L’autrice et metteuse en scène Marie-Laurence Rancourt vous invite à découvrir des balados qui l’ont particulièrement inspirée pendant l’écriture d’Une vie de femme.
1. Deborah Levy – Par les temps qui courent sur France Culture
Voici une entrevue avec la grande Deborah Levy, dont j’aime tout. Non seulement l’écriture, mais la voix, gourmande, intense et chaleureuse: celle d’une femme qui prend plaisir à vivre, et vivre encore. Durant l’écriture d’Une vie de femme, j’ai beaucoup pensé à Deborah et pas mal réécouté cet entretien, l’imaginant dans son immeuble de Londres cendré, tombant en ruines, abritant cette femme de 50 ans qui, elle, tient. Je voyais la petite tâche lumineuse que devait découper dans la nuit son appartement, comme une présence d’autant plus magique qu’elle se situait dans un environnement prosaïque. Présence magique que celle d’une femme qui pense et qui écrit, et pas que: une femme qui aime, qui rit et qui danse aussi. Deborah est une femme pleine de vie, qui semble écrire, aimer, travailler avec la même dévoration. J’entends dans sa voix une question que je lui emprunte pour Une vie de femme, une question qu’elle pose dans une forme de joie et d’élan que je ne connais à personne d’autre: comment trouver d’autres manières de vivre, avec nos désirs et notre imagination? Ses réponses à elle ne sont jamais sages, toujours gaies: c’est que chez elle, tout sent la vie. C’est aussi ce que j’ai voulu pour Une vie de femme : quelque chose de spectaculairement vivant, toujours en mouvement.
2. Tristan Garcia – L’heure bleue sur France Inter
Tristan Garcia est un philosophe dont je suis le travail depuis plusieurs années, depuis son livre La vie intense, offert par un ami à moi. J’aime sa pensée, une pensée en mouvement, et pleine d’imagination: parce que Garcia est un philosophe qui se tient toujours à la jonction entre le récit et la théorie. C’est une posture dans laquelle je me reconnais, cherchant toujours à tenir ensemble mon héritage théorique issu de la sociologie et mon goût d’imaginaire et de fictions, convaincue désormais que l’un ne va pas sans l’autre. Dans cette entrevue, Tristan Garcia revient sur son livre L’architecture du possible (ouvrage aux résonances aussi intimes que politiques) sur les injonctions à se présenter et savoir se définir, injonctions auxquelles il répond par une demande d’indétermination, indétermination qui suppose non pas une absence de consistance, mais qu’il définit plutôt comme une disposition à s’opposer toujours autre chose, pour ne jamais confondre son monde avec le monde. Bref, il y met de l’avant un désir persistant de transformation que l’on retrouve aussi dans mes personnages d’Une vie de femme, et particulièrement dans cette « Marie » qui est déchirée entre plusieurs soi possibles, quête de visibilité et d’invisibilité.
3. Joël Pommerat – À voix nue sur France Culture
Magnifique série de cinq entretiens de trente minutes avec Joël Pommerat que j’ai souvent écoutée en boucle, comme on le fait avec les chansons que l’on aime. L’idée de théâtre que défend Pommerat me plaît: elle plonge dans le cinéma, le documentaire et la philosophie (trois passions que je partage) et en même temps, son théâtre n’est ni formaliste ni abstrait : c’est un théâtre de l’émotion, de la sensation.
L’approche du réel de Joël Pommerat (qu’il restitue dans son théâtre) résonne chez moi. Chez lui, le réel n’est pas quelque chose qu’il s’agirait de connaître ou de maîtriser : au contraire, ce que Pommerat met en scène, c’est notre rapport d’étrangeté et d’incompréhension face à la réalité, aux autres, à soi. Cette approche du réel ressemble à l’expérience que j’en fait, et c’est ce rapport que j’ai voulu aussi pour mes personnages d’Une vie de femme. Pour eux aussi, le réel demeure tout à fait étonnant et mystérieux. Il me semble que ce rapport au réel suppose une approche tellement différente du monde, et par conséquent, du théâtre qui devient alors ce lieu où restituer du doute, de l’étonnement, de l’indicible et de l’ignorance – des sentiments que, je crois, chacun·e connaît.
Finalement, je suis assez touchée par les histoires des artistes que j’admire : je suis émue de les entendre revenir sur la façon dont ils se sont construits; entendre l’entêtement dans leur voix. Ce sont souvent des histoires pleines d’adversité, de hasards, de doutes et de rencontres déterminantes. Les fragments d’histoire du théâtre de Joël Pommerat qui se donnent à entendre dans cette série montrent bien ce qu’il faut de travail et de patience pour donner forme à sa vision, discrètement, et dans une forme d’indépendance d’esprit.