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Généalogie des personnages

LES PERSONNAGES DE FORÊTS
 
Les X signifient qu’il y a union entre les personnages, et les == sont là pour désigner les enfants nés de cette union.
 
(première femme) x Alexandre == Albert
 
Odette x Alexandre Keller == [Edgar et Hélène]
 
Odette x Albert Keller == Edmond le girafon
 
Hélène x Albert == Jeanne et Marie
 
Hélène x Albert ou Edgar == [Léonie et le monstre]
 
Léonie x Lucien Blondel == Ludivine
 
Ludivine Davre-Brouillard (mais en fait Sarah et Samuel) == Luce
 
Luce x Achille == Aimée
 
Aimée x Baptiste == Loup

 
 
 

Généalogie des personnages

 
Alexandre avec sa première femme
Albert Keller
Alsace-Lorraine, 1872
 
 
Odette Garine
Forêt des Ardennes,1872-1943
avec Alexandre Keller
avec Albert Keller
 
 
[Edgar et Hélène]
Edmond le Girafon
avec Albert
avec Albert ou Edgar
 
 
Jeanne et Marie [Léonie et le monstre]
Première Guerre mondiale, 1917
avec Lucien Blondel
 
 
Ludivine
Deuxième Guerre mondiale
par l’intermédiaire de Sarah et Samuel
 
 
Luce Davre Brouillard
Québec, 1943 – 2006
avec Achille Volant
 
 
Aimée Lambert
Chute du mur de Berlin
Massacre de Poly
avec Baptiste
Loup
 
 

Il est impossible, vu les recoupements intergénérationnels, de présenter un véritable arbre généalogique. Nous avons présenté la généalogie à partir des femmes, seule véritable façon de procéder. Sont en gras les noms des femmes mères, seules véritables protagonistes de cette généalogie; les cas de gémellité sont, faute de mieux, indiqués par des crochets.
 
 

La lignée des Matrides

 
À l’origine de cette lignée de femmes, il y a Alexandre Keller, riche industriel (mines de fer et sidérurgie) qui, au moment de l’annexion de l’Alsace-Lorraine, choisit de collaborer avec l’Empire allemand et de continuer à exploiter outrageusement tous ceux (des enfants surtout) qu’il emploie. Amoureux d’Odette et la sachant enceinte, non seulement refuse-t-il de l’épouser, mais il lui offre de l’argent pour qu’elle disparaisse avec ses enfants. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, ce sont les trains des entreprises Keller qui amènent les juifs à Dachau. Son fils Albert s’oppose à son père et, avec ce qui lui revient de la fortune de sa mère, il décide de refaire sa vie ailleurs avec Odette. Son père lui donne à son départ le manteau que la mère avait donné à son mari.
 
Toutes les femmes qui naîtront de cette lignée (jusqu’à Loup) auront une vie et une fin tragique :
 
• Odette, qui a aimé Alexandre et est enceinte de lui, doit, pour légitimer les jumeaux qui naîtront de cette liaison, épouser son fils Albert, à qui elle ment sur l’origine de sa grossesse – elle prétend avoir été violée au fond de la mine, au gouffre au Loup. Ils partent tous deux pour la forêt des Ardennes, où ils créent un zoo, et élèvent leurs enfants à l’écart du monde. Avec ses fils Edgar et Edmond, elle assistera, impuissante, aux ébats de son mari et de sa fille, en deviendra folle. Un jour, excédé, Edgar tue son père Albert et viole sa sœur. Il va ensuite se jeter dans la fosse aux ours où Odette le rejoindra. Ils y mourront tous les deux.
 
• Hélène, prisonnière de la forêt, subit les assauts de son père Albert et de son frère Edgar. Son frère Edmond le girafon quitte la forêt et lui promet de revenir la chercher, mais il est détruit par le monde qui l’entoure. Hélène attendra toujours Edmond. Elle devient la proie de son fils monstrueux qui, voulant la garder pour lui seul, l’entraîne dans une fosse où elle reste prisonnière. Sur les instances de Léonie, Lucien Blondel tentera de la libérer et de tuer son fils; il en mourra.
 
 
• Léonie, restée seule dans la forêt avec ses deux sœurs, a comme principale occupation de nourrir son monstrueux jumeau et sa mère des carcasses d’animaux qu’elle tue tous les soirs. Elle rencontre Lucien Blondel, déserteur de la Première Guerre mondiale qui a échoué là après avoir tué son frère Louis. Elle en deviendra amoureuse. Même si elle rêve d’une vie nouvelle, elle abandonne son enfant dans un orphelinat, car elle ne peut s’habituer au monde extérieur. Elle retourne donc dans la forêt où elle meurt en 1951, après avoir vu Edmond le girafon qui est revenu, mais trop tard pour porter secours à Léonie.
 
 
• Ludivine, née en 1918 et abandonnée par sa mère, est adoptée par les Davre à douze ans. La lettre laissée à ses côtés par sa mère disait qu’on devait la remettre à Edmond le girafon. Elle réussit à retrouver Edmond et le force à quitter un moment sa folie pour qu’il lui révèle la vérité sur ses origines. Elle s’engage dans la Résistance aux côtés de son amie Sarah et réussit à confier l’enfant de Sarah et de Samuel à un aviateur américain pour qu’il l’amène en Amérique ; l’enfant porte le nom, Brouillard, qu’utilisait Ludivine. Hermaphrodite, et donc incapable d’enfanter, elle se sacrifiera pour que vive son amie Sarah. C’est sa façon de devenir mère. Elle mourra à Dachau en 1944. Le paléontologue Dupontel père retrouvera là son crâne éclaté en mille morceaux; l’os de sa mâchoire, introuvable à Dachau, se matérialise dans la tête d’Aimée.
 
