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Mot de Sarah DeLappe

J’ai écrit cette pièce en portant un soutien-gorge de sport. Je ne suis pas une athlète actuellement, et je n’en avais pas non plus porté à l’école secondaire. J’enlevais mon chandail, puis mon soutien-gorge, puis j’enfilais le soutien­-gorge de sport, et je m’asseyais pour écrire. Je partage cette information non pas pour faire la promotion du « method writing » (quoique…) mais plutôt pour évoquer le genre de pièce que ce texte est depuis le début. Physique. Investi dans le corps, le corps des femmes, pas dans leur dimension sexuelle ou symbolique, mais le corps musculaire, agile, capable, paradoxal et faillible des individus.

 

Bienvenue sur la planète des adolescentes.

 

L’impératif biographique pèse sur les écrivains, à plus forte raison sur les écrivaines. Plusieurs croient que les autrices ne savent raconter que leur propre vie, car comment pourraient-elles imaginer quoi que ce soit? Je n’ai pas joué au soccer à l’école secondaire. J’étais une adolescente. Je connaissais d’autres adolescentes, j’en connais encore.

 

Ces personnages ne sont pas inspirés de mon album de finissants. La pièce ne parle pas vraiment de soccer.
Alors pourquoi le soccer?

 

L’astroturf et l’exceptionnalisme américain. Il est essentiel que ces filles jouent au soccer à l’intérieur, dans un centre sportif de banlieue conçu spécifiquement pour qu’elles puissent jouer en t‐shirt en plein hiver. Ce sport mondial, canalisé sur un terrain de banlieue. Une équipe invaincue. Ces adolescentes américaines vivent dans une bulle. À l’âge particulier où les enjeux de la vie quotidienne sont à leur paroxysme, elles sont déterminées à comprendre le monde qui les entoure, mais leur vision est limitée.

 

J’ai envisagé la pièce comme un film de guerre. Au lieu d’un régiment de garçons se préparant à la bataille, nous suivons une équipe de jeunes femmes s’échauffant avant leur partie de soccer. Il y a la capitaine, la rebelle, la naïve, la nouvelle recrue, l’ennemi commun. La trame narrative devient de plus en plus sanglante, autant dans le contenu de leurs discours que dans les blessures qu’elles subissent au fil du récit. Leur champ de bataille : un tapis de gazon synthétique.

 

Mais sur ce tapis de gazon synthétique, ces filles ont la possibilité de se définir entre elles. Leurs corps leur appartient et elles sont fortes. Elles ne sont ni la propriété ni l’accessoire d’un homme – un amoureux, un père, un directeur d’institution ou un chef d’État – nous les voyons entre elles. Elles sont sur leur terrain. Pas sur le nôtre.

 
 

– Sarah DeLappe, janvier 2018

 
Préface de la pièce traduite par Fanny Britt