« Quelque chose se produit dès que nous entrons dans la salle de spectacle. Le dispositif théâtral habituel – le public assis en rangées devant la scène, dans une position où son regard ne rencontre rien d’autre que celle-ci – est transformé. Au centre de la salle s’élève une scène pentagonale, espace magique, autour de laquelle sont distribués les sièges. Assis·es ainsi en cercle, on prend conscience des gens qui nous entourent. La parole d’Émilie Monnet ne se perd pas quelque part au-dessus de nos têtes, mais circule parmi nous. On est au plus près de l’artiste, l’atmosphère est intime. Si je prends le temps de décrire cette disposition de la salle, c’est qu’elle est révélatrice, pour moi, de ce que nous propose l’artiste : plus qu’une performance, une expérience qui nous engage personnellement. Rien n’est ici donné d’emblée : entre l’atmosphère onirique dans laquelle baigne le début de la pièce, les paroles en anishnaabemowin, la métaphorisation kaléidoscopique du propos et les encarts didactiques, le public doit lui aussi travailler à reconstruire l’histoire. Ce n’est jamais obscur (au contraire, la structure du texte est extrêmement bien aménagée), mais on ne peut se contenter d’assister passivement à ce qui se déroule devant nous. En nous partageant une partie de son apprentissage, Émilie Monnet nous permet aussi de cheminer dans le nôtre – premier pas sur le chemin de la réparation.
La beauté d’une pièce comme celle-ci trouve son pendant dans la difficulté qu’il y a à en faire une critique. Il y a tant de fils à tirer, et trop peu d’espace pour le faire. Okinum demande qu’on en parle, qu’on s’interroge, qu’on partage notre expérience. Je ne peux m’empêcher de me dire qu’Émilie Monnet nous transmet un peu de cette médecine que lui a offerte Amik. Du fait de l’intimité de la représentation, de la vérité de la performance, du dosage entre le côté personnel et historique, cette parenthèse hors du réel (comme les rêves qui parlent à Émilie) nous montre une voie vers la guérison : l’apprentissage et la parole. À nous d’en faire bon usage. »
Valérie Savard, Spirale Magazine
« Émilie Monnet, femme de théâtre anichinabée, poursuit sa quête identitaire avec un solo envoutant, engagé, et légèrement imparfait. Le chant d’Émilie Monnet. Une voix harmonieuse, ferme, qui enveloppe la salle d’un sentiment sacré. Qui sort de sa bouche comme une «épée de lumière», tranchante et chaude. Quand on apprend qu’un cancer de la gorge a failli emporter cette magie, on la reçoit comme un cadeau précieux. Justement, c’est sur le chemin de cette maladie que nous amène Okinum, mais ici, la douleur n’est pas une plaie: c’est un éveil pour tenter de comprendre sa parole presque engloutie par le silence, autant la sienne que celle des autres femmes anichinabées qui sont venues avant elle.
Entourée du public, Monnet est seule dans un décor dépouillé: une scène pentagonale au centre de l’espace, bordée de peaux de castor d’où la comédienne et autrice émerge comme d’un terrier. Les éclairages construisent le reste de la scénographie avec brio, et nous transportent tantôt dans l’espace, tantôt à l’hôpital, en forêt ou dans une tente. Au-dessus de nos têtes, des écrans dorés qui deviennent des extensions de son esprit, de ses rêves, de ses hallucinations, de ses savoirs. Seule autre présence humaine dans l’espace: Jackie Gallant, en retrait derrière son clavier, qui répond en sons et en musiques aux actions de l’actrice dans une symbiose qui rend l’environnement sonore presque tactile. Monnet porte une combinaison noire où sont brodés en cuivre des mots en anishinaabemowin (langue héritée de son arrière-arrière-grand-mère), mots qui se précipitent vers sa gorge pour sortir, mais qui bloquent en un amas ramifié qui rappelle le barrage du castor (« okinum » en anishinaabemowin). »
Éric Leblanc, Atelier 10
« Aux premiers instants d’Okinum, un cri étrange emplit l’espace scénique, une sorte d’appel mélancolique et inquiet, non identifiable, à mi-chemin entre le huard et le loup. C’est le cri d’un castor, animal emblématique des territoires nordiques, qui deviendra le point focal d’une réflexion intime sur le corps, l’identité et les fissures ouvertes par les violences coloniales. Okinum signifie « barrage » en anishinaabemowin, et Émilie Monnet saura tout au long de la pièce mobiliser le caractère polysémique du terme avec puissance. Le barrage est une séparation – tantôt une protection, tantôt un obstacle, mais toujours signifiant d’un état de fait irréconciliable. Le barrage du castor, composé des « os de la forêt », qui cohabite bien mal avec les murs de béton s’imposant sur les lits de nos rivières, incarnations du rêve hydroélectrique devenu mythe constituant de la nation québécoise. Le barrage « dans la gorge », où le cancer de l’autrice se répand, mais aussi où la parole trouve son origine, et où le triple héritage linguistique d’Émilie Monnet – anglais, français et anishinaabemowin – cohabite. Et, bien sûr, les barrages psychologiques, culturels, politiques et économiques qui persistent depuis les débuts de la colonisation.
