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Je suis une femme d'octobre

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© Antoine Desilets, Fonds AntoineDesilets, BAnQ


 
LA COMMISSION BIRD, 1967-1970
 
À la fin des années 1960, malgré d’importantes transformations sociales, les femmes subissent toujours plusieurs formes de discrimination qui freinent l’atteinte d’une égalité des chances. Ce constat pousse une coalition de 32 groupes à revendiquer la tenue d’une enquête nationale sur la « situation de la femme » auprès du gouvernement canadien. Sous leur pression et la menace d’une marche de deux millions de femmes sur la Colline Parlementaire, le premier ministre Lester B. Pearson crée la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada — ou Commission Bird, du nom de sa présidente — en 1967. Les audiences, qui débutent en 1968, permettent d’ouvrir un débat public sur de nombreux enjeux touchant la condition juridique, professionnelle, familiale, économique et politique des femmes. Bien qu’elles n’y aient pas été invitées formellement, des militantes autochtones prennent part à la commission d’enquête en présentant neuf mémoires et en témoignant aux audiences.
 
Le rapport de la Commission, déposé en 1970, comprend 167 recommandations, qui visent à assurer une égalité entre femmes et hommes dans toutes les sphères de la société canadienne. Malgré plusieurs propositions novatrices en matière d’accès à l’avortement, aux congés de maternité et aux garderies, le rapport comporte certaines lacunes. Dans son ensemble, il envisage peu les intérêts différents entre les femmes, qu’elles soient de diverses classes ou origines ethnoculturelles, et encore moins entre les femmes autochtones de nations distinctes. Au-delà de ces silences, les audiences de la Commission permettent tout de même de faire surgir dans l’espace public nombre de revendications et de voix qui étaient auparavant marginalisées. Le rapport offre également aux groupes de femmes de nouveaux outils pour formuler des revendications auprès de l’État dans les décennies suivantes.
 
 
Camille Robert
Historienne et autrice
 
 
 
 

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© André Querry


 
LUTTES DES TRAVAILLEUSES IMMIGRANTES
 
Les travailleuses et travailleurs migrants font depuis longtemps partie de l’histoire du Canada. En effet, jusqu’aux années 60, les politiques d’immigration ont explicitement restreint l’installation des personnes non blanches, tout en profitant de leur force de travail. Ce traitement discriminatoire des personnes migrantes s’est ensuite poursuivi sous d’autres formes.
 
Depuis 2008, la migration temporaire a dépassé l’immigration permanente au Canada. Les femmes racisées représentent une large partie de cette main-d’œuvre migrante temporaire, principalement originaire des Philippines, du Guatemala et du Mexique. Elles effectuent un travail indispensable à la survie de nos sociétés : faire pousser des légumes, prendre soin d’enfants, d’aîné·es, de personnes malades ou en situation de handicap, effectuer du travail ménager, travailler dans les commerces de proximité ou dans l’hôtellerie/restauration. Malgré leurs qualifications et leurs diplômes, ces femmes sont enfermées dans des secteurs d’activité précaires et ont peu d’accès à la résidence permanente.
 
Leur statut d’immigration temporaire les expose aux abus de toutes sortes, particulièrement au travail : salaires impayés, haut taux d’accidents de travail, harcèlement sexuel, accès difficile aux soins de santé, au congé de maternité, à l’école pour leurs enfants, etc.
 
Depuis la crise de la COVID-19, on constate à quel point un grand nombre de ces travailleuses sont « essentielles ». Au sein d’organisation comme l’Organisation des femmes philippines du Québec (Filipino Women’s Organization in Quebec – PINAY), le Centre des travailleurs et des travailleuses immigrants ou encore Solidarité sans frontières, ces migrantes luttent pour être régularisées ou pour obtenir un statut d’immigration permanent.
 
En plus d’actions concrètes pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, ces militantes contribuent à éclairer le rôle du Québec dans la perpétuation des inégalités Nord-Sud ainsi que leurs effets spécifiques sur les femmes, et à dénoncer la dépendance de notre société à l’exploitation des travailleuses et travailleurs, par exemple à travers la consommation de produits et de services à prix dérisoires.
 
 
Alexandra Pierre
Militante féministe
 
 
 
 

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© Valérian Mazataud


 
BLACK LIVES MATTER
 
La vidéo de la mort de George Floyd aux mains de policiers de Minneapolis, au Minnesota, est à l’origine d’un soulèvement mondial. C’est la première fois depuis le début de la pandémie de la COVID-19 qu’une autre nouvelle arrive à monopoliser l’attention du monde. Aux États-Unis, les manifestations se multiplient aux quatre coins du pays.
 
Le Canada n’est pas en reste. Les rassemblements qui s’organisent à Montréal et aux quatre coins du Québec mobilisent une quantité inégalée de manifestants, malgré la pandémie. Le mouvement Hoodstock, basé à Montréal-Nord, assure la distribution de matériel sanitaire et tente de faire respecter les règles de distanciation sociale dans la foule, qui ne cesse de grossir au centre-ville de Montréal. C’est que la pandémie touche particulièrement les quartiers de Montréal où la population noire est la plus nombreuse. Le soulèvement contre la brutalité policière s’inscrit dans un contexte où l’on prend de plus en plus conscience de l’impact du racisme anti-noir sur les iniquités en santé publique, où l’on réalise le rôle que jouent les femmes noires « anges gardiens » dans les emplois essentiels sous-payés du secteur des soins. Le racisme systémique dans la police, les réalités économiques et le système de santé est à l’avant-plan des consciences. À bien des égards, il y a un avant et un après 2020 dans le mouvement antiraciste québécois.
 
 
Emilie Nicolas
Chroniqueuse et activiste
 
 
 
 

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© Catherine Legault


 
LE FÉMINISME INTERSECTIONNEL
 
Le terme a été popularisé en 1989 par la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw. Elle constate que les Noires sont invisibles dans les mouvements féministes alors que les femmes sont invisibles dans les luttes de libération des Noirs, les deux mouvements étant incapables d’entrevoir la réalité du point de vue des femmes noires. Relativement récent, le terme est cependant inspiré par une longue tradition de résistance spécifique des femmes autochtones et des femmes noires depuis la colonisation des Amériques et l’instauration du système esclavagiste.
 
