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l’amour ou rien : extraits de critiques

l'amour ou rien

Retour à la pièce

« C’était une joie de retrouver l’esthétique jubilatoire et pailletée de Mélanie Demers sur la scène de l’Espace GO. Cette fois, elle collabore avec Angélique Willkie pour donner corps – et quel corps ! – émotionnel, sensible, vibrant – aux mots de Lorrie Jean-Louis. L’appropriation que cette dernière fait de la pensée de bell hooks sur l’amour se livre avec une intensité lumineuse, qu’on reprendrait plus d’une fois.
 
Dans un écrin d’incandescence qui évoque une grande fête, prennent place huit interprètes, tous magnétiques dans cette œuvre collective, qui s’abreuve autant au sublime qu’à la fragilité.
 
Le spectacle, dans sa composition fragmentée, donne à voir les déséquilibres potentiels, les abus, les familles dysfonctionnelles, toutes ces réalités que, selon bell hooks, l’amour ne peut côtoyer. Mais il y a aussi le désir. L’amour du corps. L’amour du corps noir. C’est joyeux. Et parfois très sombre.
 
Pour moi, parler d’amour sera toujours une nécessité. Quelque chose s’ouvre ici, dans ce mélange d’une pensée universitaire et d’un monde poétique. Lorrie Jean-Louis y insuffle une vibration bien à elle sur la manière d’habiter cette aventure. Et deux choses nourrissent cette vibration : la place du corps et la place de la langue créole, comme un geste d’amour. »
Rose Henriquez, nevrosarts
 
 
 
« Avec les mots prétextes de bell hooks, c’est à un autre cabaret, un format qui sied bien à Mélanie la danseuse, chorégraphe, amoureuse de musique audacieuse, que nous convie la bande, un cabaret éclaté qui embrasse l’absurde, l’irrévérencieux, le lumineux et le sombre, l’exaltant et le lugubre.
 
Avec des interprètes de haut calibre, de l’hilarante Ariel Charest au vertigineux Fabien Piché et passant par le flamboyant Vlad Alexis et la toujours étonnante Carla Mezquita Honhon, tout le monde a ses moments de lumière individuelle tout en se donnant à fond dans les numbers collectifs époustouflants. Mention spéciale à l’électrisante Mimo Magri qui livre une performance vocale hallucinante pour ne pas dire fulgurante qui laisse bouche bée.
 
Tout de ce spectacle frappe dans le mil. La scénographie ingénieuse de Vano Hotton, les éclairages riches et somptueux de Paul Chambers, la musique (et la voix) envoûtante de Frannie Holder, les costumes audacieux de la brillante Elen Ewing.
 
Ce spectacle, qui clôt la première saison d’Edith Patenaude à la direction artistique d’Espace GO, est un autre témoignage indéniable que l’institution, qui était d’abord le Théâtre Expérimental des Femmes, se reconnecte solidement à ses racines tout en voyant ses branches se développer, se déployer, s’épanouir. C’est beau à voir. »
Yanik Comeau, Théâtralités
 
 
 
« Dans son essai publié en 1999, la militante et théoricienne féministe américaine bell hooks s’interroge sur la place de l’amour dans la société, sur sa définition même et appelle à une (r)évolution collective en ce sens. Mais comment exactement l’actualiser dans nos vies souvent marquées par les stigmates et les traumas ?
 
En une suite de tableaux au visuel léché, l’amour ou rien est à la fois une réflexion éclatée et imagée autour de ces questionnements, mais aussi une perspective critique sur les propos de bell hooks et leur application dans le réel. Ainsi, toute tension dramatique ou émotive est désamorcée par le ridicule, le sarcasme ou le rire, un procédé dans lequel Mélanie Demers est passée maître. Avec son regard oblique sur les choses, la chorégraphe et metteure en scène ne donne jamais une réponse; elle pose surtout des questions… et nous fait nous poser des questions !
 
L’enrobage de ce spectacle est; la scène, miroitante, fragmente la lumière des projecteurs entourant la scène en mille faisceaux, tout comme les apparats scintillants des interprètes, créant une ambiance de cabaret chic, de concert. On est éblouis. Vêtus de leurs « beaux habits » qui leur donnent du « courage » – paillettes, fourrures, soie –, les huit interprètes aux talents aussi variés que probants veulent ouvrir un nouvel horizon, tracer la cartographie de l’amour… du moins c’est ce qu’ils affirment haut et fort !
 
L’adaptation (très) libre de Lorrie Jean-Louis reprend des thématiques de l’essai : les blessures de l’enfance, la «  première maison », la nécessaire reconstruction du soi, la femme « babiole », les relations amoureuses, la sexualité, entre autres nombreuses choses. D’un tableau à l’autre, des réflexions sont ainsi partagées dans des monologues habillés de chants et chuchotements, du battement pulsé de la batterie, d’errances de corps mouvants.
 
