 
                                                            
                                                    Depuis les rives éternelles du Nil jusqu’aux Pyramides, l’Égypte a transmis l’histoire de ses dieux comme une vérité inscrite dans la pierre.
Ces croyances n’étaient pas figées dans une formule immuable : elles se transformaient sans cesse, réinterprétées selon les cultes et les usages, eux-mêmes traversés par des influences extérieures, politiques ou historiques. Leur rôle, dans la religion égyptienne, était de rendre certains concepts accessibles à travers le langage des symboles.
Parmi ces récits, aucun n’est plus émouvant, plus grandiose et plus universel que celui d’Isis et Osiris. C’est le mythe du roi assassiné, de l’épouse protectrice, de l’enfant vengeur, mais aussi du cycle infini de la vie et de la mort. C’est une histoire sacrée qui, pendant plus de trois millénaires, a donné aux Égyptiens l’espérance d’une renaissance après la mort.
Les origines du monde et la naissance des dieux
Au commencement, il n’y avait que le Noun, qui signifie le non nommé, l’océan primordial, sans limites et sans fond. De ces eaux obscures surgit une butte sacrée, premier fragment de terre ferme. C’est là qu’Atoum, le dieu créateur, s’est créé par lui-même. De lui naquirent Shou ou Chou (l’Air) et Tefnout (l’Humidité). De leur union vinrent Geb (la Terre) et Nout (le Ciel), mais leur amour fut si intense que Shou dut les séparer. Dès lors, Nout, voûte étoilée, s’arqua au-dessus du monde, tandis que Geb devenu la terre nourricière s’allongeait sous elle.
Geb et Nout ont eu quatre enfants divins : Osiris, Seth, Isis et Nephtys. Premier-né, Osiris reçut la mission de régner sur l’Égypte. Sa sœur Isis, déesse de la magie et de la sagesse, fut sa compagne indéfectible. Ensemble, ils instaurèrent l’ordre et la civilisation. Osiris enseigna au peuple égyptien l’agriculture, énonça des lois et montra comment honorer les dieux ; Isis, elle, transmit l’art de fabriquer le pain, de tisser et de rendre une justice équilibrée. Le couple régnait dans l’harmonie et la prospérité.
Le complot de Seth
Mais Seth, leur frère, jaloux et avide de pouvoir, nourrissait une haine sourde envers Osiris. Selon certains récits, il en voulait à Osiris pour avoir séduit Nephtys, son épouse. Quoi qu’il en soit, il élabora un plan pour se débarrasser de son frère aîné. Avec 72 conspirateurs, il confectionna un sarcophage à la taille exacte d’Osiris. Lors d’un grand banquet en l’honneur des dieux, Seth présenta ce splendide coffre, richement orné, promettant de l’offrir à celui qui s’y allongerait parfaitement. Un à un, les convives l’essayèrent, mais seul Osiris s’y trouva à son aise. Aussitôt, Seth et ses complices refermèrent le couvercle, le scellèrent et jetèrent le précieux cercueil dans les eaux du Nil.
Apprenant ce qui était arrivé à son époux, Isis partit à la recherche du coffre. Celui-ci dériva et accosta sur la côte de Byblos, en Phénicie, où un arbre l’enveloppa de ses racines et en fit son tronc. Le roi du pays, émerveillé par cet arbre qui avait connu une croissance remarquable, le fit abattre pour la construction de son palais.
Un vent divin apprit à Isis les détails de cet événement. Elle se rendit dès lors à Byblos. En se faisant passer pour une nourrice, Isis réussit à se faire engager au palais. Grâce à sa magie et à sa ruse, elle obtint de la reine que lui soit remis le tronc, et elle retrouva ainsi le corps d’Osiris. En possession du sarcophage, Isis retourna en Égypte et choisit la ville d’Abydos comme lieu des funérailles.
Découvrant que le corps d’Osiris avait été ramené à Abydos, Seth devint fou de rage et s’empara du cadavre, le découpa en plusieurs morceaux qu’il dispersa dans toute l’Égypte, et ce, pour que jamais Osiris ne puisse renaître. Les versions diffèrent : on parle en général de 14 morceaux, mais aussi de 42, nombre correspondant aux 42 provinces d’Égypte.
Après avoir tué Osiris, Seth s’empara de son royaume, sur lequel il régna.
