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Une histoire vraie

Bérénice – Princesse juive née en 28, soit avant la mort du Christ. Petite-fille d’Hérode le Grand, à qui l’Évangile selon saint Mathieu attribue le massacre des saints Innocents; fille d’Hérode Agrippa 1er responsable de la mort de Jacques le Majeur et de l’emprisonnement de saint Pierre, selon les Actes des Apôtres XII; nièce d’Hérodiade, qui obtint la tête de saint Jean-Baptiste sur un plateau d’argent; et sœur d’Hérode Agrippa II, avec lequel on l’accusait d’avoir des relations incestueuses. C’est devant elle et son frère que saint Paul présenta sa défense à Césarée, en 59. En 67, Titus, qui avait douze ans de moins qu’elle, s’en éprit passionnément. Il l’emmena à Rome, mais renonça à l’épouser devant l’opposition publique romaine. Elle mourut en 79, à 51 ans.
 
L’empereur Vespasien, père de Titus – Né en 9, il régna sur l’Empire romain de 69 à 79, année de sa mort. Vespasien n’était pas un noble : petit-fils de centurion et fils de publicain, rien ne le désignait à l’Empire. Il fut proclamé empereur par les légions d’Orient. Alors qu’il dirigeait la guerre de Judée, en juillet 69, au tout début de son règne, il laissa le commandement militaire à son fils Titus, alors âgé de 29 ans, et revint en Italie. Titus acheva le siège de Jérusalem en 70 : le temple fut définitivement détruit, les Juifs ravalés au rang de dediticii, soit « ceux qui sont rendus à sa merci », et leurs terres furent réunies aux biens impériaux. Réputé pour son avarice, Vespasien alla jusqu’à imposer une taxe sur les latrines (toilettes publiques) qu’on nomme, encore aujourd’hui, vespasiennes. Monarque absolutiste, il instaura le système de succession dynastique en choisissant l’aîné de ses fils, Titus, pour successeur.
 
Titus – Fils de l’empereur Vespasien, né en 40, il servit sous les ordres de son père et termina la guerre de Judée. Rentré à Rome, il célébra son triomphe et fut associé par son père à l’Empire. Il monta sur le trône en 79, à la mort de ce dernier. Violent et passionné débauché notoire et, de plus, épris d’une princesse juive, Bérénice, qu’il se proposait d’épouser, son comportement laissait présager un règne digne du sanguinaire Néron. Une fois au pouvoir, il ne voulut plus être que le bienfaiteur de l’empire et ne signa aucune condamnation à mort pendant son règne. Il reçut le qualificatif flatteur de « délices du genre humain ». Mais l’Italie connut pendant son règne une série de catastrophes : un nouvel incendie de Rome, des épidémies meurtrières et l’éruption du Vésuve, en août 79, qui ensevelit Herculanum et Pompéi. Titus mourut en 81, à 40 ans, laissant le trône à son frère Domitien puisqu’il n’avait aucun descendant.
 
 
Hypothèses à partir de l’histoire vraie
 
La pièce de Racine se passe en 79, huit jours après la mort du père de Titus, Vespasien. C’est donc le tout début du règne de Titus, héritier du trône et d’un formidable empire. Il a le seul tort d’être amoureux d’une étrangère – une Juive – qu’il veut épouser et en faire l’impératrice, ce que le code de Rome interdit.
 
Dans l’histoire vraie, Bérénice meurt en 79, soit l’année de sa rupture avec Titus et de son départ précipité de Rome. Elle avait promis à Titus de ne pas se donner la mort, mais on peut supposer que son exil amoureux l’a tuée plus sûrement qu’elle ne l’aurait fait elle-même.
 
Toujours selon l’histoire vraie, Titus, de son côté, lui survit deux ans, jusqu’en 81. Alors qu’il avait toutes les dispositions d’un barbare sanguinaire, l’Histoire dit que, au contraire, son règne fut bénit. Comme la rupture avec Bérénice correspond au tout début de son règne, on peut supposer que, à travers l’exercice du pouvoir, il ne veut pratiquer que la bonté extrême envers ses peuples, et qu’il continue de vivre ainsi, dans une sorte de sacerdoce amoureux, son amour pour Bérénice. Ce qu’il n’a pas pu donner à Bérénice, il l’offre à ses sujets. Et l’empereur Titus utilise dans son règne tout ce que Bérénice a donné à l’homme Titus à travers son amour absolu : tendresse, soutien, empathie, douceur, chaleur.
 
Après le départ de Bérénice, on dirait que le sort s’acharne sur Rome et l’Italie dans une sorte de récupération de la formidable énergie noire créée par la rupture de Bérénice et Titus. Coïncidences? Pendant les deux années du règne de Titus et, donc, de l’absence de Bérénice, Rome est dévastée par un nouvel incendie, des épidémies meurtrières déciment la population et le Vésuve engloutit Herculanum et Pompéi sous sa lave, exactement à l’image de l’amour brisé qui a dévasté Bérénice et Titus et les a fait mourir tous deux en moins de deux ans.
 
 
BÉRÉNICE, une histoire encore vraie…?
 
Ce ne sont que des hypothèses hasardeuses. On peut s’amuser. Mais peut-être que l’amour a plus de pouvoir qu’on ne le croit? Peut-être que l’amour de Titus et Bérénice était de nature volcanique et peut-être qu’il continue d’exister de façon autonome, sans les deux personnes qui l’ont mis au monde, même après la disparition des amoureux? L’amour de Bérénice et de Titus s’est sûrement transmis à d’autres, parce qu’il n’a jamais su comment mourir. Il essaiera toujours, fantôme fatigué, d’aller au bout de lui-même, sans contraintes d’aucune sorte, libre.
 
Comme le dit Bérénice à Titus et Antiochus, son autre amoureux qui ne peut rien espérer d’elle, à la toute fin de la pièce:
 

« Adieu : servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’histoire douloureuse. »

 
C’est Bérénice qui a le dernier mot, en dehors d’Antiochus qui ne peut que soupirer « Hélas! » devant son amour impossible. Et comme de juste, l’Histoire a gardé précieusement l’amour de Titus et Bérénice depuis près de 2000 ans, cet amour dont Jean Racine a fait sa plus belle pièce il y a 322 ans. Comment ne pas être touché par cet amour qui veut vivre sa vie de façon si acharnée? Parce que même s’il est empêché après douze ans de vie intense, l’amour de Bérénice et Titus nous donne encore le goût d’aimer. C’est peut-être ça qu’on appelle la magie du théâtre.
 
 
Hélène Pedneault