Les ruptures de ton sont nombreuses, car parler d’amour, c’est toujours être sur la fine ligne entre mièvrerie et profondeur, entre cliché et vérité, semblent nous dire les créatrices de ce spectacle : on passe d’une déclamation songée et sentie sur la nécessité d’agir à une prise de parole aliénée où la tentative de se mettre en action, « d’y aller », échoue à tout coup, à en devenir risible (solo très réussi de Fabien Piché, qui montre qu’il a beaucoup plus de cordes à son arc que celle de « simple » danseur) ; d’un plaidoyer pour le « cunni » et le « corps en premier » à une adresse endeuillée à un être disparu, en passant par un fou rire qui contamine la salle et les autres interprètes (habile Ariel Charest).
 
Ce flot de paroles, de lumière, de musique, de scintillements glisse sur nous, telle la surface miroitante de la scène, sans atteindre nécessairement sa cible.
 
Il y a plusieurs passages cocasses, qui font rire ou sourire, mais mettent aussi en lumière le malaise que suscite ce sujet trop grand, trop absolu. Jamais nommée littéralement, cette « chose » se dérobe encore et encore, même si parfois, on la sent, fébrile, entre les lignes, particulièrement dans les tableaux finaux, qui délaissent la parole au profit du mouvement (on en aurait pris plus).
 
Car l’amour est un acte à la fois d’une simplicité désarmante et d’une complexité insoluble. Pris dans ce paradoxe, le spectacle ne réussit pas entièrement à prendre son envol. »
Iris Gagnon-Paradis, La Presse
 
 
 
« HAPPENING SOMBRE ET SCINTILLANT
Il s’agit d’un défi immense que de porter à la scène un essai. La metteuse en scène Mélanie Demers a opté pour une démarche impressionniste. Posons-le d’emblée, le résultat plaira davantage aux amateurs et amatrices de danse et de performance qu’aux aficionados et aficionadas de théâtre traditionnel. Ici, la musique, les mouvements et quelques prises de parole éparses évoquent plus que ne transmettent la pensée de l’essayiste.
 
Le splendide numéro d’ouverture donne le ton à cette production composée de multiples tableaux. Y brillent – aux sens littéral et figuré – les spectaculaires tenues à paillettes d’Elen Ewing, y crée un impact visuel marquant le plancher miroir conçu par Vano Hotton, y vibrent les sonorités graves de Frannie Holder, y plane une atmosphère onirico-rock grâce aux délectables éclairages de Paul Chambers, y circulent aussi les itérations et les vers libres. L’amour est d’ailleurs ici nommé « la chose » ou « la chose véritable ». Par pudeur ? Pour éviter toute apparence de mièvrerie ? On sent tout au long de la représentation le désir de s’éloigner de tout ce qui pourrait vaguement exhaler des effluves d’eau de rose. Jusqu’à privilégier une vision plus sombre qu’optimiste de notre rapport à l’acte d’aimer. Pensons, notamment, à la chorégraphie finale, absolument magnifique, mais dont les corps tordus et les visages grimaçants laissent peu de place à l’espoir qui imprègne pourtant le livre de hooks.
 
Si la création scénique s’affranchit de l’œuvre originale jusqu’à ce que celle-ci soit à peine reconnaissable, il vaut toutefois mieux avoir lu l’essai pour déchiffrer certains passages du spectacle.
 
Il faut néanmoins saluer la diversité – à tous égards – des artistes évoluant sur scène et l’énergie inexhaustible qu’ils et elles mettent à créer un objet scénique unique. Car Demers et ses acolytes parviennent à peindre une fresque allégorique à l’identité esthétique forte et prégnante. Elle ravira certainement les sens de plusieurs, mais rejoindra-t-elle l’âme et l’intellect des spectateurs et spectatrices ? »
Sophie Pouliot, JEU Revue de théâtre
 
 
 
« POUR UNE NOUVELLE MANIÈRE D’ENVISAGER L’AMOUR
Selon bell hooks, l’amour nous serait enseigné de manière erronée; l’artiste aspire ainsi à redonner tout son sens à la chose.
 
Car le mot n’est jamais cité. On lui préfère « la chose ». On veut nous parler de la chose en nous éloignant de tout ce qu’on nous a dit auparavant. Fini le romantisme, les sentiments et toutes ces émotions mièvres et désormais dépassées.
 
