Billetterie

Le salon de Gertrude Stein

Fairy Queen

On a peine à imaginer aujourd’hui ce que pouvait représenter le modernisme au début du XXe siècle. La rupture définitive avec la société bourgeoise entraînait alors des remises en question si énormes qu’elles paraissaient parfaitement aberrantes – faisant apparaître les artistes comme de simples excentriques. On prend une certaine mesure aujourd’hui de cette rupture lorsque l’on s’arrête sérieusement à examiner, par exemple, une toile de Picasso; on comprend la profondeur réelle de cette rupture lorsque l’on réalise que, en dépit du fait que Gertrude Stein ait écrit plus de 100 pièces de théâtre, dont une majorité à caractère cubiste, très peu de celles-ci ont jusqu’à aujourd’hui été montées. Les expérimentations artistiques du modernisme, bien qu’elles nous soient devenues à plusieurs égards presque banales, n’ont pourtant rien perdu de leur mystère. Et c’est ce qui explique qu’il fallait, pour les artiste du temps, se rassembler pour discuter de ces transformations. Dans des cafés, des bars, dans des manifestes, ou encore dans des salons.
 
Gertrude Stein a tenu salon à Paris au début du XXe siècle, d’abord avec son frère Leo, puis avec sa compagne, Alice B. Toklas. Elle-même convaincue de l’absolue vérité de l’expérience esthétique s’engageant dans cette voie, et même de son impérative nécessité, Stein invitait donc chez elle les artistes pour des soupers du samedi soir où pouvaient s’éprouver les idées, perceptions, impressions et sensations de ces bouleversements. Picasso, Cocteau, Satie sont tous passés dans le salon de Stein, de même que Hemingway ou Sherwood Anderson. Et tous ont dû éprouver aussi le personnage de Gertrude Stein, animée d’une volonté d’être réellement le centre de la modernité esthétique.
 
Ce n’est pas un hasard que nous soyons aujourd’hui renvoyés à ce lieu devenu mythique. C’est que la création contemporaine doit se saisir au travers de cette filiation spirituelle. Pas pour la copier – cela serait rigoureusement contraire à l’esprit du modernisme. Mais pour s’en inspirer. Car la tradition artistique et culturelle, en cette occasion, possède de solides repères pour continuer les dialogues et les controverses du salon de Gertrude Stein. Devrions-nous en chercher toujours les aboutissements.
 
 
Jean-François Côté