Lauréate de l’édition 2021 du prix Jovette-Marchessault
Spécialiste en design et en conception du son, Nancy Tobin s’est imposée depuis trois décennies comme une collaboratrice essentielle de la scène québécoise. Elle s’est notamment révélée une pionnière dans le domaine de la spatialisation sonore. Mettant son savoir-faire au service des créations, Nancy Tobin est l’une de ces artistes dont le travail, pour être invisible, discret, n’en est pas moins crucial dans la construction des œuvres. Une grande humilité nécessaire à la conception sonore, croit-elle, le métier requérant de « s’imbriquer dans tous les univers du spectacle sans vraiment paraître ». En parallèle, l’artiste a aussi signé, en solo ou en groupe, de nombreuses performances sonores, avec des générateurs de sonorités qu’elle invente elle-même.
La longue liste des projets artistiques auxquels la conceptrice est liée témoigne de l’étendue de son travail dans le champ de tout ce que l’oreille peut capter : création d’environnements et d’effets sonores, de partitions musicales, élaboration de dispositifs sensibles de captation et de diffusion des voix. Son écriture sonore, mise au point avec les bruits enregistrés, les consoles, les haut-parleurs et microphones a contribué à tant d’œuvres de qualité, dans les domaines du théâtre, de la danse ou des installations muséales.
Nancy Tobin se veut au cœur du processus créatif des spectacles, poursuivant sa quête au fil des répétitions : sculpter le son comme une matière, en restant attentive à la poésie qui se dégage. Un labeur tout en délicatesse et en inventivité, qui dépasse largement la simple illustration sonore des récits. En témoigne sa récente collaboration à la production de LES BARBELÉS d’Annick Lefebvre au Théâtre de La Colline, à Paris (2017) dans une mise en scène d’Alexia Bürger : sa conception sonore évocatrice a été qualifiée de véritable deuxième personnage du spectacle, entretenant un dialogue avec la protagoniste.
Plusieurs des créateurs et créatrices réputé·es avec lesquels Nancy Tobin a travaillé lui ont renouvelé régulièrement leur confiance. À partir de CONCERTO GROSSO POUR CORPS ET SURFACE MÉTALLIQUE, en 2000, la chorégraphe Danièle Desnoyers en a fait une importante complice artistique, faisant appel à ses manipulations sonores pour explorer dans plusieurs créations les liens entre les corps et le son.
Nancy Tobin a également signé des conceptions sonores pour quelques notables incursions qu’a effectuées le réalisateur François Girard en dehors du cinéma. Sur NOVECENTO d’Alessandro Baricco (2001), la conceptrice a relevé le défi de produire dans sa riche composition une multiplicité de sons différents à partir des sonorités – mixées et rendues méconnaissables – tirées d’un unique instrument, un piano à queue. Et dans LE PROCÈS, adaptation du roman de Kafka (2004), sa partition constituée de chuchotements vocaux et de sons créés avec ingéniosité par le frottement d’objets usuels plutôt que par le recours à des instruments musicaux venait nourrir l’atmosphère inquiétante, paranoïaque de la pièce.
En 1998, sur LES TROIS DERNIERS JOURS DE FERNANDO PESSOA, elle démarre avec Denis Marleau, le codirecteur artistique d’UBU compagnie de création, une recherche sur la diffusion intimiste des voix grâce à la technologie. Très soucieuse de ce qui forme la spécificité du théâtre, soit le caractère vivant, au présent de l’expérience, et particulièrement sensible à la voix, la conceptrice est déterminée à ne pas la couper du corps de son émetteur, l’interprète sur scène.
S’inspirant de ce qu’elle a appris lors de stages à Londres et à New York, Nancy Tobin a ainsi développé sa propre approche d’amplification vocale des interprètes. Une manière d’augmenter le volume sonore des interprètes afin de les rapprocher du public, tout en préservant le caractère acoustique, la texture naturelle de la voix.
Nancy Tobin a collaboré pas moins de quatorze fois avec Denis Marleau, soit en tant que conceptrice sonore, soit en charge de créer le dispositif de diffusion et de captation du son. On se souviendra, entre autres projets, de son enveloppante partition conçue pour LES AVEUGLES de Maurice Maeterlinck (2002), marquante installation théâtrale au Musée d’art contemporain de Montréal. L’artiste y était parvenue à imaginer, de manière très évocatrice, l’environnement sonore poétique d’une forêt, tel que perçu avec une acuité accrue par des personnages privés de vision.
Son engagement envers son art, son exigence sont aussi perceptibles dans sa volonté de parfaire son apprentissage ou de toujours se perfectionner, malgré l’expérience et la reconnaissance accumulées. Déjà détentrice d’un baccalauréat en art dramatique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 1989, elle y a ajouté une maîtrise en théâtre en 2017. Dans son mémoire intitulé Le son au théâtre et en danse contemporaine: les principes conceptuels récurrents de ma pratique, elle analysait son propre travail. Depuis 2019, elle poursuit également un doctorat, en Études et pratiques des arts, toujours à l’UQAM.
Nancy Tobin a aussi à cœur de transmettre son savoir aux générations suivantes. En plus d’encadrer les étudiant·es en conception sonore à l’École nationale de théâtre du Canada, la conceptrice est chargée du cours « Le Son au théâtre » à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM depuis 2011. La Faculté des arts de cette université lui a d’ailleurs décerné en 2016 un Prix d’excellence en enseignement. L’artiste a en outre consacré une publication à la description de son approche, Guide de la conception sonore selon Nancy Tobin 01 (2018). La mention « 01 » dans le titre indique le fait que ce premier livret démarre une série dont elle sera l’éditeure, consacrée aux écrits des praticien·nes de la scène.
Nancy Tobin n’a donc pas seulement marqué le milieu des arts de la scène par son travail. En propageant les fruits de son exploration et de sa réflexion, la conceptrice continue à façonner durablement son paysage sonore.