Billetterie

Les voix du langage

Fairy Queen

Les rapports entre l’écriture de Oliver Cadiot et celle de Gertrude Stein sont complexes. De prime abord, la confrontation avec ces excès de langage paraît rapprocher les deux auteurs; tous deux sont en effet pris avec une masse de langage, qui est aussi le langage de la masse. C’est-à-dire qu’il y a constat, de part et d’autre, du fait que «ça parle», que tous les individus parlent, ou du moins, qu’ils sont tous habités par le langage, qui n’est pourtant pas le leur. Et que, dès que l’on prête l’oreille, il y a aujourd’hui une cacophonie indescriptible, et même monstrueuse, devant laquelle l’individu singulier n’est rien, sinon un réceptacle passif de tout ce tohu-bohu de signes et de significations.
 
Devant cela, le parti-pris de Gertrude Stein est de s’arrêter justement à ce qui se passe dans le mouvement de son propre langage, de son écriture à elle, qu’elle tente de retenir au travers d’une technique de répétition, façon d’insister sur l’expression pour qu’elle demeure sienne. Olivier Cadiot, lui, fait un pari pour ainsi dire inverse : il laisse aller le courant, convaincu que, après tout, une singularité émergera au travers de la manière par laquelle l’expression individuelle pourra surnager dans ce flot du langage.
 
Deux manières d’envisager aujourd’hui l’aliénation, recueillie chez Stein dans un narcissisme hermétique, éclatée chez Cadiot dans une panique éclectique. Mais aussi, et au-delà de l’apparente tragédie qui scellerait l’issue de l’aliénation individuelle d’un côté comme de l’autre, on retrouve plutôt la jouissance du langage, jouissance éprouvée au travers de cet Autre anonyme qu’il demeure, et qui justifie pleinement que l’on prenne plaisir à se perdre dans les mots – pour mieux s’y retrouver.
 
Il s’agit-là d’une condition universelle, en tant que nous sommes tous justement des êtres de langage, et donc tous immergés dans ce flot incessant qui nous permet d’y flotter légèrement, ou de s’y enfoncer définitivement. C’est là qu’apparaît la grandeur de ce théâtre, qui nous ressemble tant que nous ne nous y reconnaissons qu’avec peine – tant il est vrai que nous sommes toujours en désaccord avec nos propres représentations.
 
 
Jean-François Côté