L’intersectionnalité est donc une critique de la tendance à homogénéiser le vécu des femmes. Dans le cas du Québec, toutes les femmes ne sont pas blanches, francophones, sans handicap et de classe moyenne. Déjà, dans les années 70, des féministes d’origine haïtienne au Québec — sans dire le mot intersectionnalité — parlent de la triple oppression qu’elles subissent parce qu’elles sont femmes, noires et immigrantes.
 
Ainsi, le féminisme intersectionnel affirme qu’il n’est plus possible de discuter de sexisme seul, sans sérieusement prendre en compte d’autres éléments tels que le racisme, le capacitisme, l’hétérosexisme, la transphobie ou le classisme. Les injustices subies par les femmes et les personnes au genre non conforme découlent en partie du patriarcat, mais ne se limitent pas à lui seul. Au-delà d’une meilleure prise de conscience de certaines réalités, les féministes intersectionnelles en appellent à une autre répartition du pouvoir et des ressources au sein des mouvements féministes. Elles demandent donc de mettre fin aux inégalités présentes au sein du mouvement des femmes afin de construire une véritable sororité, au-delà de certaines solidarités de façade.
 
Dans les dernières années, le féminisme intersectionnel a ainsi questionné certains angles morts des féminismes majoritaires : le mouvement Black Lives Matter souligne, par exemple, comment les femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou trans sont aussi susceptibles de subir des violences aux mains de la police ou par d’autres institutions; des militantes du mouvement #MeToo ont dénoncé l’invisibilisation des violences subies par les femmes racisées et les femmes en situation de handicap à cause de stéréotypes persistants sur leur sexualité; des femmes autochtones et des féministes racisées ont démontré comment, à cause de leurs mauvaises conditions de vie présentes et historiques, elles sont déjà les plus touchées par les impacts dévastateurs des changements climatiques.
 
 
Alexandra Pierre
Militante féministe
 
 
 
 

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© Antoine Desilets, Fonds Antoine Desilets, BAnQ


 
LE FRONT DE LIBÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC, 1969-1971
 
En 1969 les soulèvements populaires se multiplient au Québec. Le maire de Montréal, Jean Drapeau, proclame un règlement anti-manifestation. En réponse, deux cents femmes protestent. Elles s’installent devant le Monument National sur le boulevard Saint-Laurent, enchaînées les unes aux autres. Non seulement ce sont des femmes qui les premières ont défié le pouvoir abusif de l’administration municipale, mais elles ont contribué à l’avènement au Québec de la « deuxième vague » du mouvement féministe.
 
Plusieurs des instigatrices de cette manifestation sont de celles qui, peu de temps après, fondent le Front de Libération des Femmes du Québec (FLF) avec pour devise : « Pas de libération du Québec sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans libération du Québec! »
 
Elles créent la première édition de QUÉBÉCOISES DEBOUTTES!, dont les articles sont des détonateurs d’éveil de conscience féministe.
 
Au début de 1971, sept militantes de la cellule X Action-choc mènent une opération d’éclat retentissante. Les femmes n’ont toujours pas le droit d’être jurées au Québec. Pour dénoncer l’illégitimité de ce système judiciaire sexiste, l’activiste féministe Lise Balcer refuse de témoigner au procès de Paul Rose – membre du FLQ. Le 1er mars, alors qu’elle attend sa sentence pour outrage au tribunal, les militantes du FLF prennent d’assaut les bancs des jurés en scandant « Discrimination! » et « La justice c’est d’la marde! ». Elles sont condamnées sur-le-champ et incarcérées.
 
Suite à cette action, la loi des jurés sera modifiée quelques mois plus tard, le 18 juin 1971.
 
Malgré sa brève histoire, le Front de Libération des Femmes du Québec mènera plusieurs batailles importantes, notamment des campagnes en faveur de l’avortement libre et gratuit, pour des garderies d’État, l’équité salariale, la fin de l’exploitation du corps des femmes dans la publicité, la redéfinition de la cellule familiale. Autant de luttes que les manuels d’histoire ont choisi de ne pas raconter et qui résonnent encore aujourd’hui.
 
Comme dans le reste de la société québécoise en quête de libération, le FLF avait plusieurs angles morts dans ses visées émancipatrices. Le FLF conçoit les femmes comme un groupe homogène, c’est-à-dire francophone, blanc et ouvrier. Dans ses revendications comme dans son organisation, le FLF tient peu compte des femmes autochtones, notamment en ignorant les contradictions manifestes entre la libération du Québec et la dépossession et la colonisation des peuples autochtones toujours en cours à cette époque. De même, malgré la longue histoire des femmes noires et des femmes racisées sur le territoire, et le fait que dès la fin des années 60 de plus en plus de femmes du Sud global s’installent au Québec, ces perspectives sont absentes du FLF. Les voix de ces femmes sont parfois même instrumentalisées, par exemple à travers l’expression selon laquelle les Québécoises seraient « les esclaves des esclaves », analogie qui démontre une méconnaissance de l’histoire des Noir·es au Québec et dans les Amériques.
 
Sans minimiser ces absences, les luttes menées par le FLF nourriront la troisième vague du mouvement féministe aux abords des années 90.
 
 
Alexandra Pierre
Militante féministe
 
 
 
 

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© Ed Two-Axe Early


 
MARY TWO-AXE EARLY (1911-1996)
 
Militante et activiste kanien’kehá:ka (mohawk), Mary Two-Axe Early est une pionnière dans la défense des droits des femmes autochtones. Son travail acharné a su inspirer plusieurs générations de femmes et a mené à des réformes importantes de la Loi sur les Indiens. Née en 1911 à Kahnawà:ke, Mary Two-Axe quitte sa communauté à 18 ans pour se trouver du travail à Brooklyn, où elle rencontre Edward Early, un homme d’origine irlando-canadienne.
 