Okinum est une réflexion fascinante sur le langage, sur ses rapports à l’identité et ses pouvoirs de guérison. En retrouvant la parole de ses ancêtres, on a l’impression que le personnage redécouvre son monde, que les douleurs multiples qu’elle porte en elle sont transmuées par un tissu de signes qui lui devient familier. L’apprentissage d’une langue devient le lieu d’un rapprochement, avec la filiation, mais aussi avec l’environnement, car la sémantique de l’anishinaabemowin est celle d’une proximité avec le vivant.
Au-delà de sa brillante conceptualisation, Okinum est portée par une excellente performance d’Émilie Monnet, interprétant son propre texte, sorte de monologue autobiographique entrecoupé de rêves, de souvenirs et de théâtre documentaire. On pense notamment à cette scène cathartique où elle dénonce sans détours les violences de la colonisation. Mais aussi, à ses mouvements sur scène, qui dynamisent la performance et permettent aux spectateur·rice·s de se repérer facilement à travers les bifurcations narratives. La scène de l’Espace Go – intime et circulaire – semble d’ailleurs parfaitement adaptée pour la pièce, dont l’unité repose tant sur le texte que sur l’utilisation de l’espace, du son et des images. Unité d’ailleurs renforcée par les trois langues utilisées lors de la performance, qui deviennent éléments constituants de la narration elle-même.
Le concept de réconciliation atteint tranquillement son point de saturation et se galvaude chaque fois qu’il est employé dans les discours politiques et médiatiques. La force d’œuvres telles qu’Okinum est d’articuler la charge affective qui accompagne les défis de la réconciliation en rapportant ses enjeux à un réel affranchi des rhétoriques politiques, c’est-à-dire à un réel constitué d’un territoire, de vécus et d’individus souffrant encore aujourd’hui de la présence invasive des barrages. »
François Ouimet, Le délit
« Une scénographie hors du commun. Une interprétation poignante. »
Nancie Boulay, BP Arts Média
« Émilie Monnet nous présente une nouvelle mouture de sa pièce Okinum, qui semble faire une quinzaine de minutes de moins que celle du Théâtre d’Aujourd’hui. Elle a sans doute gagné en efficacité et en intensité!
On se retrouve au carrefour de la cérémonie, de la performance et du chant. Le genre théâtral permet d’englober tout cela. Il revient ainsi à sa source qui est d’offrir présence à des existences et aux questionnements qui émergent du fait d’être. Si bien que quelque chose de profondément essentiel émane de cette prestation.
L’art semble ici célébration de la vie; il n’en est pas séparé. Il provient de sa source même. Il est un savoir singulier, mais savoir tout de même! Ressourcement, réparation, remédiation : tout est bon à expérimenter dans ce cadre qu’Émilie Monnet a construit et se construit devant nous. La pièce est réconciliation avec soi-même, d’abord et avant tout! Avant de pouvoir l’être avec ceux qui iront la voir. L’artiste vit et revit donc un rituel qui tend à la libérer.
