Billetterie

Mot d’Odile Gamache

Tout doit disparaître.

 

Il y a quelques années de cela, une très proche amie à moi m’a offert une petite carte avant de quitter le pays définitivement. Elle y avait écrit une seule phrase : « may your hands be blessed », que tes mains soient bénies. C’est un souhait que je porte tout près de mon cœur depuis, et c’est celui que j’aurais envie de retourner vers tous les commerçant·es qui tiennent tête à la tempête qui fragilise le commerce de détail. J’ai envie de leur dire : je tiens à vos gestes experts, à votre œil aiguisé, je tiens à vos conseils patients, à votre vocabulaire précis, je tiens aux échanges minutieux, au contact réel avec votre marchandise. Je veux voir briller vos yeux quand vous me présentez ce vase ou cette quincaillerie de précision. Je veux, à travers les objets, vous rencontrer, parler votre langue. J’aime ma ville grâce à vous. Vous en êtes le paysage.

 

J’entretiens un rapport très émotionnel avec la matière. Les objets que je choisis de garder à proximité contiennent en quelque sorte une partie de moi. Ils me permettent non seulement de me prolonger dans le monde, de m’enraciner, mais aussi d’entrer en relation avec les autres. C’est pour cette raison que l’idée qu’on perde tranquillement le contact avec la matière me consterne. Utiliser mes mains me donne l’impression d’adopter une posture de résistance envers la dématérialisation de notre quotidien. Le courant est tellement fort. Je sens l’efficacité du virtuel affecter le rythme de mes journées, je sens cette puissance courber mes choix transactionnels. J’ai passé ma vie à bricoler, mais pourtant je sens l’impatience dans mes gestes quand vient le temps de réparer quelque chose, je constate la distance qui s’installe entre moi et ma calligraphie, je sens mes mains ankylosées lorsque je saisis un fil et une aiguille. Donc, c’est peut-être ce constat qui me terrifie finalement ; que l’efficacité gagne sur le savoir-faire, sur le sensible, sur l’âme que l’on peut insuffler à l’inanimé.

 

Vous assisterez donc ce soir à une pièce où l’artisanat est au cœur du processus, où chaque mécanisme a été réfléchi pour dialoguer le plus sensiblement possible avec la matière. Mes collaborateur·trices dévoué·es, Philippe, Julie, Christophe, Charlie Loup, Guillaume, Fred et Delphine ont depuis cinq ans abordé avec tellement de sérieux ce projet, affichant une foi inébranlable en son potentiel poétique. Je tiens à les remercier d’avoir offert à chaque marchandise toute la tendresse qu’elle méritait. Grâce à leur sensibilité, la vie jaillit de la matière, et ça me réjouit! Grâce à vous, mes mains reprennent vie.

 

Cher public, merci d’être là ce soir, et de vous abandonner dans la danse de notre Magasin. Si j’ai imaginé la mort d’un magasin, c’est pour mieux les célébrer tous ensemble.

 

 

Odile Gamache
Autrice, metteuse en scène, interprète