Comme c’était prévu selon la loi canadienne, qui visait ouvertement l’assimilation des peuples autochtones, lorsqu’elle se marie avec lui, elle perd son statut d’Indienne ainsi que la possibilité de retourner vivre un jour auprès des siens dans sa communauté. En 1966, une de ses amies proches ayant aussi perdu son statut meurt dans ses bras après avoir milité pendant des années pour avoir le droit de retourner vivre chez elle. Terrassée de ne pas même pouvoir enterrer son amie dans sa communauté, Mary Two-Axe Early décide de poursuivre sa lutte et passe le reste de sa vie à militer pour que les femmes autochtones ne perdent plus leur statut si elles se marient avec un non-Autochtone.
 
En 1967, elle devient porte-parole de l’organisation Equal Rights for Indian Women et devient membre fondatrice de l’Association des femmes autochtones du Québec (FAQ) en 1974. Son combat lui permet d’être la première femme à retrouver son statut en 1985.
 
 
Annie O’Bomsawin-Bégin
Membre de la nation des Abénakis d’Odanak
 
 
 
 

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© Marik Boudreau


 
1995 – MARCHE DES FEMMES CONTRE LA PAUVRETÉ « DU PAIN ET DES ROSES »
 
Du 26 mai au 4 juin 1995, 850 marcheuses convergent vers l’Assemblée nationale, où 15 000 personnes les accueillent. En trois groupes partant de Montréal, Longueuil et Rivière-du-Loup, elles traversent le Québec réclamant « du pain et des roses ». Elles marchent pour la plupart de deux à dix jours, des centaines de femmes et d’hommes les accompagnent sur quelques kilomètres. Traversant 57 localités, les marcheuses sont accueillies par la population, jusqu’aux cloches d’églises qui résonnent. Les médias les suivent à la trace, des journalistes marchent même avec elles.
 
Elles marchent pour neuf revendications : des emplois dans des infrastructures sociales, une loi sur l’équité salariale et la perception automatique des pensions alimentaires, l’application élargie des normes du travail, l’augmentation du salaire minimum, la création de logements sociaux, un meilleur accès à la formation générale et professionnelle, l’application rétroactive de la réduction du temps de parrainage des femmes immigrantes parrainées par leur mari et un soutien lors de violence conjugale et familiale, le gel des frais de scolarité et l’augmentation des bourses d’études.
 
Sous le leadership de la Fédération des femmes du Québec, la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté se met en place au printemps 1994, réunissant des dizaines d’organisations féministes, communautaires, syndicales et religieuses. Les revendications y sont élaborées et une logistique impressionnante se déploie. Grâce à 1 500 militantes et des centaines d’organisations, les marcheuses sont entourées, massées, nourries et hébergées. La participation de femmes de 14 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine éveille une solidarité internationale féministe.
 
Les gains de la marche de 1995 ne peuvent se mesurer que par les réponses du gouvernement d’alors, ni même des suivants. Elle a stimulé les féministes, leur mouvement et leurs alliances durant de nombreuses années, menant même à la création de la Marche mondiale des femmes, laquelle est célébrée tous les cinq ans depuis l’an 2000.
 
 
Mercédez Roberge
Travailleuse dans l’équipe de coordination de la Marche du Pain et des roses
et co-organisatrice des retrouvailles lors du 20e anniversaire

 
 
 
 

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© F6 Di Salvio


 
IDLE NO MORE
 
Idle No More – Un mouvement pour la protection du territoire et des droits autochtones porté par les femmes
En 2012, en réaction au projet de loi omnibus C-45, quatre femmes de la Saskatchewan, Jessica Gordon, Sylvia McAdam, Sheelah McLean et Nina Wilson, créent une page Facebook nommée Idle No More, où elles dénoncent la volonté du gouvernement Harper d’assouplir la réglementation des politiques environnementales et de modifier la Loi sur les Indiens de telle sorte que des projets de « développement », comme les pipelines, n’aient plus à dépendre des consultations des communautés autochtones pour aller de l’avant. Rapidement, plusieurs rassemblements à travers le Canada sont organisés par les femmes en appui à cette dénonciation qui invite à ne plus être dans l’inertie. Elles prennent d’assaut les rues et les centres d’achat en période de grande affluence dans une mobilisation qui étonne, par le chant et la danse. Misant sur la force de leurs traditions pour rappeler au monde entier qu’elles existent et qu’elles sont debout pour protéger le territoire et l’autonomie de leur nation, ces femmes gagnent une visibilité qui dépasse nos frontières.
 
Le mouvement Idle No More a créé une onde de choc dans les communautés et a permis de créer un réseau important de communication entre elles, et ce, en dehors des canaux traditionnels de la politique autochtone dont la grande majorité des leaders sont des hommes. Les femmes, vivant souvent encore à ce jour les contrecoups des dimensions patriarcales de la colonisation canadienne qui les ont empêchées d’avoir une voix politique pendant plusieurs générations, luttent ainsi en parallèle pour que leurs doléances ne restent pas lettre morte.
 
 
Annie O’Bomsawin-Bégin
Membre de la nation des Abénakis d’Odanak
 
 
 
 

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Photo d’origine : Jacques Nadeau
 

© Hubert Larose St-Jacques


 
1978 PREMIÈRE MANIFESTATION DE LA COORDINATION NATIONALE POUR L’AVORTEMENT LIBRE ET GRATUIT
 
Jusqu’en 1969, l’avortement — et même la contraception — était un acte criminel, passible d’emprisonnement. C’est seulement après l’adoption du Bill omnibus en 1969 que l’avortement a été permis pour des raisons médicales, à condition que la demande soit approuvée par un comité thérapeutique composé de trois médecins — généralement tous des hommes!
 
C’est dans ce contexte que nous avons mis sur pied le Centre des femmes en 1972 pour offrir un service de référence pour avortement. Or, référer une femme à un médecin qui pratiquait des avortements à l’extérieur du milieu hospitalier contrevenait au Code criminel et demeurait un crime punissable d’une peine d’emprisonnement.
 
Nous contrevenions au Code criminel, il est vrai, mais nous nous opposions surtout à la société patriarcale et au contrôle qu’elle exerçait sur nos corps. Nous voulions reprendre le contrôle de nos vies et nous avons crié notre refus.
 
