NIGAMON/TUNAI propose un rituel performatif, dont la forme se renouvelle constamment, selon l’espace-temps de chacune des représentations. Cette nouvelle forme prend racine dans la circularité et l’immersivité, dans la présence des arbres vivants, dans la disposition du public sur de petits bancs proches du sol, dans leur proximité avec les interprètes, dans le temps pris pour que les sons s’établissent… Ainsi émerge une nouvelle façon d’être ensemble, de ressentir et de partager, générées par l’écoute profonde – en faisant entendre et résonner les territoires où nous sommes nées, territoires habités depuis toujours par nos ancêtres.
Cette forme scénique, partagée avec une forte présence du vivant, est vouée à une écoute ritualisée des sons et des voix, au ressenti des vibrations sonores émises par l’eau, les pierres et le cuivre, vibrations également perceptibles dans les troncs d’arbres.
« J’écoute et je traduis ensuite en sons ce que j’entends. L’écoute se manifeste alors en parole : les sons deviennent des mots, font résonner l’inga et l’anishinaabemowin, dont les sonorités rappellent les voix des tortues, des pierres et des oiseaux. »
-Émilie Monnet
L’œuvre déploie un langage sonore multilinguistique et sensoriel. Le cerveau fonctionne autrement quand il est stimulé dans plusieurs langues, cela génère une autre façon d’être en relation avec les autres, d’être réceptif. Onishka continue ainsi la recherche pour faire co-exister plusieurs sonorités ensemble sur scène.
À la fois documentaire et immersif, l’espace performatif/scénique est activé par la matérialité des corps, des voix et des souffles d’Émilie et Waira, par l’utilisation d’objets sonores inventés par l’artiste plastique colombien Leonel Vasquez qui font entendre les chants des pierres et de l’eau.
Le temps de la représentation, Waira et Émilie deviennent un canal pour faire entendre le territoire, les voix inaudibles ou délaissées, dans la frénésie de notre rapport au temps et à la consommation.
Liens, territoires
Conformément à la mission d’Onishka, l’art peut être catalyseur/instigateur de changement social, de prise d’actions concrètes, en lien avec les enjeux, les luttes et les mouvements de résistance des peuples autochtones, tant au niveau local qu’international, et c’est ce qui anime chacun des projets développés par la compagnie. Nous nous posons concrètement la question : comment la création et la diffusion de NIGAMON/TUNAI peuvent participer à la protection des savoirs autochtones et à freiner l’extraction minière canadienne en territoire inga?
Notre démarche artistique est ancrée dans un processus collaboratif, communautaire et nourri par les liens d’amitié et de solidarité que nous avons tissés au fil des années. Le thème de l’amitié en termes de solidarité est le cœur du projet, dans les réflexions et les questions que l’œuvre porte (comment être un·e bon.ne allié·e?), mais tout autant dans le processus même de collaboration et de création artistique.
L’espace de création et des répétitions est donc ancré au territoire, réceptif aux énergies qui nous entourent et à la manifestation du sensible. C’est un espace théâtral connecté aux différents territoires où se déploient les activités de création et les échanges artistiques et spirituels. C’est là où on peut entendre et capter les chants des rivières et des arbres qui se balancent sous les caresses du vent. C’est de là que tous les sons et les voix du spectacle proviennent.
Solidarité, vulnérabilité, réciprocité
Notre processus de création s’inscrit dans la durée, et la vulnérabilité : la venue de Waira dépend toujours de l’état de sa vie en Colombie, de la violence et de l’ampleur de la menace qui l’entoure. Cette violence est notamment en lien avec la question territoriale : les accords avec les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) qui occupaient le territoire ont laissé le champ libre à une surexploitation des ressources naturelles par des compagnies minières – majoritairement canadiennes. La violence envers les peuples autochtones et les meurtres d’activistes environnementaux ont grandement augmenté.
En implantant un processus de création plus long, nous voulons incarner les valeurs autochtones liées au respect, au temps, à la générosité et la réciprocité. Le projet est marqué par un grand cheminement que nous avons effectué pour nous sentir prêtes, à la hauteur du projet, bien rendre honneur aux savoirs partagés avec nous.
NIGAMON/TUNAI s’inscrit dans un projet plus large, soit une plateforme d’échanges et de solidarité entre les communautés inga et anishinaabe (et autres nations autochtones). Depuis le début, nous nous assurons que le processus et la collaboration soient bienveillants, porteurs de bienfaits et d’actions concrètes, tant pour l’équipe que pour les communautés.
Onishka désire contribuer à transmettre les savoirs autochtones, les empêcher de disparaître. Nos projets sont tous marqués par la rencontre entre les savoirs traditionnels et un langage artistique fortement contemporain, adressant des questions d’identité, de mémoire, d’histoire et de transformation. Renforcé par l’apport créatif de Waira Nina et de la communauté Inga, NIGAMON/TUNAI est dans la continuité de notre désir de redonner une place aux paroles, savoirs et histoires autochtones, de créer des spectacles nés de collaborations uniques entre artistes de différentes cultures et disciplines.