La fin du vingtième siècle coïncide avec un changement de régime politique qui redéfinit en profondeur le théâtre hongrois. Avec la chute du mur de Berlin, la rigidité des anciennes structures théâtrales s’effondre et, en 1989, le régime communiste prend fin sans heurts. Les conséquences de ce bouleversement politique ne se feront sentir que lentement. Les théâtres étant encore propriété de l’État, les compagnies fortement subventionnées n’ont pas à se soucier des lois du marché.
La liberté en provenance de l’Ouest a permis la formation de nouvelles compagnies qui, pour se maintenir, ont besoin de commanditaires. De nouveaux lieux théâtraux voient le jour. Ils sont soit indépendants, soit liés à des théâtres existants. Une nouvelle génération d’acteurs et de metteurs en scène, née au milieu des années cinquante, réclame sa place devant les projecteurs. Ils ont grandi sous la « dictature molle » de János Kádár et les questions politiques les intéressent moins que leurs aînés. Ils sont surtout préoccupés par des conflits individuels et le désir de se débarrasser des vieux qui sont à la direction des théâtres.
Le rapport traditionnel existant entre l’auteur et la production est remis en question. La relation entre le texte et la scène cesse d’être à sens unique, elle prend une forme interactive. Le metteur en scène est alors prédominant dans le processus de création. La nouvelle génération de créateurs de théâtre ne se contente plus d’interpréter le texte d’un auteur, elle veut participer à sa création.
De nouvelles relations de travail voient ainsi le jour. Il arrive maintenant que le texte dramatique soit le résultat d’une collaboration entre l’auteur et le metteur en scène ou encore le résultat du travail de collaboration entre une équipe de concepteurs et un auteur, l’auteur élaborant la version définitive du texte de manière autonome. Il n’est plus rare que les dialogues d’un spectacle soient le résultat d’improvisations collectives des acteurs. Cette nouvelle organisation du travail de création a aussi un effet sur la formation d’auteurs dramatiques indépendants.
À côté des auteurs issus du travail en collectifs qui se sont d’abord fait connaître par leur activité scénique, on trouve ceux qui, venus de la littérature, possédaient déjà une reconnaissance publique avant de se lancer dans le genre dramatique (László Garaczi, Lajos Parti Nagy, László Darvasi, Kornél Hamvai, Szilárd Borbély). Tous ces auteurs ont conservé dans leur nouvelle activité le style qui les avait fait connaître du public. Bien que possédant de grandes valeurs linguistiques et intellectuelles, leurs pièces souffrent trop souvent, au dire de certains critiques, d’un degré d’élaboration dramaturgique insuffisant. Elles se cantonnent dans le réalisme psychologique et ignorent les ressorts de la scène qui serviraient à faire rebondir leurs intrigues.
Les auteurs de la jeune génération (Péter Kárpáti, Ákos Németh, Attila Lórinczy, István Tasnádi, Zoltán Egressy) sont conseillers dramaturgiques, metteurs en scène, directeurs artistiques, auteurs en résidence, comédiens. Leur écriture se distingue des auteurs venus de la littérature parce qu’ils privilégient l’action, la langue quotidienne, les occasions de jeux. Leurs intrigues sont plus riches en revirements et contiennent davantage de légèreté et d’éléments scéniques. Ils utilisent toutes les ressources de la scène pour créer des images visuelles fortes.
Les pièces d’István Tasnádi, par exemple, mélangent les traditions du cabaret hongrois classique à celles de l’absurde. Ces pièces sont écrites de manière à pouvoir intégrer les dernières nouvelles du jour. Ses dialogues dessinent sur le mode satirique une critique de la vie quotidienne. Tasnádi, tout comme Kornél Hamvai, cherche la possibilité de raconter des histoires en continu. Ces textes sont incomplets sans la scène et la parole qui en font ressortir toute la valeur.
Michel Laporte
Dramaturge
Le théâtre hongrois contemporain
Toutefemme
Retour à la pièce