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Je sais les femmes d’octobre

Je suis une femme d'octobre

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Cliquez sur la vignette ci-dessous pour découvrir la fiction en balado de Jenny Cartwright.

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je sais les femmes d’octobre
nombreuses
fières
obstinées et défiantes

 

qui ont ouvert la voie,
défriché recommencé
qui ont tenu tête, et qui la tiennent encore
droite
devant l’ampleur de nos luttes.

 

les militantes
celles derrière le Birth Control Handbook, qui en 1968, ont défié l’interdiction de nous parler de contraception en publiant un guide précieux
dont des piles d’exemplaires ont été brûlés au Montana,
jetés dans le lac Érié par des douaniers contrariés

 

alors que naissait le premier service illégal de référence en avortement de Montréal
issu d’un flot intarissable de lettres, de questions

 

12 éditions, 15 millions d’exemplaires pour y répondre.

 

les 200 femmes enchaînées les unes aux autres pour protester, les premières, contre une loi anti-manifestation qu’on mettra 50 ans à défaire
en cour · dans les rues · sous les lacrymogènes et les coups
1969-2019.

 

les femmes debouttes du Front de libération des femmes, le FLF, qui ont crié la justice c’est de la marde, et joué un rôle fondateur dans l’émergence d’un nouveau féminisme décapant.

 

celles du Centre des femmes, qui ont repris le flambeau du FLF
permis des avortements jugés illégaux par ceux qui n’en avaient pas besoin
résisté à la répression · aux perquisitions · aux saisies illégales et abusives

 

les comités, les regroupements, nombreuses

 

celles qui ont amené les femmes à New York quand les arrestations sont devenues trop fréquentes

 

celles qui sont devenues infirmières pour que Morgentaler puisse continuer, qui ont aussi risqué la prison à ses côtés
celles qui ont marché pour la libération du médecin si souvent incarcéré
celles qui ont manifesté pour s’approprier leur corps, seules

 

alors qu’on ne tombe pourtant pas enceinte en se masturbant.

 

les femmes autochtones qui ont lutté contre la discrimination infligée par l’infâme Loi qui les appelle toujours des Indiennes
contre un trop-plein d’injustices
des logements insuffisants · leur identité volée · l’enlèvement de leurs enfants
la rafle des années 60, celle que les services sociaux poursuivent aujourd’hui

 

Mary Two-Axe, ses décennies de luttes
Kahn-Tineta Horn, Evelyne O’Bomsawin
celles qui ont marché, en 1979, d’Oka à Ottawa pour dénoncer la perte de leur statut quand elles se mariaient avec un non-Autochtone.

 

celles qui ont dû choisir entre leur désir de souveraineté et leurs idéaux féministes
le Regroupement des femmes québécoises pour qui l’indépendance avait un goût amer,
qui n’avaient rien à faire d’un pays si leurs droits y sont bafoués
qui ont ajouté le mot femme sur leur bulletin de vote, et dit ni oui ni non à ce projet qui les laissait de côté.

 

les militantes lesbiennes qui ont vécu le mépris, la violence des scientifiques clamant qu’elles souffraient d’une maladie mentale
ce que la Régie de l’assurance maladie du Québec a répété jusqu’en 2010
plaçant l’homosexualité entre l’histoplasmose et le hoquet dans le répertoire de leurs diagnostics.

 

Line Chamberland
la Coop-femmes
celles qui ont claqué la porte du bar Chez Madame Arthur, en 1974, boycott dont on se souvient comme le premier acte d’activisme lesbien au Québec, mais dont on se souvient finalement peu puisque seuls les flics et les indics possèdent des photos de l’époque.

 

les arrêtées de Sir George William – aujourd’hui l’Université Concordia
protestant, en 1969, contre la discrimination raciale
institutionnalisée

 

coincées par l’antiémeute, pendant que la foule crie de les laisser brûler alors que l’incendie se déclare

 

le professeur à l’origine de la plainte est réintégré dans ses fonctions le lendemain des arrestations
lavé de tout soupçon, pendant que Juanita Westmoreland-Traoré, première juge noire du Québec,
travaillera longtemps à obtenir l’acquittement d’une dizaine des 97 personnes accusées.

 

Michèle Gauthier, asphyxiée par la police et la cupidité de Power Corporation
tuée en 1971 pendant la manifestation contre le lock-out de La Presse.

 

toutes celles à qui on a nié et nie encore le droit de manifester

 

les arrêtées de la crise d’Octobre

 

celles qui ont couché les enfants après avoir vu les policiers embarquer leurs frères leurs amies leurs voisines leurs maris

 

qui ont dormi dans un lit vide,
ce soir-là et les soirs suivants.

 

celles qui ont écrit les essentiels manifestes · les mots volcans des premières revues
Québécoises deboutte
Long Time Coming
Les têtes de pioche
Les éditions de la Pleine lune, du remue-ménage
L’autre parole
Pluri-Elles
Des luttes et des rires de femmes.

 

celles qu’on a traitées de folles
d’hystériques
qu’on a gavées de pilules · de conseils · d’impératifs de beauté

 

d’électrochocs.

 

les travailleuses sous-payées, reléguées au prolongement de leurs activités de mères
puisque les femmes sont d’abord ménagères.