La quête d’Isis
Alors commença la quête obstinée d’Isis. Aidée de sa sœur Nephtys, et parfois par Anubis, dieu funéraire et protecteur des embaumeurs, elle parcourut l’Égypte pour rassembler les fragments du corps de son mari. Lors de chacune de ses découvertes, elle créait une sépulture, ce qui explique pourquoi plusieurs cités revendiquent la possession du tombeau d’Osiris. Le Papyrus Jumilhac raconte qu’Anubis trouva la tête en premier, à Abydos (qui devint un lieu de culte très prisé) et avec l’aide de Thot, il obtint de cette tête qu’elle révèle l’emplacement des autres morceaux. Isis retrouva une jambe à Philae, une épaule à Letopolis, la colonne vertébrale à Busiris, etc. Elle retrouva tous les morceaux du corps d’Osiris, sauf son phallus, qui avait été jeté dans le Nil avant d’être avalé par un poisson. Isis savait que tant que le corps de son mari ne serait pas complet, il ne pourrait pas atteindre l’immortalité. Elle lui confectionna un phallus.
Chaque fragment retrouvé fut dès lors enveloppé de bandelettes et réuni au reste du corps. Certaines traditions racontent que Seth tenta encore de détruire le cadavre recomposé, mais Isis, Anubis et Thot déployèrent leurs enchantements pour protéger la dépouille. Enfin, Isis usa de son souffle divin pour redonner vie à Osiris le temps d’une union magique. De cet acte d’amour allait naître Horus, l’enfant qui vengerait son père.
Quand Osiris partit dans l’au-delà, Isis rassembla tout ce que son époux avait enseigné aux hommes et fonda la Tradition, les Écoles des Mystères. Osiris représente la Sagesse, et Isis, l’école qui transmet cette Sagesse :
En chaque être humain, il y a deux parties : une nature mortelle et une nature immortelle.
La nature mortelle, c’est le moi extérieur : la personnalité façonnée par l’hérédité, la société et la culture du monde dans lequel nous vivons.
La nature immortelle, c’est l’Être véritable, le noyau divin qui sommeille au plus profond de chacun.
La tâche de l’homme n’est pas de rejeter sa nature mortelle, mais de l’apprivoiser et de la mettre au service de son essence divine.
Le meurtre d’Osiris par Seth symbolise la disparition du moi supérieur — la conscience et l’esprit — au profit du moi humain, fragile et illusoire. Seth est entré dans l’homme et a engendré ses enfants : la technologie et la puissance humaine. En tant que force de la matière, il pousse l’homme à croire qu’il peut se suffire à lui-même et vivre sans Osiris, sans le monde supérieur.
Seth veut donner à l’homme des pouvoirs terrestres, l’illusion de devenir un dieu dans son corps physique, et même une forme d’immortalité matérielle. Mais comme le corps est mortel, cela conduit irrémédiablement au néant.
Horus contre Seth
Enceinte, Isis dut se cacher dans les marais du Delta du Nil pour protéger son enfant de la fureur de Seth. Dans ces fourrés de papyrus, Horus vint au monde et grandit sous la garde vigilante de sa mère. Dès qu’il fut en âge, il revendiqua le trône d’Égypte.
Après la disparition d’Osiris, la problématique principale n’était pas tant de châtier le coupable du meurtre que de trouver le meilleur candidat à la charge pharaonique. Un tribunal divin présidé par le dieu du Soleil, Rê, fut mandaté pour résoudre cette question. Le choix devait se faire entre Seth et Horus. Le premier, dieu adulte et puissant, avait pour lui l’entêtement et la force physique. Le second, très jeune et sans expérience, ne pouvait prétendre qu’à de ses droits de fils héritier légitime.
Les affrontements qui durèrent des années furent tantôt violents, tantôt sportifs. Lors d’une bataille, Seth arracha l’œil de Horus et le découpa en six morceaux. Heureusement, le dieu lunaire Thot le reconstitua et l’offrit à Horus, d’où son nom d’Œil oudjat, c’est-à-dire l’ Œil sain.

