Billetterie

Entretien avec Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde

Fairy Queen

Qu’est-ce qui vous a donné envie de collaborer ensemble?
 
OLIVIER CADIOT
« C’est Ludovic Lagarde qui m’a amené au théâtre. Auparavant, le théâtre m’était une chose lointaine. Je ne pouvais envisager que la lecture ou la performance d’auteur. Ce qui est compliqué, c’est que nous ne nous inscrivons pas dans une démarche transdisciplinaire. Notre collaboration n’est pas de l’ordre de l’accumulation. On est chacun assez méfiant, on a chacun une vision assez tronquée des problèmes artistiques. Notre collaboration se passe dans le temps, non pas dans la décision, ou alors dans des microdécisions. La première chose qui m’a convaincu, c’est LES DRAMATICULES de Beckett, que Ludovic avait mise en scène. La superposition de bande magnétique et de voix directe créait un mélange de présent et de différé proche de la littérature, loin de la fausse incarnation. Notre relation de travail me donne une très grande liberté, ce qui fait que le théâtre me reste assez étranger. Je continue à essayer d’écrire des livres dédiés à l’oral qu’il adapte, transforme, prolonge et ampute. Il obtient par des moyens différents des sensations, des matières, analogues aux livres. Je retrouve dans ses mises en scène, grâce à sa collaboration avec le musicien Gilles Grand, des dispositifs qui rapprochent le théâtre de la poésie, de la performance et même, dans un autre sens, de la fiction. »
 
 
LUDOVIC LAGARDE
« J’ai commencé en choisissant les textes les plus proches de la littérature et de la poésie sonore. Et puis, quand j’ai lu un texte d’Olivier Cadiot, ça m’a tout de suite éclairé sur ce que je voulais mettre en scène. À chaque fois que je travaille, j’essaye de me poser uniquement des problèmes de théâtre. Je cherche une dramaturgie qui ne soit pas uniquement intellectuelle, mais en acte. La question est de savoir comment faire pour retrouver sur scène la particularité de la littérature d’Olivier. Comment, en changeant de médium, retrouver le texte et l’idée du texte ? Comment retrouver sa voix intime en créant une polyphonie? Le travail que nous menons avec le son tourne autour de ces questions. Je fais de la mise en scène pour apprendre à lire. Le théâtre est une lecture, au sens du « play » d’un lecteur CD. La question venait aussi du fait qu’Olivier décrit absolument tout dans ses didascalies. On a dû parfois couper une partie de son texte. »
 
 
OLIVIER CADIOT
« Le théâtre peut être la phase bienheureuse, épiphanique du travail d’écriture. Ça marche par trois bandes au billard, mais ça n’empêche pas de faire des choses très classiques, comme de dédier un texte à un acteur, de le tailler sur mesure pour lui. C’est le cas de Laurent Poitrenaux, avec qui Ludovic travaille mes textes comme un exégète. »
 
 
Quel est le chemin parcouru entre LE COLONEL DES ZOUAVES et FAIRY QUEEN?
 
 
LUDOVIC LAGARDE
« Pour FAIRY QUEEN, je voulais reproduire de l’hétérogénéité. C’est pourquoi j’ai proposé à Olivier de faire ce travail à trois personnages. La fée va chercher dans le XXe siècle une réponse à des problèmes du XXIe. La forme aussi repart en arrière, puisqu’on commence avec la même structure que dans le COLONEL DES ZOUAVES. Au début, la fée entre dans une pièce d’un appartement parisien et, par la fenêtre, voit l’Amérique. C’est une chorégraphie de l’accélération du temps. Ce qui m’intéressait, c’était aussi le personnage de la femme émancipée que représente la fée. Il s’agit d’une femme qui ne marche pas dans le désir de l’homme, qui n’est pas objectivable, pas collectionnable. Elle règle ses comptes avec le narrateur, et répond au Colonel. On peut parler d’émancipation chez elle de la même manière qu’on parle d’asservissement dans LE COLONEL DES ZOUAVES. »
 
 
OLIVIER CADIOT
« Entre les deux, il y a un autre livre RETOUR DÉFINITIF ET DURABLE DE L’ÊTRE AIMÉ, qui fait évoluer le récit que je poursuis depuis plusieurs années, peut-être que le héros devient moins allégorique? Peut-être qu’on gagne un peu plus de présent? »
 
 

Comment peut-on adapter un texte comme FAIRY QUEEN pour le théâtre et comment articulez-vous la poésie et la fiction dans ce cas précis?
 
OLIVIER CADIOT
« Dans chaque nouveau livre, j’essaie d’articuler poésie et fiction de manière différente. FUTUR, ANCIEN, FUGITIF, par exemple constituait une histoire, une robinsonnade, en juxtaposant des blocs de poésie. Un roman par poème. On découvre l’histoire en avançant dans le puzzle. Exactement comme le héros devient progressivement un sujet en rassemblant les pièces détachées, des objets et des pensées. Avec LE COLONEL, c’est le récit, la parabole qui enferme des digressions. Il y a des échappées de poèmes, comme le héros passe dans le décor, à la course. Dans RETOUR, la scène s’est déplacée dans le cerveau, et le poème n’est plus à plat mais en profondeur, à l’intérieur du corps de l’histoire, comme une cicatrice ou une anamorphose. D’habitude, la poésie est à plat, all over, on voit ses bords (ses vers ou son contour); dans un livre idéal, elle deviendrait invisible et très active. Dans FAIRY QUEEN, toutes ces tentatives sont prises au pied de la lettre, c’est l’histoire de l’histoire, la fée qui veut devenir performeuse entre à corps perdu dans une scène déjà-vue, la poésie entre dans le roman familial, dans le Salon Stein, c’est une muse combative. Elle rêve d’un régime spécial de la parole, solide et gazeux, parlé et écrit, d’une installation de parole en relief, ça n’a pas l’air facile! Poésie et fiction se défigurent en cohabitant, ce qui était matériel devient abstrait et inversement, le poème devient l’argument, le récit, le décor puis de nouveau l’inverse, une forme est un fond, etc. Pour quoi faire ? Pour essayer de donner de l’espace dans les livres, un espace spécial, un espace que seule peut fabriquer la littérature.
 
Curieusement, ce n’est pas contradictoire avec le théâtre, Ludovic Lagarde travaille cet espace, mais avec des moyens différents. Ce n’est pas seulement l’ « oralité » (la lecture publique de ces textes en donne une version très différente) qui permet de passer au théâtre, c’est aussi la rêverie d’espace, d’hétérogène, d’assemblage. Ce qui est intéressant, c’est qu’il faut à nouveau ici mettre des éléments en tension, le théâtre et le sonore, le vrai et le faux, etc. Quand je réponds à une commande de théâtre par un livre (à adapter), ce n’est pas pour dénier la scène ; c’est, en lui tournant le dos, espérer lui donner un objet plus large. Comme FAIRY QUEEN ne devait pas être un monologue, il manquait du texte, au lieu d’ajouter des dialogues sur le vif, j’ai écrit un tout petit livre supplémentaire, ALICE, qu’il a fallu réadapter et réinsérer dans le cours de la pièce, etc. »
 
 
Extrait d’un entretien réalisé par Nicolas Truong pour le Festival d’Avignon