 
• Luce, fille biologique de Sarah et Samuel mais portant le nom de Ludivine, franchit l’Atlantique avec un aviateur et arrive au Québec en 1943 ; elle sera adoptée par Rosaire et Louise Godbout. Dès son plus jeune âge, on la mutile à cause de quelques caries, on lui arrache toutes les dents. Elle attend toujours sa mère, jusqu’à ce qu’elle rencontre Sarah, qui lui fait croire qu’elle est l’enfant de Ludivine (ne l’est-elle pas?) et lui dit que sa mère est morte. Stripteaseuse alcoolique, elle se fait retirer la garde de son enfant; c’est alors qu’elle tente de se suicider. Elle finit ses jours dans un hospice où sa petite-fille Loup viendra la voir.
 
 
• Aimée, après avoir été enlevée à sa mère, est adoptée par Marie et Jacques Lambert. Elle hait sa mère biologique, et ne sera heureuse qu’avec Baptiste, de qui elle attend un enfant. C’est à ce moment que se déclarent ses crises d’épilepsie, où elle voit Lucien Blondel. C’est aussi à ce moment qu’elle est atteinte d’un cancer étrange : l’os de son jumeau s’est niché dans son cerveau et autour de cet os se développent son système nerveux et une tumeur cancérigène. Cet os correspond exactement à celui de la mâchoire supérieure de sa grand-mère Ludivine. Ce cancer l’oblige à choisir entre sa vie et celle de sa fille. Avant sa mort, elle fera promettre à Loup de l’enterrer dans un cercueil différent de celui où on enterrera cet os. Elle meurt le 2 février 2002 et son corps reste dans un frigo quatre ans après sa mort, jusqu’à ce qu’on découvre l’origine de cet os qu’elle a dans le crâne.
 
 
• Loup est l’héritière de toute cette lignée de femmes mal-aimées. Elle porte le nom du gouffre au Loup, qui est le mensonge d’Odette, et qui présage et rappelle tous les gouffres, toutes les fosses dans lesquels sont tombés tant de ses ancêtres. De plus, elle reçoit de Dupontel un manteau, comme celui que Alexandre a reçu de sa femme et qu’il a donné à Albert. Enfin, elle répète, comme Odette, le « moi, je veux tout, tout de suite… » de l’Antigone d’Anouilh. C’est avec Loup, qui a compris la souffrance et le destin de ces femmes et qui a compris que l’on pouvait combattre cette malédiction, que la boucle est bouclée.

 
 
 

La malédiction des Matrides

 

LOUP : Le jumeau viola sa jumelle et se tua. Le jumeau entraîna sa mère au fond d’une fosse et la tua. La mère abandonnant sa fille, la fille tête fracassée à coups de marteau le marteau a concassé la mâchoire de sa fille jusqu’à la dernière dent une dent au milieu du cerveau de sa fille qui n’a pas su donner une cœur à la sienne qu’elle a appelée Loup.
 
 

Avec FORÊTS, Wajdi Maouwad présente les femmes Atrides du monde occidental capitaliste, avec les viols, incestes, parricides, mutilations, douleurs, avec la honte, avec la haine, avec le sang des femmes qui enfantent, qui souffrent et qui meurent, mères absentes ou inaptes. Atrides du XXe siècle, femmes et mères, Matrides. Quelle malédiction a donc touché cette race funeste? La faute originelle est celle d’Alexandre Keller, qui, avec son horrible machine capitaliste, broie et mange enfants et animaux qui lui sont confiés. Après lui, les filles et les mères, les mères et les filles, ses héritières, ignorantes et déchirées, subissent dans leur chair les contrecoups de l’histoire et transmettent le destin fatal à leur descendance. « Tu ne m’as pas donné la vie, tu m’as légué ta douleur », dira Loup à sa mère.
 
Deux grandes étapes dans cette saga familiale de plus d’un siècle: d’abord celle de la femme enfermée , qui vit dans la forêt sous la gouverne des hommes, et meurt, plus enfermée encore, dans une fosse, (Odette, Hélène, Léonie). Ludivine, née après la Première Guerre, est la première à sortir de la forêt et à vivre dans le monde. C’est aussi la première qui veut connaître son passé, qui cherche et trouve Edmond le girafon, qui renverse les lois du sang et les remplace par celles de l’affection. Hermaphrodite, donc stérile et double , elle réussit à être mère, et, au prix de sa vie, à sauver celles qu’elle aime. Mais elle transmet la malédiction des Matrides à Luce, Aimée et Loup, ses descendantes, qui sont incapables de donner l’amour qu’elles n’ont pas reçu. Loup, la dernière-née, ne voit pas, dans un premier temps, l’intérêt de connaître l’histoire de sa famille. Comme ses ancêtres, comme sa mère et sa grand-mère, c’est une enfant meurtrie, incapable d’amour. Ici aussi, c’est son jumeau, un jumeau beaucoup plus âgé qu’elle, qui la pousse à aller, comme Ludivine, à la recherche de son passé. Ce passé lourd l’étouffe d’abord; il lui permettra ensuite, quand elle saura le sacrifice et le miracle de Ludivine, de faire la paix avec sa famille, d’enterrer sa mère comme Antigone l’avait fait avec son frère, et de vivre enfin. C’est la toute petite Loup qui lève la malédiction des Matrides.