« Ni pape, ni juge, ni médecin, ni conjoint, c’est aux femmes de décider! »
 
Ce cri, entendu et repris par d’autres femmes dans leur foyer, dans leur quartier et dans leur milieu de travail, a contribué à briser des chaînes jusqu’à aujourd’hui.
 
 
Martine Éloy
Membre fondatrice du Centre des femmes et de Québécoises debouttes!
 
 
 
 

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© André Querry


 
2019 – MARCHE DES FEMMES CONTRE LA LOI 21
 
Le rendez-vous était donné au centre-ville de Montréal. À la place Émilie-Gamelin, haut lieu de la résistance montréalaise, elles venaient de toutes parts : Ahuntsic, Laval, Brossard, Montréal-Nord, Saint-Laurent ou Rivière-des-Prairies, entre autres. Un seul mot d’ordre : inviter le monde à voir plus que leur tissu sur la tête. Elles étaient éducatrices, enseignantes, étudiantes, assistantes dans les écoles. Venant d’ailleurs ou nées au Québec, elles avaient pour ambition d’enseigner aux jeunes élèves et étudiant·es. Devant la Loi sur la laïcité de l’État (Projet de loi 21), adoptée grâce à un bâillon, dans un processus antidémocratique flagrant, après des consultations partielles, voire partiales, elles ne pouvaient que résister.
 
Dans la rue, devant les tribunaux ou par leur dignité quotidienne, les femmes musulmanes s’organisaient et consolidaient leur rapport à la société et au gouvernement. Dans cette manifestation pour signifier leur désaccord, tissées serrées, elles érigeaient toutes le même carton rouge face à l’exclusion qui était institutionnalisée par la Loi sur la laïcité de l’État. Mères et filles, voisines ou collègues, elles prirent la rue pour crier leur citoyenneté brimée, certes, mais bel et bien active. Elles étaient conscientes que la marche est un moyen de résistance parmi tant d’autres. La plus grande résistance, elles allaient devoir la vivre au quotidien avec cette loi, qui leur imposait un choix ignoble. Nourrir leurs familles grâce au travail qui les épanouissait et pour lequel elles avaient étudié n’était plus une évidence.
 
 
Bochra Manaï
 
 
 
 

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© André Querry


 
2008 – MANIFESTATION CONTRE LE PROJET C-484 DES LOIS DISCRIMINATOIRES À L’ENDROIT DES FEMMES
 
Présage d’une recriminalisation de l’avortement
En mars 2008, vingt après la victoire du Dr Morgentaler (1988) décriminalisant la pratique de l’avortement au Canada, un projet de loi privé porté par le député conservateur Ken Epp est adopté en deuxième lecture à la Chambre des communes : le projet de loi C-484, Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels.
 
Sous le couvert de la protection des femmes enceintes et de la criminalisation de gestes causant la mort d’un « enfant non encore né » (in utero ou à la naissance), C‑484 visait la reconnaissance d’un statut juridique au fœtus. Reconnaître un statut de personne au fœtus aurait pour conséquence de lui accorder un droit à la vie et à la sécurité physique, des droits qui entrent en contradiction avec ceux de la femme enceinte.
 
C-484 constituait une menace au droit des femmes enceintes à l’avortement.
 
Pour contrer l’adoption finale de C-484, les féministes et les pro-choix ont repris du service au Canada, d’un océan à l’autre. Il fallait réitérer la préséance des droits des femmes enceintes sur ceux du fœtus et s’opposer à toute limite potentielle à la liberté et à l’autonomie des femmes à décider pour elles-mêmes. Depuis les années 1970, le droit à l’avortement et les services qui en assurent l’accessibilité ont fédéré une part importante du mouvement féministe. Au Québec, en 2008, la mobilisation dans les rues n’a pas faibli, quand jeunes et moins jeunes ont marché côte à côte en partageant révolte et solidarité.
 
« La politique sur notre ventre ne se fera pas sur notre dos. »
 
En septembre 2008, C-484 et les trois autres projets de loi similaires meurent au feuilleton avec la dissolution du gouvernement Harper. Cependant, des menaces au droit à l’avortement perdurent, car des député·es de la ­­Chambre des communes s’affichent toujours « pro-vie ».
 
 
Stéphanie Mayer
Chercheure postdoctorale à l’Université d’Ottawa
 
 
 
 

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Photos : Ross Higgins, Manifestation du 5 mars 1983 + Jacques Nadeau (vignette)
 

© Hubert Larose St-Jacques


 
ACTIVISME POLITIQUE DES FÉMINISTES LGBTQ+
 
« Une lesbienne est radicale ou n’est pas lesbienne. Une lesbienne qui ne réinvente pas le monde est une lesbienne en voie de disparition. »
-Nicole Brossard 1
 
Ce n’est pas d’hier que les lesbiennes réinventent le monde! Elles sont de toutes les luttes. Avec les femmes hétérosexuelles, elles dénoncent le viol et le harcèlement sexuel, demandent l’équité dans l’accès aux études et au travail, réclament l’accès à l’avortement libre et gratuit…
 
Au tournant des années 1980, des groupes autonomes de lesbiennes commencent à s’organiser et participent aux manifestations du mouvement féministe et du mouvement gai.
 
Pendant l’une des premières marches de la Fierté à Montréal, en juin 1979, des lesbiennes marchent derrière une bannière où elles ont écrit : « Lesbiennes : On étouffe sous nos masques ». Certaines portent un sac en papier brun sur la tête, d’autres tiennent des pancartes qui clament : « Je suis votre mère », « Je suis votre fille », « Je suis votre sœur », « Je suis votre infirmière », « Je suis votre vieille tante célibataire », « Je suis votre ancienne blonde », etc. Autrement dit : nous sommes partout, mais la discrimination et les préjugés que nous subissons nous obligent à vivre cachées.
 