L’Œil d’Horus est l’organe de la clairvoyance sacrée : il dévoile les réalités invisibles des mondes supérieurs comme des mondes inférieurs et donne le pouvoir d’agir sur elles. Celui qui possède un tel regard est un initié, un véritable magicien. Grâce à lui, il peut discerner les pensées, les émotions, les rêves, les désirs, mais aussi les forces, les influences et les entités qui les animent. Ce savoir lui permet de rétablir l’harmonie dans sa propre existence. Chez les anciens Égyptiens, l’Œil oudjat jouait aussi un rôle protecteur : porté en talisman, il était gage de santé, de fertilité et de clairvoyance. Représenté sur les sarcophages, il protégeait le défunt contre les esprits malveillants.
La préférence du tribunal se porta finalement sur Horus, fort du soutien de son père Osiris qui revint du royaume des morts pour conseiller son fils. Triomphant, Horus obtint la royauté et œuvra à faire comprendre à l’homme que sa pensée, le monde subtil, est aussi réelle que son corps, le monde de la matière.
Le règne éternel d’Osiris ou Sortir-au-jour
Osiris, lui, ne revint pas sur Terre. Désormais, il régnait sur le royaume des morts, devenant juge suprême des âmes.
Afin d’accomplir leur voyage vers l’au-delà, les populations de l’Égypte antique ont rédigé des textes funéraires, plus connus sous le nom de « Livre des Morts ». Ces textes contenaient des formules qui visaient à guider l’âme du défunt dans son voyage vers l’au-delà et à lui permettre de « sortir au jour » dans le monde des morts. « Sortir-au-jour », c’est renaître, le corps préservé grâce à la momification; c’est parvenir sain et sauf dans les champs d’Ialou, l’endroit où les âmes justes viennent se reposer. Le plus souvent rédigées sur papyrus, ces formules très souvent accompagnées d’illustrations permettaient au défunt de conserver ses cinq sens, de continuer à boire et manger, d’adopter différentes formes et d’être préparé pour affronter les démons placés sur son chemin jusqu’à l’ultime étape de son périple : la pesée des âmes au tribunal d’Osiris. Des textes anciens décrivent ainsi la psychostasie : lorsqu’un défunt se présentait devant lui, Anubis pesait le cœur de celui-ci sur la balance de Maât, la déesse de la justice et de la vérité. Si le cœur, alourdi de fautes, penchait plus que la plume de Maât, il était dévoré par la terrible Âmmout. Mais s’il demeurait léger, l’âme du défunt rejoignait Osiris dans l’éternité.
Ainsi, Osiris incarnait non seulement le dieu de la résurrection, mais aussi le cycle de la vie et du renouveau, à l’image des crues et décrues du Nil, qui faisaient renaître les récoltes chaque année. La conception d’Horus garantissait l’éternel renouvellement des générations.
Le mythe d’Osiris offrait aux Égyptiens l’espérance d’une vie après la mort, à condition de vivre dans la vérité et l’ordre de Maât. Pendant de nombreuses années, le nom d’Osiris était accolé à celui du défunt. On parlait d’un mort en disant « Osiris-untel » exactement comme nous disons « feu M. Untel ».
RÉFÉRENCES
Osiris – La légende de dieux, Olivier Manitara, Éditions Essénia, 2013
Sous le signe d’Isis et Osiris, Veronica Ions, Éditions Rober Laffont, 1986
La légende d’Isis et Osiris, ou la victoire de l’amour sur la mort, Christian Jacq, Éditions MDV, 2022
Dictionnaire de l’Antiquité, sous la direction de Jean Leclant, Quadrige/Puf, 2005
Le mythe d’Osiris, Giorgia Alory, Les Sherpas, 2023
Le mythe d’Osiris ou la version égyptienne d’Abel et Caïn ?, LouvreBible
Découvrez le fascinant mythe d’Osiris et ses mystères captivants, Stewdy, 2025
Conspirations dans l’Égypte antique, Wikipédia, 2016
Papyrus Jumilhaac, Louvre Collections
Le Livre des morts des Anciens Égyptiens, Wikipédia
Textes des pyramides, Wikipédia
Mythologie égyptienne, Ministère de la Culture, France
Osiris, maître de la Vie et de la Mort, Le Monde, Histoires et civilisations
La momification, passeport pour l’éternité, Le Monde, Histoires et civilisations
De Iside et Osiride, Plutarque, The New Mithraeum
Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, traduction nouvelle
Les aventures d’Horus et de Seth, Papyrus Chester
Les textes des sarcophages, Persée