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Le mythe de Médée et Jason

Manhattan Medea

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Particulièrement sombre, la légende de Médée est constituée d’une succession de meurtres ponctués de fuites, qui la voit accomplir un voyage à travers toute la Grèce antique. Immortalisée grâce aux tragédies d’Euripide, son histoire est inséparable de la très ancienne légende des Argonautes.
 
Jason était fils d’Aeson et petit fils de Créthée, fondateur d’Ioclos. Il fut élevé sur le mont Pélion par le centaure Chiron, parce que son père, ayant dû abandonner le trône au profit de son demi-frère Pélias, voulait le protéger.
 
Devenu adulte, Jason fut informé de ses origines royales. Il décida d’aller voir son oncle, usurpateur du trône, pour faire valoir ses titres à la royauté. Au cours du trajet qui le menait à Ioclos, Jason aida une vieille dame à passer une rivière. Au cours de la traversée, il perdit l’une de ses sandales dans le lit boueux de la rivière. Une fois qu’ils furent arrivés sur l’autre rive, la vieille dame se transforma sous ses yeux. C’était Héra, la Reine des Cieux qui, pour le remercier de sa gentillesse, l’invita à faire appel à sa magie le jour où il en aurait besoin.
 
Tous les habitants d’Ioclos observèrent avec curiosité le jeune étranger qui arrivait. Jason pensa que les gens s’étonnaient du fait qu’il ne portait qu’une sandale. Il ignorait l’oracle qui prédisait que la chute de l’usurpateur viendrait avec l’arrivée d’un étranger ne portant qu’une seule sandale.
 
Pélias, lui, se souvint de l’oracle. Il feignit d’accueillir joyeusement son neveu et l’invita à prendre place au banquet aux côtés de ses propres filles. Alors, le tyran promit de céder le royaume si Jason rapportait la Toison d’or qui se trouvait à Colchide. L’astuce lui permettait d’éloigner ce dangereux prétendant au trône.
 
La Toison d’or était celle d’un bélier que le prince Phryxos avait consacré au dieu Arès et qui depuis était gardé par un dragon sur le territoire de Colchide où régnait le roi Aiétès.
 
Pélias comptait bien ne jamais revoir Jason, mais ce défi formidable enchanta son neveu qui commença aussitôt les préparatifs du départ.
 
Pour ce voyage, Jason fit construire un navire à cinquante rames auquel il donna le nom d’Argo, d’après le nom de son constructeur, Argos. Il s’y embarqua en compagnie de cinquante combattants réputés pour leur bravoure et venus de toute la Grèce. Héraclès arriva le premier, suivi de peu par Thésée et Pirithoos, puis par Castor et Pollux, les frères jumeaux d’Hélène de Sparte. Il y avait aussi le célèbre Pélée (dont le mariage avec la nymphe Thétis est l’un des points d’origines de la guerre de Troie), le père d’Achille qui était encore trop jeune pour être un héros et puis Nestor, un vieux roi plein de sagesse qui deviendrait plus tard l’ami dévoué du grand Ulysse. Orphée, qui est alors le plus célèbre musicien de la Grèce, demanda aussi à être de ce voyage.
 
Héra aidait Jason et ce fut elle qui fit naître en chacun d’eux le désir de renoncer à une vie sans péril, sous l’aile maternelle pour boire – fût-ce au prix de la mort – avec de valeureux compagnons l’élixir sans pareil du courage. Ils montèrent à bord de l’Argo, Jason prit un gobelet d’or dans ses mains, il versa une libation de vin dans la mer et pria Zeus, dont l’éclair est la lance, de les mener rapidement au but.
 
De grands périls les attendaient et plusieurs payèrent de leur vie d’avoir bu cet élixir sans pareil. Après de multiples aventures – le départ d’Héraclès, les récifs du Bosphore, l’arrivée des Harpies, la rencontre avec les Amazones et le chant des sirènes – les Argonautes parvinrent enfin en Colchide pour demander la Toison d’or.
 