On comprendra, au vu d’un tel programme, que les formes du spectacle varient. Performance, ajout de fragments documentaires, scènes extérieures projetées sur écran, à caractère rituelle, chants puissants : on croirait revenir aux sources de l’aventure cathartique du théâtre. Il s’agit d’expulser le mal et le personnage central est celui qui doit s’en charger. Comme, aussi, de se retrouver entière, en phase avec son propre univers culturel, aujourd’hui à retisser. »
Sylvain Campeau, En toutes lettres
« Un appel au dialogue, mais aussi un accès de colère contre la marche dysfonctionnelle du monde; une main tendue, mais aussi un geste qui indique clairement qu’il est temps de partir : la pièce Okinum, écrite et interprétée par l’artiste autochtone Émilie Monnet, tente, en 55 minutes seulement, de résumer la relation entre les premiers peuples et ceux qui les ont suivi…
Après quelques minutes, on comprend qu’Okinum est la représentation des pensées qui se bousculent dans l’esprit de la comédienne. Nul doute que le public aurait lui aussi le cerveau rempli d’images, de son, voire d’odeurs… N’aimerions-nous pas retrouver ce qui fait de nous des individus distincts? N’aurions-nous pas ce désir de revenir à la source, de retrouver nos racines? À cela, et à bien d’autres choses, il nous faudra continuer de réfléchir, même une fois les lumières rallumées à l’Espace GO. »
Hugo Prévost, Pieuvre.ca
Avant 2022
« Après les pionniers du théâtre autochtone qui s’activent depuis des années trop souvent hors des réflecteurs, le spectacle d’Émilie Monnet est le premier de la saison 2018-2019 à agrandir la brèche dans cette digue qui n’a tout simplement plus de raison d’être en 2018. Sa pièce Okinum (barrage, en anishinaabemowin) le fait avec aplomb et dignité. La mise en scène est précise, complexe, continuellement soutenue par la magie de Jackie Gallant à la console. C’est un court spectacle son et lumière impressionnant. »
Mario Cloutier, La Presse
« Monnet défend son texte avec toute la conviction nécessaire, empruntant avec doigté, dans un riche dialogue avec l’environnement sonore de Jackie Gallant et les éclairages de Lucie Bazzo, les registres les plus divers.
Intime et collectif, nature et culture, passé et présent, ville et forêt, mythologie et technologie… des nombreux sujets qui sont abordés, des multiples symboles qui sont conviés, pas un seul ne l’est en vain. Le spectacle nous entraîne aisément des profondeurs de la terre à l’immensité du ciel étoilé, des travaux éternels des castors à ceux d’Hydro-Québec. Impossible de ne pas s’émouvoir devant pareille entreprise de réappropriation culturelle, réconciliation du corps et de l’esprit où la créatrice retrouve les chants et les mots de son arrière-arrière-grand-mère, renoue avec cette extraordinaire cosmogonie qui a bien failli lui échapper, tout comme à nous. »
Christian Saint-Pierre, Le Devoir
« L’artiste pluridisciplinaire Émilie Monnet débute sa résidence au CTD’A avec autant d’éclat que de brio: Okinum nous immerge dans une dramaturgie aussi irrésistible que captivante et profondément brutale. »
Éloïse Choquette, Pieuvre.ca
« La configuration circulaire de l’espace est assez remarquable : l’interprète de sa propre histoire évolue sur un tréteau de forme pentagonale, au début recouvert de peaux de castors, qui servira de support à des projections, puis, éclairé par en-dessous, évoquera le monde invisible, si présent dans les mythologies autochtones. […] Les enchevêtrements du récit personnel de l’artiste, de ses séjours difficiles à l’hôpital, font écho à tout ce qui a été enlevé aux Premières Nations au fil des siècles, et aboutissent à une colère assumée contre les rapports de pouvoir colonialistes qui perdurent encore aujourd’hui envers ces peuples. »
Raymond Bertin, Revue JEU
« Extraordinairement pertinent, ce récit touchant incite le public à réfléchir sur la question de l’identité, et à la manière dont nous percevons le Canada. »
Violette Drouin, Le délit français
« La métaphore du castor géant et son barrage est au cœur même de ce spectacle émouvant. La voix forte et poignante de la comédienne vient nous chercher jusqu’à l’âme. »
Tan Bélanger, ARP Média
« Émilie Monnet, de par sa présence et sa vision, provoque chez nous plusieurs réflexions. Son message intemporel a la force de l’universalité. L’universalité qui est le propre des grandes œuvres d’art. »
Charles A., Océane’s Family