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l’amour ou rien : mot de la directrice

l'amour ou rien

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En pratiquant notre beau métier, on rencontre régulièrement des gens qu’on regarde travailler depuis longtemps avec admiration. Et soudainement, ces personnes sont des collègues, des complices de création, des égaux. L’admiration demeure, mais on devient, disons, moins impressionnables.
 
Ils arrivent alors comme des surprises, ces moments où on est à nouveau assailli·es par une fébrilité d’adolescence à l’idée de parler pour une première fois à quelqu’un de spécial, du moins pour soi. En m’assoyant devant mon écran, en attente qu’apparaisse par zoom la Professeure Linda Strong-Leek, j’ai dû me rendre à l’évidence : j’étais nerveuse comme une puce à l’idée de m’adresser à une vraie proche de bell hooks. Une avocate gèrerait les détails, mais c’était elle qui déciderait si notre projet de traduire sur scène all about love s’inscrivait dans l’esprit de l’œuvre, en respect de son autrice.
 
Et voilà qu’elle est apparue à l’écran, simple et brillante. Elle était là pour la meilleure raison qui soit : par amour pour son amie. Cette sincérité me donnait l’impression de discuter directement avec bell hooks, d’avoir accès à son intelligence et à sa joie à travers cette personne qui la connaissait si bien et prenait soin de son œuvre. Je réalisais à quel point l’essayiste était, pour moi, une immense, une essentielle.
 
Si je palpitais d’émoi, c’était aussi parce que je constatais l’enthousiasme de Linda, que je comprenais que notre intuition partagée – entre Olivier Arteau, Mélanie Demers et moi-même – était juste. Linda me racontait combien bell hooks avait souhaité ardemment que son œuvre transcende les milieux académiques pour s’immiscer dans la culture populaire. Surtout, elle s’enthousiasmait que ce soit une chorégraphe qui s’empare de all about love, parce qu’elles deux avaient dansé si souvent ensemble, dans une cuisine ou une autre. Parce que le corps permettait l’exultation, le cri, la connaissance.
 
Parce que, par la danse, l’amour pouvait devenir action.
 
Beaucoup de gens sont à remercier dans ce projet; beaucoup de cerveaux, de cœurs et de corps se sont mis à l’ouvrage. Je m’incline devant l’acharnement de leur quête et les beautés trouvées sur la route. Plus particulièrement, je tiens à remercier, d’abord, Linda Strong-Leek de nous avoir dit un oui plein de liberté; et bien sûr, Mélanie Demers, qui a pris l’œuvre de bell hooks à bras-le-corps, qui a adoré autant qu’elle a désacralisé les mots de l’icône américaine, à la recherche inlassable du tracée du chemin parcouru et de celui qui reste devant soi.
 
Je remercie Mélanie de ne pas nous offrir le spectacle bonbon qu’on aurait pu espérer, celui qui nous aurait donné des réponses et nous aurait dit comment aimer. Il faut plus qu’un spectacle : il faut une vie pour frôler ces savoirs, même du bout des doigts. Mélanie n’a jamais oublié qu’all about love est la pointe de l’iceberg de l’œuvre de bell hooks, que le continent caché sous son essai le plus digeste, le plus populaire, est construit de luttes raciales, féministes, décoloniales, de classe. Ces combats sont restés ses socles, à partir desquels tenter, et tenter à nouveau. Je remercie Mélanie d’avoir refusé coûte que coûte le contentement facile et d’avoir embrassé l’abstraction de l’œuvre, sa nature mouvante, aussi personnelle que politique.
 
 
Édith Patenaude
Directrice artistique et codirectrice générale