 

les artistes, frondeuses
qui ont subverti leur exclusion des milieux artistiques
créé leurs propres espaces

 

Alanis Obomsawin la prolifique
une cinquantaine de films sur ceux et celles qu’on ne montrait et qu’on ne montre toujours pas

 

Louky Bersianik
euguélionne pour qui le masculin embrassant le féminin est un baiser mortel

 

Vidéo Femmes, le Studio D, Mireille Dansereau et les autres, qui ont rêvé la vie des premiers films de fiction réalisés par des femmes,
l’accès aux plateaux aujourd’hui encore la chasse gardée de quelques-uns

 

An Antane Kapesh, première innue à publier en français, en 1976, la dépossession de son peuple Eukuan nin matshi-manitu innushkueu

 

Marie Savard, qui a chanté octobre et qu’on a bannie des ondes jusqu’en 1975

 

les compagnies de théâtre et leurs œuvres fortes, à une époque où il n’y avait pas beaucoup de pièces qu’une femme pouvait jouer sans grincer des dents
le Théâtre Expérimental des Femmes
le Théâtre des Cuisines
À ma mère, à ma mère, à ma mère, à ma voisine
la nef et ses sorcières

 

la vie privée comme terrain de luttes.

 

Pauline Julien
emprisonnée avec 450 autres personnes en vertu de l’inique loi d’octobre qui chantait « pourquoi est-ce si long avant que vienne la liberté ? »

 

l’imposante chambre nuptiale de Francine Larivée, loupe grossissante des aberrations de ce qu’on appelait le chauvinisme mâle

 

les femmes telluriques de Jovette Marchessault
qui nous rappellent qu’on nous met si facilement aux vidanges

 

les putains de la Main, habituées à ce qu’on détourne le regard, pour qui les mots de Josée Yvon ont résonné

 

les membres de Mauve, effrontées et majestueuses, qui ont gravi en 1972, les escaliers du Musée des beaux-arts de Montréal, vêtues de robes de mariée
époussetant avec leurs voiles les colonnes du parvis, les institutions figées

 

les photographes qui ont fait des femmes un sujet plutôt qu’un objet Raymonde April le Plessigraphe Sorel Cohen Judith Crawley

 

Anne-Claire Poirier qui a voulu qu’on arrête de mourir à tue-tête

 

ces fées mal tournées
et celles qui avaient si soif

 

de liberté.

 

celles qui n’ont pas su lire les mots ardus des féminismes, mais qui ont vu leurs filles franchir les portes des universités

 

celles à qui on a enfin accordé un congé de maternité non rémunéré alors que les hommes se baladaient sur la Lune depuis 10 ans

celles qui prennent la parole et dont on commente les vêtements,
celles qu’on agresse, à qui on demande ce qu’elles portaient.

 

les essoufflées les mégenrées
les profilées
les mères

 

les monoparentales

 

la mienne

 

les laissées pour compte
les laissées pour mortes.

 

je sais les femmes d’octobre même si on ne m’a enseigné qu’une histoire édulcorée dans laquelle elles ne figurent pas

 

effacées des livres
effacées des luttes qu’elles ont menées et mènent encore.

 

puisque les batailles ne sont pas gagnées
que les ressacs sont nombreux

 

nos demandes · nos colères

 

le fardeau de la contraception

 

l’accès à l’avortement sans cesse fragilisé

 

les accouchements sur le dos
legs d’un roi vaniteux devenu poussière depuis trois siècles

 

les biais de la médecine
nos chances, plus grandes, de mourir d’une crise cardiaque puisqu’on ne croit pas non plus nos symptômes

 

nos colères · nos batailles

 

les salaires · les garderies · les territoires volés · les territoires occupés

 

les vies dont il faut justifier la valeur

 

la brutalité dont ils ont le monopole.

 

et puisqu’on détruit toujours la beauté de ce monde qu’on nous laisse

 

que la crise sanitaire nous renvoie aux cuisines pendant que les maîtres du monde attisent l’intolérance et les flammes

 

il faudra

 

panser les blessures

 

souffler la vieille poussière
crier – jusqu’à ce qu’on nous entende que la justice, c’est encore de la marde

 

exploser les plafonds de verre et nos propres angles morts

 

arrêter les saccages avant qu’il ne reste plus rien

 

l’extractivisme violent des forêts · des humains · des rêves

 

se réapproprier la nuit et l’histoire.

 

 

 

 

PLUS DE CONTENU SONORE SUR LE FLF
En 1971, les membres du Front de libération des femmes – le FLF – orchestrent un coup d’éclat pour dénoncer le système de justice sexiste et sa Loi des jurés qui stipule que seuls les hommes aisés peuvent faire partie d’un jury au Québec. Criant « Discrimination! » et « La justice c’est de la marde! », sept femmes prennent d’assaut le banc des jurés lors du procès de Paul Rose, devenant ainsi les premières à s’y asseoir, un geste qui les mènera directement en prison… et qui amènera la modification de la Loi.

 

Construit à partir des récits de Marjolaine Péloquin, alors membre du FLF, et de Lise Balcer, accusée d’appartenir au FLQ, d’archives et de chansons emblématiques de l’époque, Debouttes! fait vivre de l’intérieur la genèse de l’action des jurées, l’incarcération des militantes et la brève histoire du Front de libération des femmes (1969-1971) qui mènera plusieurs batailles importantes, notamment une campagne nationale en faveur de l’avortement libre et gratuit – des luttes qui résonnent encore aujourd’hui, et que les manuels d’histoire ont choisi de ne pas raconter.
Écoutez le balado DEBOUTTES maintenant!

 

 

 

 

Je sais les femmes d’octobre – Jenny Cartwright
Récit : Jenny Cartwright
Narration : Tatiana Zinga-Botao
Composition musicale : Sandy Pinteus
Mise en voix : Solène Paré
Montage : Sandy Pinteus
Mixage : Thierry Gauthier