Le roi Aiétès vint à leur rencontre, accompagné de son jeune fils Absyrte et de ses deux filles, Médée et Chalciopé. Médée trouva Jason fort charmant.
 
Le souverain, contrarié par la demande de Jason, dissimula ses obscures intentions tandis qu’il emmenait les étrangers dans son somptueux palais où il leur offrit à boire et à manger.
 
Le roi Aiétès promit à Jason de lui offrir la Toison s’il réussissait, en une seule journée, à mettre sous le joug deux taureaux aux pieds d’airain (sabots de bronze) et au souffle de feu, à leur faire labourer un champ de quatre arpents, à semer les dents du dragon dans les sillons ainsi créés, puis à tuer les géants nés de cette semence. Après quoi il devrait se mesurer au serpent qui monte la garde jour et nuit devant la Toison.
 
Confiant que la déesse Héra lui apporterait son aide, Jason accepta le défi. Alors, Thésée lui conseilla de séduire la princesse Médée, fille du roi Aiétès. En effet, Médée était magicienne et, si elle utilisait son art des enchantements en faveur des Argonautes, tous les espoirs leur seraient permis. Jason demanda donc l’aide d’Héra, qui en parla à Aphrodite, qui demanda à Éros, dieu de l’amour, de lancer une de ses flèches magiques sur Médée.
 
Amoureuse de Jason, Médée décida d’aider Jason dans sa tâche. À la tombée de la nuit, elle parcourut les bois, cueillant des herbes et des racines donc le suc servait à réaliser une potion magique qui rendrait Jason invulnérable le temps d’une journée. Elle lui donna aussi quelques conseils pour la suite de l’épreuve.
 
Jason déclara à Médée qu’elle serait vénérée en Grèce pour tout ce qu’elle faisait pour l’aider et que seule la mort pourrait les séparer.
 
Au petit matin, Jason enduisit son corps et ses armes de la potion. Il demanda à ses amis de tester leurs armes sur lui. Voyant que la potion faisait effet et à quel point Médée avait été sincère, Jason, sûr de lui, alla voir le roi.
 
L’épreuve débuta. On lâcha les taureaux. L’onguent empêcha le feu des taureaux de le brûler quand il les approcha; il put les harnacher et labourer le champ. Puis, parcourant les sillons, il sema les dents de dragon qu’Aiétès lui avait données. Étrange semence que celle-là, car à peine la terre avait-elle été recouverte que le champ tout entier commença à s’agiter et à se soulever. De chaque motte de terre surgirent des pointes de bronze et de fer. En peu de temps, le sol donna naissance à une foule de casques et de lances qui grandissaient davantage, jusqu’à ce que chaque sillon grouille de guerriers armés que Jason devait combattre.
 
Médée lui avait expliqué que pour vaincre l’armée d’hommes-dragons, il devait lancer une pierre dans leurs rangs afin qu’ils se retournent les uns contre les autres et s’entretuent jusqu’au dernier. Ainsi, tandis que Jason, appuyé sur sa lance, regardait ces prodigieux ennemis se supprimer eux-mêmes, le combat continua jusqu’à ce que les sillons fussent remplis de sang et que le champ fut couvert de cadavres étendus comme le blé après la tempête. Lorsque le soleil se coucha, la terre avait englouti ces fruits monstrueux et, sur leur os, le vert gazon poussait déjà.
 
C’est d’un regard sombre qu’Aiétès accueillit Jason venu réclamer sa récompense, la Toison d’or, puisqu’il avait rempli le dur contrat qu’on lui avait imposé. Le roi remit au lendemain la remise de la récompense.
 
Alors qu’ils festoyaient, Médée vint avertir Jason de ce qui se tramait au palais. Son père, révéla-t-elle, rassemblait en grand secret ses guerriers et entendait lancer un assaut contre les guerriers grecs le lendemain matin.
 
Elle se proposait de guider Jason au bosquet sacré où la Toison était cachée et, par ses pouvoirs magiques, d’endormir son redoutable gardien. Alors, Jason pourrait s’emparer de la Toison et prendre la mer avant l’aube.
 