Le message du contingent de lesbiennes qui prennent part à la Marche mondiale des femmes le 8 mars 1983 est le même : elles ont décoré des soucoupes en plastique (celles qu’on utilise pour glisser sur la neige) qu’elles brandissent, tantôt pour se cacher, tantôt comme un bouclier d’Amazone. D’autres portent des pancartes qui expliquent les raisons pour lesquelles elles sont parfois visibles, d’autres fois, non…
 
Aujourd’hui, au Québec, les couples et les droits parentaux des lesbiennes sont reconnus par la loi. En principe, les chartes de droits nous protègent de la discrimination, mais la visibilité a encore un prix pour les lesbiennes et les autres femmes qui refusent de se conformer aux normes d’un régime de genre binaire. Nous vivons encore dans une société hétéronormative et hétérosexiste. Ensemble, il faut continuer à réinventer le monde.
 
 
Laure Neuville
Membre des Archives lesbiennes du Québec
 
[1] BROSSARD, Nicole. « Kind Skin My Mind », Resources for Feminist Research/Documentation sur la recherche féministe (RFR/DRF), vol. XII, no 1, Toronto, mars 1983, repris dans BROSSARD, Nicole. La lettre aérienne, éditions du remue-ménage, Montréal, 1988, p. 107-109.
 
 
 
 

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© Valérian Mazataud


 
ME TOO / MOI AUSSI
 
En 2006, la militante et organisatrice communautaire afro-américaine Tarana Burke lance la campagne Me Too. En tant que survivante de violences sexuelles, son initiative est axée sur un message de solidarité et de sororité. Ce projet est né du constat que les survivantes des communautés noires et de quartiers défavorisés sont invisibilisées dans la lutte aux violences sexuelles.
 
Près d’une décennie plus tard, en octobre 2017, dans la foulée du scandale sexuel Weinstein ayant été mis en lumière par des journalistes, le mot-clic #MeToo devient viral sur la Toile. À la suite d’une publication Twitter de l’actrice Alyssa Milano, #MeToo devient un mouvement social d’envergure et historique, qui transcende les frontières des États-Unis. Ses effets se font encore sentir à ce jour dans de nombreux pays.
 
#MeToo est un mouvement social aux ramifications et impacts complexes. Il a pris des formes variées dans les différents contextes géographiques où il s’est inséré. Au Québec, les vagues de dénonciation ont été multiples et protéiformes. Elles ont débuté avec les vagues de dénonciations sur les campus universitaires, notamment à la suite de la grève étudiante de 2012, et se sont articulées lors de l’affaire Jian Gomeshi avec #AgressionNonDénoncée en 2014. Au cours de l’été 2020, les milieux artistiques ont par ailleurs été secoués par une nouvelle vague de dénonciations.
 
Le mouvement #MoiAussi a remis au goût du jour une conversation difficile, mais nécessaire sur les violences sexuelles. Il nous a invité·es à revisiter les notions de justice et de réparation, un travail qui demeure inachevé. Toutefois, un écueil de ce mouvement demeure flagrant : l’effacement de la contribution des femmes noires ayant participé à sa genèse.
 
 
Kharoll-Ann Souffrant
Travailleuse sociale et étudiante au doctorat en service social à l’Université d’Ottawa
 
 
 
 

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Photo d’origine : Jacques Nadeau
 

© Hubert Larose St-Jacques


 
LES LUTTES DES FEMMES INNUES ET AUTOCHTONES POUR LA PROTECTION DU TERRITOIRE ET DES RESSOURCES NATURELLES
 
Protection du territoire et des ressources naturelles – Les femmes innues au front
Le rapport des nations autochtones au territoire est d’une richesse dont la complexité est difficile à exprimer. Souvent, on le réduit à la proximité nécessaire à la survie par la pêche, la chasse, la cueillette et l’agriculture, mais il faut en dire beaucoup plus. Le territoire et tout ce qui l’habite ne sont pas vus comme des choses dont on peut prendre possession pour accroître sa richesse. Le territoire est un lieu d’apprentissage, où le savoir-faire spécifique à ce qu’on y trouve est transmis d’une génération à l’autre. Il a une dimension spirituelle, notamment parce que les ancêtres ont aplani les sentiers sur lesquels on marche. Il est parsemé de médecine et est un repère où s’encrent les histoires qu’on y raconte et les langues qu’on y parle. De plus, les femmes sont traditionnellement réputées pour avoir un rapport particulier au territoire et en être les gardiennes parce que, comme la Terre mère, elles aussi sont porteuses de vie. Pour ces raisons, l’accaparement des territoires autochtones et la mise en réserves ont eu un effet plus dévastateur que toute personne avec une vision occidentale du territoire ne peut s’imaginer.
 
Sur cette photo, on voit des femmes innues s’opposer à un projet de « développement » basé sur l’extraction des ressources naturelles du Nitassinan (« notre terre » en innu-aimun). En plus de détruire ce qui est au cœur de la vie de peuples millénaires, ce genre de projets est dénoncé par plusieurs groupes de femmes autochtones parce qu’il n’offre pas d’occasions d’emploi pour elles et les rend vulnérables à l’exploitation des hommes qui viennent y travailler temporairement, loin des regards.
 
 
Annie O’Bomsawin-Bégin
Membre de la nation des Abénakis d’Odanak
 
 
 
 

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© André Querry


 
CARE
 
Elles sont venues demander asile ici parce qu’elles craignaient pour leur vie. Seules ou avec leur famille, par le chemin Roxham ou en suivant d’autres trajectoires, elles ont parcouru des kilomètres, surmonté des obstacles, vécu de multiples épreuves avant d’arriver au Québec. Leur parcours migratoire est un cheminement de la survie à la vie, marqué par la volonté d’affirmer leur humanité et d’accéder à la citoyenneté. Elles ont des histoires à raconter et un avenir collectif auquel elles veulent contribuer en devenant résidentes permanentes au Canada.
 
Dans leur processus de demande d’asile, elles obtiennent bien vite un permis de travail. Mais voilà, malgré leur intégration à la société d’accueil et le travail qu’elles accomplissent, le système d’immigration se permettrait de les rejeter? Si elles sont assez bonnes pour travailler, elles sont assez bonnes pour rester! Celles et ceux qui se sont rassemblé·es ce beau matin d’été pour manifester ont réclamé la régularisation des statuts d’immigration et ont rappelé aux gouvernements provincial et fédéral que tous et toutes sont essentiel·les.
 
