Billetterie

Portrait d’Olivier Cadiot

L’écriture d’Olivier Cadiot ne tient pas en place. Elle n’a pas le temps de s’arrêter. Elle nous file entre les yeux et bourdonne dans notre esprit au rythme des connexions neuronales qu’elle suscite. Ou qu’elle ressuscite. Et on n’a pas à se référer ici expressément à la nouvelle édition de la BIBLE chez Bayard en 2000, à laquelle a contribué Olivier Cadiot en s’associant à Marc Sevin pour la traduction du Cantique des cantiques, dans le Livre des psaumes. Car il y a beaucoup plus.
 
Il y a en effet chez Cadiot une inquiétude profonde, voire une angoisse, à l’égard d’un sens qui serait strictement figé, et c’est ce qui fait que l’écriture doive se délivrer dans ses formes diverses (poésie, roman, théâtre, traductions, chansons, opéra) au travers d’un torrent de mots où se bousculent les images : histoires-livres-journaux-vidéos-CD-DJ-iP… rock and roule! Les ruptures et les collisions qui apparaissent ainsi, littéralement ciselées et découpées dans la matière d’un langage devenu collage, sont celles auxquelles le modernisme nous a conviés tout au long du XXe siècle – et c’est là qu’apparaît entre autres une filiation matricielle avec l’écriture de Gertrude Stein. Mais ici, le travail des mots consent surtout à une expérimentation parfaitement ludique qui traduit l’accélération des choses. On y trouve un esprit vif, loufoque, qui s’amuse avec le sens en le déroutant dans une poursuite effrénée qui n’est pas sans rappeler Réjean Ducharme, ou un peu plus loin (et aussi sans doute un peu plus proche), Boris Vian.
 
Comme ce dernier d’ailleurs, Olivier Cadiot joue de la littérature en s’intéressant autant à la musique : il compose des chansons pour Bashung, pour Rodolphe Burger (Kat Onoma), et des livrets d’opéra pour Pascal Dusapin (depuis MIMI, POUR DEUX VOIX DE FEMME, HAUTBOIS, CLARINETTE BASSE, ET TROMBONE, en 1985, jusqu’à ROMÉO & JULIETTE en 1989). Cela fait partie de son héritage d’écrivain – performeur… devenu dramaturge depuis que le metteur en scène Ludovic Lagarde s’est intéressé à cette singulière écriture. Le Festival d’Avignon lui a également consacré, à l’été 2004, une invitation spéciale, dont une participation à un concert avec Burger et les copains dans la Cour d’honneur, au Palais des Papes, ainsi que la présentation de trois de ses pièces : FAIRY QUEEN, LE COLONEL DES ZOUAVES et OUI DIT LE TRÈS JEUNE HOMME (traduction de la pièce YES IS FOR A VERY YOUNG MAN, de Gertrude Stein).
 
De nouveau Stein… Cette filiation avec Gertrude Stein reste donc en effet très importante, voire centrale, pour Olivier Cadiot, et elle est principalement associée à un langage littéraire délesté de sa structure grammaticale. Pour Stein, cela traduisait notamment un renversement de l’ordre patriarcal, susceptible de rendre la littérature à une sensibilité autre, plus près des exigences (entre autres féministes) de son temps; chez Cadiot, cela se traduit par une sensibilité épidermique, devenue entre-temps autant masculine que féminine, au temps présent, ou plutôt à l’esprit du temps, qui file
décidément à une vitesse ahurissante.
 
On voit aussi poindre chez lui, plus largement et depuis longtemps, une américanophilie, déjà perceptible dans son livre Le dernier de Mohicans (1985) ; et ainsi, lorsqu’on voit par exemple l’allusion en clin d’œil à Lafayette dans la version écrite de FAIRY QUEEN, il s’agit bien sûr du même marquis français qui a participé à la guerre d’Indépendance des États-Unis contre l’Angleterre au XVIIIe siècle, et celui auquel se référait en retour l’armée étatsunienne au moment de son débarquement en France lors de la Première Guerre mondiale (Lafayette re-nous-voilà!) – témoignage de ce dialogue entre ces deux cultures et ces deux mondes, et de leur fascination réciproque. Mais nous nous égarons, n’est-ce pas? Lafayette, le rythme du jazz, la nouvelle littérature, Gertrude Stein, et le nouveau contexte ambiant, cela fait bien trop vieux, enfin, bien trop XXe siècle et même plus : déjà dans les années 1920, les Allemands de Berlin se plaignaient de l’américanisme… pendant qu’il florissait à Paris. Et le duo Cadiot-Lagarde, ce serait comme… Django Reinhardt et Stéphane Grappelli !?! Com… comment?!? Mais non, allons, on ne swingue plus comme cela! Aujourd’hui, c’est le rap, le techno, la déconstruction radicale… Alors le duo Reinhardt-Grappelli… Comme dans l’entre-deux-guerres, et l’après-guerre, dites-vous?!! M…m …mais depuis, et aujourd’hui, il n’y a pas (eu) de guer…? Oui, il y a bien eu la guerre froide, jusqu’à la chute du mur, mais depuis… pas de guerre, hein? HEIN ?!?? Mais quand même, pas de bombardements – sauf ceux, constants, de l’information…
 
Olivier Cadiot est né en à Paris 1956.
 
 
Dossier réalisé par Jean-François Côté