« Violette Leduc est un des grands écrivains du 20e siècle, mais qui le sait? »
– Jovette Marchessault
Jovette Marchessault (Montréal, 1938 – Danville, 2012) est une peintre, sculpteure, romancière et dramaturge autodidacte dont l’œuvre est traversée par une conscience féministe et habitée par son amour des femmes. Ses écrits, comme ses œuvres d’art, constituent un hommage aux femmes de tous horizons, notamment aux femmes artistes et aux écrivaines. Son œuvre littéraire et théâtrale a été maintes fois récompensée et a marqué de façon singulière l’histoire culturelle des dernières décennies.
Issue d’un milieu ouvrier, Jovette Marchessault travaille dès l’adolescence dans une usine de textile où elle côtoie des ouvrières d’origines diverses. Ces rencontres seront marquantes et teinteront par la suite l’ensemble de son œuvre. Elle est ensuite fonctionnaire au gouvernement, commis aux Éditions du Jour, puis assistante au crédit chez Grolier. Vers la fin des années 1950, elle entreprend un long voyage initiatique à travers l’Amérique, à la recherche et de son identité et de ses racines spirituelles.
Assumant sa vocation d’artiste, elle quitte son emploi en 1969 et se consacre à la peinture et à la sculpture. Son approche privilégie la spontanéité et l’écoute des esprits de la nature qui se manifestent, notamment, par des sculptures empreintes d’une nouvelle mythologie. Elle expose ses fresques, ses masques et ses sculptures de « femmes telluriques » à la Maison des arts La Sauvegarde de Montréal, puis à travers une trentaine d’expositions en solo, tant au Québec qu’à Toronto, à New York, à Paris et à Bruxelles.
Par la suite, Jovette Marchessault s’engage dans l’écriture et publie en 1975 Le crachat solaire, premier volet de sa trilogie romanesque Comme une enfant de la terre, roman qui lui vaut le prix France-Québec en 1976. Le deuxième volet, La Mère des herbes, paraît en 1981, et le troisième, Des cailloux blancs pour les forêts obscures, en 1987. Suivront des monologues dramatiques, de la poésie, et plusieurs pièces de théâtre.
Dès lors, la parole militante et passionnée de l’écrivaine résonne à travers une dramaturgie féministe et cosmique. En 1980, elle fait paraître son Tryptique lesbien, recueil de monologues qui s’inscrit dans un courant de réflexion féministe visant à repenser le rapport mère-fille dans son contexte politique, symbolique, idéologique. Le livre, qui comprend trois courts textes, Chronique lesbienne du moyen-âge québécois, Les Vaches de nuit, et Les Faiseuses d’anges, se veut une dénonciation du carcan imposé au corps et au désir féminins par l’église et le patriarcat.
En 1979, Jovette Marchessault conçoit avec Nicole Brossard le spectacle CÉLÉBRATIONS consacré à l’écriture des femmes. Produit par le Théâtre Expérimental des Femmes le spectacle est présenté au Théâtre du Nouveau Monde. Dès lors, sa voix se fait entendre sur les scènes de théâtre. La comédienne Pol Pelletier crée cette même année, au Théâtre Expérimental des Femmes, le monologue dramatique LES VACHES DE NUIT, une œuvre percutante qui sera traduite en anglais, avant d’y créer LA TERRE EST TROP COURTE, VIOLETTE LEDUC en 1981 et un autre monologue, LES FAISEUSES D’ANGES, en 1982. En avril 1981, Michelle Rossignol crée LA SAGA DES POULES MOUILLÉES au TNM avant de créer, en 1984, ALICE & GERTRUDE, NATALIE & RENÉE ET CE CHER ERNEST à l’Atelier Continu. Puis viendront ANAÏS, DANS LA QUEUE DE LA COMÈTE; MADAME BLAVATSKY, SPIRITE; LA PÉRÉGRIN CHÉRUBINIQUE et LE VOYAGE MAGNIFIQUE D’EMILY CARR, texte qui lui vaut le prix du Gouverneur général en 1990.
Les pièces de théâtre de Jovette Marchessault mettent en scène de grandes figures de femmes artistes : Gertrude Stein, Germaine Guèvremont, Gabrielle Roy, Anne Hébert, Natalie Barney, Renée Vivien, Anaïs Nin, Emily Carr, Violette Leduc, Simone de Beauvoir, Alice Toklas, etc. En recréant des espaces imaginaires, l’autrice tente de rendre visible la contribution des femmes, de reformuler l’Histoire et de fonder une mémoire qui permettrait aux femmes de trouver des modèles.