 
Jennie-Laure Sully
Féministe radicale, abolitionniste et internationaliste
 
 
 
 

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© André Querry


 
2007-2015 LES FEMMES ET LA COMMISSION VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION
 
Réclamer notre pouvoir et notre place : l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2015-2019)
Après des décennies de mobilisation de femmes autochtones à travers le Canada dénonçant l’indifférence et l’inaction devant la violence et un nombre alarmant de disparitions et d’assassinats de filles et de femmes de leur communauté, la GRC publie un rapport, en 2014, où elle fait pour la première fois un portrait national de la situation. On y relate que, en comptant seulement les cas déclarés à la police, les femmes autochtones sont surreprésentées parmi les femmes disparues et assassinées au Canada. Ce faisant, le rapport donne plus de visibilité aux groupes de femmes autochtones qui réclamaient une commission d’enquête nationale indépendante depuis longtemps.
 
En 2015, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est mise sur pied et les commissaires font le tour du Canada pour recueillir les témoignages des familles, des communautés, des experts et des Gardiens du savoir. Le rapport publié en 2019 — disponible en ligne gratuitement — permet de comprendre les origines de toute cette violence vécue par les filles, les femmes et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones. Appelant à des réformes juridiques et sociales majeures, le rapport est aussi destiné à toute la population canadienne à qui l’on a longtemps caché « l’autre histoire canadienne ».
 
 
Annie O’Bomsawin-Bégin
Membre de la nation des Abénakis d’Odanak
 
 
 
 

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© André Querry


 
1991 – MANIFESTATION CONTRE LA VIOLENCE POLICIÈRE
 
Le 3 juillet 1991, la police de Montréal abat Marcellus François, un homme noir de 24 ans, alors assis dans sa voiture à une intersection, attendant que le feu tourne au vert. Une escouade tactique était à la recherche de Kirt Haywood, un autre homme noir dont la description physique ne correspondait pas du tout avec celle de François. L’un est grand, barbu, avec de longs cheveux; l’autre est petit et rasé. Les communications du SPVM parlent d’une simple « erreur sur la personne », alors qu’un citoyen non armé a été abattu dans son véhicule en un court instant. La SQ fait enquête et, le 26 juillet, ne porte aucune accusation contre le policier qui a fait feu, Michel Tremblay.
 
La mort de Marcellus François et les réactions du SPVM et de la SQ créent un large mouvement de contestation dans la communauté noire de Montréal. Sur la photo, on voit notamment une pancarte qui se lit : « Tous les Blancs se ressemblent-ils? » Il n’est pas rare que les policiers utilisent le prétexte qu’une personne noire innocente ressemblerait à un criminel recherché pour justifier le profilage racial et la brutalité.
 
 
Emilie Nicolas
Chroniqueuse et activiste
 
 
 
 

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© Robert Skinner


 
1995 – LA MARCHE DU PAIN ET DES ROSES­
 
En 1995, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) organise la marche « Du pain et des roses ». Dans les années suivantes, la FFQ décide d’orchestrer une grande marche féministe internationale pour souligner le passage au XXIe siècle, dans le but de mobiliser les femmes du monde entier autour d’enjeux tels que la pauvreté et la violence.
 
En 2000, ce sont près de 6 000 groupes issus de 163 pays qui y prennent part. La Marche mondiale des femmes est née! Depuis, tous les cinq ans, des marches sont organisées. La Marche mondiale des femmes est devenue le symbole d’un mouvement planétaire et international pour les droits des femmes. Pour l’édition 2020, cinq thématiques sont mises de l’avant : la pauvreté, la violence, l’environnement, les femmes autochtones et les personnes migrantes. Elles sont intimement reliées, tant dans les enjeux qu’elles soulèvent que dans les pistes de solutions qu’elles requièrent.
 
En regardant vers l’avenir, les mouvements féministes doivent prendre en compte les différentes réalités et expériences qui existent entre les femmes. Nous nous dirigeons alors vers un mouvement pluriel pour la justice sociale. Nous nous devons de lutter contre toutes les formes d’oppression que peuvent vivre les femmes, non seulement pour elles, mais au bénéfice de l’ensemble de la société. C’est ce que j’aimerais pour les éditions de la Marche mondiale des femmes auxquelles les générations actuelles et futures prendront part.
 
 
Kharoll-Ann Souffrant
Travailleuse sociale et étudiante au doctorat en service social à l’Université d’Ottawa
 
 
 
 

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© André Querry


 
LES LUTTES MENÉES PAR LES FEMMES HAÏTIENNES AUJOURD’HUI
 
Je suis d’ici et de là-bas. Je vis ici pour que là-bas aussi puisse vivre. Je lutte ici pour faire écho aux luttes de là-bas. Femmes d’Haïti, femmes du Québec, femmes du monde, je suis des vôtres, vous êtes des nôtres. Lorsque ma voix s’est élevée au mégaphone, ce froid matin d’hiver, c’était pour que toutes et tous entendent notre déclaration commune contre l’impérialisme canadien sur la terre de Dessalines. C’était pour crier : « À bas les corrompus et les corrupteurs, qu’ils soient ici ou là-bas! »
 
Avec plusieurs camarades, au parc Toussaint-Louverture, cette journée-là, nous étions bien loin de la répression du régime illégitime de Port-au-Prince soutenu par le gouvernement du Canada. Mais en pensée, nous étions tout proches des militants et militantes d’Haïti qui rejettent tout ce qui rime avec l’industrie de l’humanitaire : les forces policières étrangères, les compagnies minières et les guerres. Ici, comme là-bas, nous embrassons la souveraineté populaire.
 