Accompagné de son frère, Médée conduisit Jason au bosquet. Le monstre se montra rapidement. Médée s’approcha de lui en murmurant une douce et mélodieuse chanson qui charma ses oreilles, puis son frère aspergea ses yeux d’une potion magique qui l’endormit.
 
Jason s’empara de la Toison d’or.
 
Il invita Médée à rentrer en Grèce avec lui. Aux premières lueurs de l’aube, ils parvinrent tous trois à l’Argo où l’équipage accueillit la Toison d’or avec un cri de joie qui réveilla les habitants de Colchide.
 
Réalisant que l’Argo s’éloignait avec en son bord la Toison d’or, sa fille et son fils, le roi Aiétès prépara en toute hâte sa flotte et se lança alors à la poursuite des Argonautes. Lorsque le vaisseau royal rattrapa l’Argo, la magicienne accomplit un acte par lequel Jason aurait dû comprendre, comme il le fit plus tard à ses frais, quelle épouse sauvage et déchaînée il s’était choisie. Médée parvint à ralentir le roi en tuant son propre frère Absyrte et en jetant les morceaux de son corps devant le navire du roi qui ralentit sa course pour recueillir les restes de son fils.
 
Quoi qu’il en soit, l’Argo échappa de la sorte à ses ennemis mortels, rapidement masqués par un nuage d’éclairs que les dieux lancèrent pour manifester leur colère à la vue d’un crime si odieux. Après quoi l’équipage erra longuement, comme frappé par une malédiction et apparemment abandonné par la faveur d’Héra.
Ils furent la proie des tempêtes et d’épais brouillards; ils se perdirent dans d’étranges mers, jusqu’à ce que leur navire fût lavé du sang de l’innocente victime. Épuisés, ils échouèrent sur les éperons d’une côte inconnue et personne ne savait comment ni par quelle voie l’équipage allait parvenir à s’en sortir. Certains disaient que Médée utilisait des formules magiques pour les guider sur terre et sur mer.
 
Les argonautes parcoururent ainsi un large fleuve. Bien des aventures étranges leur arrivèrent dans ces détroits périlleux et ces îles infestées de géants. Sans les puissantes armes de Médée, les valeureux guerriers n’auraient jamais revu le sol de la Grèce.
Tant d’années s’étaient écoulées depuis leur départ. Nos héros débarquèrent sur les rives d’Iolcos au milieu des cris d’étonnement de bienvenue et de triomphe à la vue de la Toison d’or qu’ils rapportaient comme preuve de la réussite de leur entreprise.
 
Pélias les croyait morts depuis longtemps. Lui-même approchait de sa dernière heure : ses mains tremblantes s’accrochaient toutefois encore au sceptre illégitimement conquis; il n’avait pas l’intention de remettre son royaume à Jason.
 
À leur arrivée, Jason et Médée découvrirent la mort du père de Jason, tué par Pélias, et décidèrent de se venger. Médée conçut un plan particulièrement cruel : elle persuada les filles de Pélias qu’elle avait le pouvoir de rajeunir leur vieux père. La magicienne procéda à une démonstration sur un bélier, qui après avoir été dépecé et plongé dans une marmite d’eau bouillante, redevint un tendre agneau. Les filles s’exécutèrent. Elles égorgèrent leur père et firent bouillir son corps dans une grande marmite. Jason était vengé.
 
Médée révéla alors son stratagème. Furieux, les habitants d’Iolcos chassèrent Médée et Jason qui s’exilèrent à Corinthe où ils furent accueillis par le roi Créon. L’exil lui-même ne semblait pas peser à Médée; la perte de sa famille et de son pays lui était peu de chose en regard de son immense amour. Le couple y vécut heureux pendant dix ans et eut deux fils : Merméros et Phérès.
 
Mais Jason tomba amoureux de la fille du roi, Créon, et il décida de l’épouser. C’était pour lui une alliance splendide et il oublia tout sentiment d’amour ou de gratitude envers Médée.
 