Pour Jovette Marchessault, écrire pour le théâtre est l’aboutissement d’un long cheminement féministe. Pour elle, la scène théâtrale est « un lieu public, politique, un lieu de prolifération de tous les possibles, possibles des corps, des mots, des images et, surtout, de la représentation non falsifiée de la culture des femmes. Par culture des femmes, j’entends l’ensemble de nos inventions, de nos visions, de nos émotions, de nos aspirations et notre mémoire. […] Mon arme, c’est l’historicisation : une pratique politique de l’Histoire, de notre Histoire1 ».
En parallèle à sa carrière artistique, Jovette Marchessault cofonde, en 1980, une maison internationale d’éditions, les Squawtach Press. En janvier 1989, elle est l’initiatrice et la coordinatrice de l’exposition « 8 Montréalaises à New York ». Elle collabore au quotidien Le Devoir, aux magazines La Vie en rose et Châtelaine, Fireweed, 13 Moon et à la revue La Nouvelle Barre du jour. En 1999, elle est membre honoraire de l’Association pour la recherche théâtrale au Canada, organisme chargé de soutenir et d’encourager la recherche en théâtre et en études de la performance au Canada. Enfin, elle enseigne l’écriture dramatique au féminin, au niveau de la maîtrise, à l’Université du Québec à Montréal.
En 2015, c’est à titre posthume que le Conseil des arts et des lettres du Québec nomme Compagne de l’Ordre des arts et des lettres du Québec cette femme aux multiples horizons qui a été membre de son conseil d’administration de 1993 à 1998.
La ville de Montréal lui rend un ultime hommage en nommant un parc en son honneur, le Parc Jovette-Marchessault situé au 1621 de la rue Plessis, dans l’arrondissement Ville-Marie à Montréal.
Le 5 novembre 2019, le Conseil des arts de Montréal (CAM), en partenariat avec le Théâtre ESPACE GO et en collaboration avec le Théâtre de l’Affamée, Imago Théâtre, ainsi que le mouvement des Femmes pour l’Équité en Théâtre, créent le prix Jovette-Marchessault qui vise la reconnaissance et le rayonnement de la contribution des femmes artistes du milieu théâtral montréalais. Ce prix s’accompagne d’une bourse de 20 000 $ offerte par le CAM à la lauréate.
TRILOGIE ROMANESQUE Comme une enfant de la terre
Le Crachat solaire (1975)
La Mère des herbes (1980)
Des Cailloux blancs pour les forêts obscures (1987)
OEUVRES THÉÂTRALES
L’ODYSSÉE DES ENFANTS PIONNIERS DES CANTONS (2010)
LA PÉRÉGRIN CHÉRUBINIQUE (2000)
MADAME BLAVATSKY, SPIRITE (1997)
LAZARE DE MIRAMICHI (1996 – 1999)
LE LION DE BANGOR (1992)
LE VOYAGE MAGNIFIQUE D’EMILY CARR (1990)
DEMANDE DE TRAVAIL SUR LES NÉBULEUSES (1986 – 1987)
LE REPOS DES PLUIES (1985)
ANAÏS, DANS LA QUEUE DE LA COMÈTE (1984 – 1985)
ALICE & GERTRUDE, NATALIE & RENÉE ET CE CHER ERNEST (1983)
LA TERRE EST TROP COURTE, VIOLETTE LEDUC (1981)
LES FAISEUSES D’ANGES (1979)
LA SAGA DES POULES MOUILLÉES (1979)
CÉLÉBRATIONS (1979), SPECTACLE ÉCRIT AVEC NICOLE BROSSARD
LES VACHES DE NUIT (1978 – 1979)
PRIX ET DISTINCTIONS
Prix Jean-Hamelin (devenu Prix France-Québec) pour Le Crachat solaire (1976)
Finaliste au Prix du Gouverneur général pour LA TERRE EST TROP COURTE, VIOLETTE LEDUC (1982)
Prix littéraires du Journal de Montréal pour ANAÏS, DANS LA QUEUE DE LA COMÈTE (1986)
Grand prix littéraire de la ville de Sherbrooke pour DEMANDE DE TRAVAIL SUR LES NÉBULEUSES (1989)
Prix du Gouverneur général pour LE VOYAGE MAGNIFIQUE D’EMILY CARR (1990)
Compagne de l’Ordre des arts et des lettres du Québec (2015)
LIVRE SUR JOVETTE MARCHESSAULT
De l’invisible au visible, L’imaginaire de Jovette Marchessault, sous la direction de Roseanna Dufault et Celita Lamar, Éditions du remue-ménage, 2012
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1Entretien dans JEU revue de théâtre, 1980