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Entretien avec André Melançon

La Promesse de l'aube

HUGO ROY
« Dans l’aventure de LA PROMESSE DE L’AUBE, une chose m’étonne : pourquoi avez-vous choisi d’en faire l’adaptation pour le théâtre plutôt que pour le cinéma? »
 
 
ANDRÉ MELANÇON
« Parce qu’en relisant le roman il y a deux ans et demi, les images qui me sont apparues étaient théâtrales. Je ne peux pas l’expliquer, mais j’ai imaginé des comédiens, sur une scène, redonner vie à Romain Gary et sa mère. J’ai aussi vu un narrateur et des tableaux où apparaissaient les personnages qu’ils ont croisés sur leur route. Comme je voulais être fidèle au livre, qui porte la voix d’un narrateur et qui expose des tableaux, c’était pour moi la meilleure façon de respecter la parole de Gary. En fait, la seule liberté que je me suis autorisé a été de jouer avec la structure dramatique : je préféré procéder de manière chronologique, ce que Gary, pour différentes raisons, n’a pas fait dans son roman. »
 
 
HUGO ROY
« N’empêche que pour un cinéaste, plonger dans le théâtre doit être angoissant! »
 
 
ANDRÉ MELANÇON
Je vais exagérer un peu, mais une pièce ressemble à un long plan séquence d’une heure et demie! C’est la même démarche créatrice. L’objet sur lequel je travaille n’a pas la même forme, le langage est différent de celui du cinéma, mais ma relation avec les comédiens et les concepteurs est similaire. C’est le même boulot! Il me faut définir une trajectoire à suivre, puis m’asseoir avec l’équipe pour discuter de leur vision des choses. À ce stade, il est important pour moi de rester ouvert à tout ce qui peut «nourrir» le projet, sinon on risque de passer à côté de belles choses. Une fois ces idées exposées, on tâche de les mettre en application. »
 
 
HUGO ROY
« L’œuvre de Gary et la vôtre présentent l’enfance comme le moment de toutes les promesses où s’acquiert une loyauté envers soi et les autres, je me trompe? »
 
 
ANDRÉ MELANÇON
« Oui, mais la loyauté vient après le chemin tracé par le rêve… »
 
 
HUGO ROY
« En attendant le mot rêve, je pense à la mère de Gary à qui on a reproché d’avoir imposé à son fils des idées de grandeur. Qu’en pensez-vous? »
 
 
ANDRÉ MELANÇON
Nina a été excessive par l’amour qu’elle a porté à son fils, mais elle n’a pas étouffé Romain par ses idées de grandeur. Elle a plutôt semé le rêve dans l’esprit de son enfant. Elle a tellement cru en lui que Romain a été obligé de croire en ses capacités. C’est excessif, c’est vrai, mais je pense qu’en 2005, où les excès auxquels on assiste sont des excès d’horreur, une histoire bâtie sur des excès de rêve et d’amour fait du bien! »
 
 
HUGO ROY
« La lecture que Gary fait du monde n’est donc pas cynique et pessimiste, comme on le dit souvent, mais pleine d’espoir? »
 
 
ANDRÉ MELANÇON
« C’est vrai, mais Gary était quand même profondément inquiet. Quand il dit qu’il a été valorisé dès le départ par le regard d’une mère, il parle du double héritage reçu de Nina: elle lui a donné cette capacité de croire en lui-même, mais cela allait de paire avec la fragilité. D’où son combat pour la dignité et son humour face à la vie: il faut se battre, aller au bout de soi, mais aussi savoir en rire! »
 
 
HUGO ROY
Est-ce que ce combat pour la dignité correspond à la 7e balle que le jongleur tente de maîtriser sans y parvenir?
 
 
ANDRÉ MELANÇON
« Que ce soit la 7e ou la 4e balle, ce qui compte c’est qu’elle soit la dernière! Un enfant de six ans qui jongle avec trois balles en essayera une 4e, qui sera sa dernière… pendant quelque temps! Puis, il en prendra une 5e, et ainsi de suite. La dernière balle n’existe pas, mais elle est toujours un moteur pour aller plus loin. Ce qui me fascine, c’est que les enfants ont cette faculté de tendre vers la dernière balle, faculté qui se perd avec l’âge. C’est une chose triste qu’il ne faut pas dévoiler aux enfants, écrit Gary. Autrement dit, tous les pas vers la dignité que l’homme a fait depuis des siècles sont liés à la recherche de la dernière balle. »
 
 
HUGO ROY
« Mais peut-être vient-il un temps où on se fatigue de chercher cette dernière balle? Autrement comment expliquer l’abandon, le 2 décembre 1980? »
 
 
ANDRÉ MELANÇON
« Je ne pense pas qu’abandon soit le bon mot. Je dirais plutôt choix rassurant! Je veux dire par là que Gary n’était pas plus que n’importe lequel d’entre nous un bloc monolithique. Il était composé de morceaux imposants et solides (son statut d’écrivain, par exemple), mais aussi de pièces fragiles. Ce qui est rassurant, c’est que Gary a assumé l’expression de sa fragilité au point de l’avouer dans sa dernière lettre : «Je me suis enfin exprimé entièrement ». Ce droit à la fragilité malgré sa vie publique me touche et me fait éprouver le plus grand respect pour l’homme qui se l’est autorisé. »
 
 
HUGO ROY
« En guise de conclusion, laquelle des dimensions de Gary vous revient le plus souvent en tête : le résistant décoré? le diplomate? le romancier tellement talentueux deux fois prix Goncourt? l’amoureux? »
 
 
ANDRÉ MELANÇON
« L’enfant! L’enfant que Gary est demeuré toute sa vie, avec des rêves gros comme le monde et des peurs tout aussi immenses. Je n’aime pas le mot, mais c’est une belle leçon de vie! »