 
Jennie-Laure Sully
Féministe radicale, abolitionniste et internationaliste
 
 
 
 

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© André Querry


 
COALITION DE FEMMES POLITICIENNES POUR UNE RÉGLEMENTATION CONTRE LA CULTURE DU VIOL
 
Il était une fois, dans les cégeps et les universités…
 
Contre des initiations sexistes et hypersexualisées. Contre des politiques — désuètes, parcellaires, ou inexistantes — concernant les violences sexuelles sur les campus des cégeps et des universités. Contre des abus de pouvoir aux mains de professeurs qui parfois finissent par n’enseigner rien d’autre que le désespoir et la peur. Contre des zones qu’on préfère qualifier de grises plutôt que de dire la vérité. Contre l’emprise invisible. Contre cette fausse élection de l’une au détriment de toutes les autres. Contre l’abus qui opère entre les murs d’un bureau, dans le couloir d’un département, entre les rangées d’une salle de classe. Contre la loi du silence et le bâillon du secret. Contre la honte qu’on nous colle sur la peau.
 
Il fallait défaire les nœuds. Il fallait mettre au jour le pouvoir tentaculaire des bouches du savoir et dénoncer ce qui le plus souvent passe inaperçu. Il fallait jeter la lumière sur ce qui pourrit l’atmosphère, met en péril les études, exclut celles qui osent malgré tout résister.
 
Ainsi… il était une fois.
 
Qu’on cesse de les détourner du chemin qu’elles ont choisi. Qu’on cesse de minimiser les agressions qu’elles ont subies. Qu’on regarde les choses en face et qu’on nomme le mal qui a été fait pour qu’enfin les choses changent et que les femmes soient véritablement admises, accueillies, respectées, encouragées… dans les cégeps et les universités.
 
Étudiantes. Futures collègues. Chercheures. Penseuses. Artistes. Au cœur de cette société.
 
 
Martine Delvaux
Écrivaine et professeure
 
 
 
 

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2016 – MARCHE CONTRE LA LOI 62 – LES LOIS DISCRIMINATOIRES À L’ENDROIT DES FEMMES RACISÉES
 
Dolores est anglophone, Eve est francophone. L’une porte les voix des femmes sud-asiatiques présentes depuis longtemps au Canada et l’autre, convertie à l’islam avec les Maghrébins arrivés dans les dernières décennies, lutte pour les droits humains. L’une comme l’autre sont des féministes inconditionnelles.
 
Malgré la complexité de leurs identités, les musulmans du Québec se sont rassemblés dans les dernières années face aux multiples controverses dont ils ont été l’objet. Parmi eux, les femmes ont toujours été l’objet de l’instrumentalisation. Voile, niqab, burkini, tout vêtement qui visibilise l’appartenance religieuse ou culturelle est devenu un sujet de conversation dans l’espace public et médiatique. Chaque fois, le débat a porté sur elles, sans toutefois les inclure. Dépossédées de leurs choix ou de leur parole, exclues de la conversation, les femmes musulmanes ont trouvé dans leurs alliées féministes les gardiennes de leurs droits.
 
Malgré le coût pour toutes en déshumanisation et en épuisement, elles n’ont lâché sous aucun prétexte. Ensemble, elles ont porté leur position contre la loi sur la neutralité religieuse de l’État (Projet de loi no 62), qu’elles soient pour ou contre le niqab. Car c’était avant tout une question de droit et de justice sociale.
 
 
Bochra Manaï
 
 
 
 

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LES MOBILISATIONS DES FEMMES SUD-ASIATIQUES
 
« Le Centre communautaire des femmes sud-asiatiques (CCFSA) a été fondé en 1981. Une année auparavant, en 1980, neuf femmes sud-asiatiques de tous les âges vivant à Montréal s’étaient réunies pour déplorer l’absence d’un organisme répondant aux besoins particuliers des femmes de notre origine. Le groupe était composé de jeunes étudiantes, de femmes au foyer et de professionnelles établies. C’était une époque d’effervescence et de redéfinition de la femme dans nos pays d’origine et partout sur terre. Les Nations Unies décrétaient l’Année internationale de la femme en 1975, la même année que se tenait la Conférence de Mexico, alors que les générations postcoloniales maintenant adultes commençaient à réaliser que ce qui avait été promis, notamment en matière d’égalité des genres, ne se concrétisait pas. De nouveaux groupes voyaient le jour — des centres de femmes autonomes. Les publications et les magazines prenaient les médias d’assaut.
 
La population sud-asiatique de Montréal grandissait, et de plus en plus de femmes, dont la culture et la langue n’étaient pas représentées ni comprises, se retrouvaient incapables d’avoir accès à ce qui leur était offert. Ce groupe intergénérationnel de femmes d’origine sud-asiatique vivant à Montréal a donc décidé de passer à l’action. Le CCFSA est né de ce collectif pour devenir aujourd’hui un centre qui répond aux besoins des femmes et de leur famille sur une base quotidienne. Dès le départ, les fondatrices ont voulu faire du CCFSA un mouvement d’empowerment pour les femmes. Une grande partie de notre travail impliquait d’aborder des problèmes de violence à l’égard des femmes, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Les fondatrices ne voulaient d’ailleurs pas créer une organisation philanthropique, mais bien un endroit qui apporterait des bienfaits à toutes, y compris à elles-mêmes. Les mêmes principes fondamentaux de féminisme et de sororité ont toujours guidé le CCFSA dans ses activités intégrées de prestation de services, de plaidoirie et d’activisme. Dès ses débuts, le CCFSA était unique en ce qu’il réunissait les femmes de toutes les régions et communautés de l’Asie du Sud. Le CCFSA s’est depuis transformé et développé pour s’ajuster aux changements démographiques et à l’évolution des besoins de la communauté, mais nos valeurs fondamentales demeurent les mêmes. »
 
 
– Extrait du site Internet du Centre communautaire des femmes sud-asiatiques
 
 
 
 

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LES RÉCITS DES FEMMES HAÏTIENNES ET NOIRES
FAITS SAILLANTS DES FEMMES HAÏTIENNES ET NOIRES, DÉCENNIES 70 ET/OU80
 
Dans les années 70, les femmes noires participent évidemment aux mouvements de contestation sociale. Plusieurs d’entre elles jouent un rôle crucial lors des protestations (1969) contre le racisme anti-noir de l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Université Concordia). Elles dénoncent la dictature de Duvalier et les politiques impérialistes complices du Québec et du Canada. Elles mènent des actions pour éviter la déportation d’exilées politiques vers différents régimes autoritaires de la planète. Elles mènent des luttes pour l’accès des familles noires à des logements abordables, pour des soins médicaux et des garderies répondant à leurs besoins. Elles organisent des actions contre le racisme dans l’éducation, notamment par rapport à la représentation des Noir·es dans les ouvrages scolaires.
 