Le spectacle l’amour ou rien, librement adapté de all about love: new visions par Lorrie Jean-Louis, dans une belle mise en scène de Mélanie Demers, proposerait enfin toutes les dimensions de l’amour, même s’il n’est pas sûr que le projet soit vraiment abouti. Mais le spectacle a quand même des qualités esthétiques qui en font un objet intéressant.
 
Les tenues sont belles et excentriques, composées de fourrures, de dentelles et de paillettes qui s’illuminent sous les éclairages savamment dosés. La musique est souvent emportée, on sent la colère, la frustration, la révolte, la revendication.
 
Le monde tel qu’il est n’est pas au goût des acteurs, qui prennent la parole à tour de rôle, entre les performances dansées et chantées. De beaux instruments à vent s’intercalent dans les séquences, ajoutant leurs reflets dorés aux tableaux. Les chorégraphies sont bien réalisées. Les chants sont agréables et l’esthétique de l’ensemble est plutôt réussie, tandis que les propos mènent le spectateur sur des chemins énigmatiques, une nouvelle cartographie capable de clarifier ce qu’est vraiment l’amour et ce que les protagonistes en attendent.
 
Ainsi convient-il de trancher avec le romantisme, la tendresse, la douceur. Ces concepts sont sans doute d’un autre âge. Ici la revendication est politique et érotique, clairement aux antipodes de notre société « qui pue ».
 
On recherche la totalité de la chose; on veut mettre fin au manque de brillance, à l’humiliation, aux tromperies et aux dissimulations.
 
Le message reçu était davantage celui d’un ressentiment qui pousse à des revendications, plutôt que d’une contribution personnelle à l’amour. Cette chose, en effet, reste toujours mystérieuse, et son mystère en fait la grande qualité. Heureusement, peut-être, qu’aucun mode d’emploi ne pourra jamais l’éclairer et surtout le totaliser. »
Sophie Jama, pieuvre.ca
 
 
 
« C’est un projet-objet théâtral atypique et vertigineux. Peut-être un petit peu trop atypique pour moi. Puis, on va au théâtre pour toutes sortes de raisons. Moi j’y vais parce que je cherche la catharsis, j’ai envie de vivre quelque chose. Ce n’est pas ça que j’ai vécu. Mais après, c’est vrai que l’objet est bien interprété, qu’il est réussi.
 
Disons que si c’est l’histoire que vous recherchez vous allez peut-être sortir avec des points d’interrogation. Mais je dirais que c’est quand même difficile d’accès, même si clairement il y a une maîtrise, tant au niveau de la musique que de la danse ou de l’interprétation. Les éclairages sont les plus beaux que j’ai vus depuis des années. Quand on parle de construction de l’espace avec l’éclairage, là on est vraiment à un autre niveau. Donc salutations à cette équipe technique. »
Rose St-Pierre, le 15-18, ICI Première
 
 
 
« Je suis allé voir l’amour ou rien à Espace Go en compagnie de mon fils de 21 ans, curieux de culture et d’expériences artistiques. Ce fut, pour nous deux, un véritable tourbillon d’émotions et de stimulations sensorielles.
 
Les comédiens — tous remarquables — nous propulsent dans un monde éclaté, où le verbe devient pulsation, et le corps, territoire d’expression. Mais voilà : pour un spectateur comme moi, doté d’un esprit un peu TDAH, ce foisonnement peut parfois déstabiliser. Ce n’est pas un défaut en soi, mais une proposition exigeante, qui ne s’adresse pas à un esprit trop rationnel ni trop distrait. Mon fils, plus cartésien, tentait pour sa part de trouver une structure, des repères logiques entre les tableaux. C’est peut-être là le point : l’amour ou rien ne se laisse pas apprivoiser par l’analyse ou la linéarité. Il faut lâcher prise, se laisser porter, accepter de ne pas tout comprendre, mais de tout ressentir.
 
Visuellement, c’est somptueux : jeux de lumière, costumes flamboyants, scénographie étincelante. On est dans un théâtre total, presque rituel. La musique, les chants, les corps en mouvement dessinent une géographie de l’amour mouvante et insaisissable.
 
En sortant, nous étions partagés. Fascinés par la performance, bousculés par la forme, incertains sur le fond. Car cette « chose » qu’on nomme amour reste, malgré tous les efforts, une énigme. Et peut-être est-ce là la plus grande réussite de la pièce : ne pas chercher à donner une réponse, mais à ouvrir une brèche, une vibration.
 
En somme, l’amour ou rien n’est pas un spectacle qui cherche à plaire à tous. C’est une expérience à vivre les yeux et le cœur grands ouverts, avec, si possible, une suspension volontaire de nos filtres habituels. Ni trop cérébral, ni trop hyperactif. Juste… disponible. »
Guy Girard, Redlipstalk