Sous l’emprise de sa surprise et de son angoisse devant cette trahison, Médée laissa échapper des mots qui firent croire au roi de Corinthe qu’elle se vengerait sur sa fille et il signifia à Médée qu’elle devait aussitôt quitter le pays avec ses deux fils. C’était un sort bien pire que la mort. Exilée, une femme chargée de petits enfants ne pouvait espérer aide et protection de personne.
 
Immobile, prostrée, Médée songeait sombrement à ce qu’il lui restait à faire, à ses griefs, à son destin misérable, appelant la mort qui mettrait un terme à une vie qu’elle ne sentait plus la force de supporter; parfois, avec des larmes, elle pensait à son père, à son pays, elle frissonnait au souvenir de son frère et de cette tache sanglante que rien ne pouvait effacer; mais toujours, elle restait consciente de cette passion sauvage et violente, cause de tout ce mal et de son propre malheur.
Jason vint alors lui dire qu’il n’allait pas l’abandonner, qu’il veillerait à ce qu’on lui donnât de l’or et tout le nécessaire pour le voyage.
 
C’en était trop. Médée laissa jaillir le torrent de sa colère, rappelant à Jason tout ce qu’elle avait fait pour lui. La réponse de Jason fut qu’il n’avait pas été sauvé par elle, mais bien par Aphrodite qui l’avait rendue amoureuse de lui.
 
Médée n’accepta rien de lui, pas même son aide. Dès cet instant, Médée savait qu’elle emploierait tout son pouvoir à sa vengeance.
Dissimulant sa haine et son désespoir, celle-ci se vengea de sa rivale en lui offrant une somptueuse robe de mariée magique qui la brûla tout entier. L’incendie atteignit le château et emporta Créon.
 
Quand Médée apprit la fin de sa rivale, elle prit une nouvelle résolution, plus atroce encore. Pour ses enfants, elle ne pouvait espérer aucune aide, aucune protection, tout au plus l’esclavage. Elle ne voulait pas laisser ses enfants maltraités par des étrangers.
 
Médée tua de ses mains les enfants qu’elle avait eus avec Jason. Fou de douleur, il voulut se venger. Quand Jason revint, rempli de fureur et résolu à tuer sa femme, Médée, du toit de la maison, montait dans un char tiré par des dragons. À travers l’espace, ils l’emportèrent hors de sa vue, tandis que Jason la maudissait. Mais ces dernières épreuves l’avaient brisé et jamais plus il ne fut ce qu’il avait été.
 
Médée trouva refuge auprès d’Égée, roi d’Athènes à qui elle promit ce qu’il convoitait le plus — un fils —, s’il acceptait de l’épouser. Un enfant, Médos, naquit effectivement peu après, pour qui Médée nourrissait un destin royal.
Cependant, l’arrivée de Thésée à Athènes bouleversa les plans de Médée et la dressa contre le nouveau venu. Après plusieurs tentatives infructueuses, Médée réussit à convaincre son époux que Thésée était un traître, et qu’il convenait de l’empoisonner. Le drame fut évité de justesse, car, au dernier moment, Égée reconnut son fils à son épée. Folle de rage, Médée s’empara alors du trésor d’Athènes, plusieurs tonnes de diamants. Dans sa fuite sur son char de feu tiré par des cobras, elle laisse échapper la moitié du trésor royal.
 
Certains disent que Jason se donna la mort auprès de ses fils et de sa femme assassinée. D’autres prétendent qu’il trouva la mort sur son bateau quelque temps après, alors que la figure de proue du navire s’était brisée sur lui.
 
 

BIBLIOGRAPHIE
Encyclopédie de la mythologie, collectif d’auteurs sous la direction d’Arthur Cotterell, Éditions Parragon, 1999
Le guide illustré de la mythologie classique, par A.R. Hope Moncrieff, Éditions France Loisirs, 1992
Femmes, Les grands mythes féminins à travers le monde, par Sabrina Mervin et Carol Prunhuber, Éditions Hermé, 1987
La mythologie gréco-romaine, par Edith Hamilton, Éditions Marabout, 2008