Arrivées au Québec pour échapper à la répression en Haïti et pour développer les nouvelles institutions québécoises issues de la Révolution tranquille, les féministes haïtiennes sont présentes sur plusieurs fronts : elles investissent toutes sortes de champs pour venir en aide à la communauté haïtienne et aux immigrantes. Elles sont aussi conscientes de la nécessité de construire des espaces pour prendre leur place dans la politique québécoise et pour combattre la dictature duvaliériste à partir d’ici. Plusieurs organisations importantes voient alors le jour grâce à l’engagement de ces femmes, par exemple le Point de ralliement des femmes d’origine haïtienne (1971), la Maison d’Haïti (1972) ou le Rassemblement des femmes haïtiennes (1973).
 
Le Québec compte aussi des communautés noires installées depuis plusieurs générations. Par exemple, les femmes afrodescendantes de la Petite-Bourgogne sont très actives au sein l’Association des femmes de couleur de Montréal (Coloured Women’s Club of Montreal – CWO), un des premiers groupes de femmes du Québec (1902).
 
Durant cette décennie, il existe une forte volonté chez ces femmes noires de travailler entre elles pour aborder de front le racisme et le sexisme de leur quotidien. Ce besoin est d’autant plus fort que les groupes de femmes de la majorité se préoccupent peu de leur sort, ne les considérant pas comme des actrices politiques. La grande aventure du Congrès des femmes noires du Canada (CFNC) et de sa très dynamique section montréalaise témoigne de cette volonté. Entre 1973 et 1982, Afro-Canadiennes de longue date et femmes immigrantes d’ascendance caribéenne, africaine et antillaise s’y réunissent régulièrement pour développer des actions afin d’améliorer les conditions de vie des femmes noires et de leurs communautés.
 
 
Alexandra Pierre
Militante féministe
 
 
 
 

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© André Querry


 
201­3-2020– LES FEMMES ENGAGÉES DANS LE MOUVEMENT BLACK LIVES MATTER
 
Le 27 juin 2017, Pierre Coriolan est tué par le SPVM dans son appartement du quartier Centre-Sud, à Montréal. L’homme de 58 ans vient d’apprendre qu’il serait évincé de son logement. Il s’agite chez lui, seul. Des voisins appellent la police, qui agit très rapidement une fois arrivée sur les lieux. Coriolan reçoit des balles de plastique, puis est atteint à trois reprises par une arme à feu. Une balle reçue à l’estomac lui sera fatale.
 
Le 2 juillet, Montréal Noir, Hoodstock et Black Lives Matter lancent un rassemblement devant l’édifice HLM où Coriolan a été abattu. En plus des activistes locaux, des groupes de Toronto et de Los Angeles se joignent à la manifestation afin de contribuer à ce que cette tragédie locale reçoive une couverture ailleurs en Amérique du Nord. Malgré une mobilisation importante, peu de journalistes assistent au rassemblement de départ. La manifestation se déplace sur la rue Sainte-Catherine, vers l’ouest, en direction de la Place des Arts, où se déroule le Festival international de Jazz de Montréal. Un noyau de porte-parole décide d’escalader une des scènes principales du festival, inoccupée en milieu d’après-midi, avec l’accord du personnel de la sécurité. Les participants dans la foule se mettent alors à scander « Jazz is Black » en plus des slogans habituels, afin de rappeler aux festivaliers interloqués qu’on ne peut dissocier la musique qu’ils aiment tant des conditions de vie des hommes et femmes qui l’ont, après tout, créée. De la scène, on rend hommage à Pierre Coriolan. À la suite du coup d’éclat, plusieurs médias décident finalement d’accorder plus de place à la manifestation dans les nouvelles du jour.
 
Quelques mois plus tard, une vidéo de l’intervention policière est rendue publique par les avocats de la famille Coriolan. C’est la première fois que la mort d’un homme noir de Montréal aux mains de la police est ainsi capturée sur caméra. Les imaginaires en sont marqués.
 
 
Emilie Nicolas
Chroniqueuse et activiste
 
 
 
 

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Photo d’origine : Jacques Nadeau
 

© Hubert Larose St-Jacques


 
LA COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA (2008-2015) — LES FEMMES PORTEUSES DES CULTURES TRADITIONNELLES AUTOCHTONES
 
Dans plusieurs pays dans le monde, on a utilisé le modèle de la commission de vérité et réconciliation pour résoudre les conflits d’une grande violence entre les groupes d’un même pays. Ce genre de processus a pour but non pas de judiciariser des individus en particulier ou d’identifier des coupables, mais de donner une tribune nationale à celles et ceux qui ont subi cette grande violence pour qu’elle soit connue et reconnue. Le modèle suppose qu’aucune réconciliation entre les groupes n’est possible sans que la vérité ne soit exprimée et entendue.
 
Ainsi, à l’instar de l’Afrique du Sud au lendemain de l’apartheid, le Canada a mis sur pied une telle commission en 2008 pour faire face aux conséquences du système des pensionnats autochtones. Pendant plus d’un siècle, les enfants dits « sauvages » ont été enlevés de leur famille et de leur communauté pour résider dans des pensionnats où ils recevaient une éducation « canadienne ». L’objectif avoué de ces écoles était de « tuer l’Indien au cœur de l’enfant » et d’ainsi faire mourir les langues, les cultures et les traditions autochtones jugées inférieures à celles de la majorité canadienne.
 
Après avoir entendu plus de 6 000 témoignages de survivantes et survivants des pensionnats, la Commission a conclu que ce système a largement contribué à un génocide culturel des nations autochtones du Canada. Les femmes, dont l’un des rôles traditionnels est de transmettre la langue et la culture, continuent à lutter pour leur place avec la conviction profonde qu’être de telles porteuses est au cœur de la guérison de leur nation et de la réconciliation avec le peuple canadien.
 
 
Annie O’Bomsawin-Bégin
Membre de la nation des Abénakis d’Odanak