Avec LE PETIT BOIS d’Eugène Durit, ESPACE GO poursuit son incursion dans le répertoire francophone contemporain.
Par le propos et la langue, la pièce interroge de manière radicale et originale la convention théâtrale. Dans ce théâtre de l’intime, propice à une implacable traversée des apparences, s’impose une parole d’homme, rarement entendue, charnelle et impudique, amoureuse et violente. L’histoire racontée donne le vertige et fait redécouvrir le sens incontournable de la compassion et de la lucidité.
Un grand vertige amoureux
Dans un village sans nom, sous un ciel de pleine lune d’automne, un vieil enfant s’aventure dans le petit bois aux putes. Ce qu’il voit et entend près de l’arbre blanc lui crève les yeux. Dans un fracas de lumières et de ténèbres confondues, il connaît pour la première fois l’extase amoureuse. Entre ses mains qui ne savent pas ce qu’elles peuvent faire en dehors de lui, le visage de la femme crainte et tant désirée ressemble tout à coup à celui de la Vierge Marie.
Poursuivi pour un crime qu’il a peut-être commis, cette nuit-là de lune sauvage, il se terre à l’abri des chiens qui aboient loin, proche. Dans sa tête se déploient au rythme d’un manège de foire déglingué tous les pans de sa vie muette, dévastée, appréhendée. S’étalent au grand jour et contre tout interdit mille et une fêtes païennes inventées pour endormir la douleur d’un amour disparu, celui de Clara sa sœur, pour étouffer la mémoire d’un crime originel : celui d’être né homme réprouvé par tout le village. Dans la rosée du matin, un homme enterre son enfance et accède à sa vérité, celle d’une enfance muette et douloureuse, celle d’un destin tragique dont il n’est pas responsable.
Dans LE PETIT BOIS, les mots se délient, se tendent à l’extrême et se reprennent, comme attachés à une spirale prête à exploser. Tel un sorcier, un déterreur de mines, un sculpteur de fresques païennes, Eugène Durif sait mettre en scène la dérive affolée des sens dans un corps d’homme trop lourd pour étreindre, le délire mystique d’un enfant interdit de séjour dans un corps d’homme.
Outre LE PETIT BOIS créé au T.N.P. de Villeurbanne, en 1991, Eugène Durif a écrit plus d’une dizaine de pièces dont la plupart ont été produites sur des scènes françaises ou réalisées par France-Culture. TONKIN-ALGER a fait l’objet d’une lecture publique à Montréal, en 1991 à l’intérieur de l’événement Paris-Montréal coproduit par le Centre des auteurs dramatiques et Théâtrales de Paris.
Avec Eugène Durif, ESPACE GO, une fois de plus, repousse les frontières du théâtre et plonge avec lui dans le trou de mémoire de l’Histoire vécue au jour le jour par des hommes et des femmes au-delà de tout soupçon.
Lorraine Hébert
Conseillère dramaturgique