions du Remue-Ménage, 2018

Les femmes savantes, Chloé Savoie-Bernard, Alias, 2018

 

Mon ennemie Nelly, Karine Rosso, Septentrion, 2019

 

 

 

**POUR (RE)DÉCOUVRIR L’ŒUVRE DE NELLY ARCAN

 

Arcan, Nelly, 2011. Burqa de chair, Paris : Seuil.

 

Arcan, Nelly, 2009. Paradis, clef en main, Montréal : Coups de tête.

 

Arcan, Nelly, 2007. À ciel ouvert, Paris : Seuil.

 

Arcan, Nelly, 2007. L’Enfant dans le miroir. Montréal : Marchand de feuilles.

 

Arcan, Nelly, 2004. Folle, Paris : Seuil.

 

Arcan, Nelly, 2001. Putain, Paris : Seuil.

 

 

 

Karine Rosso

Karine Rosso est une écrivaine, réalisatrice et libraire québécoise. Après la publication de son premier recueil, Histoires sans Dieu, en 2011 et une maîtrise en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal, elle entreprend un doctorat sur Nelly Arcan à l’Université de Sherbrooke en plus d’y occuper une fonction de chargée de cours. Elle assurera la codirection du recueil de nouvelles Histoires mutines (2016) et de l’essai Nelly Arcan, trajectoires fulgurantes (2017) tous les deux aux éditions du Remue-ménage puis Interpellations(s) : enjeux de l’écriture au « tu » (2018) chez Nota Bene. Parallèlement à ces écrits, elle cofondera la librairie l’Euguélionne à Montréal en 2016.

 

 

 

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