Billetterie

Enzo Cormann

Credo

TOUCHER AUX NERFS, À UNE SENSATION TRÈS IMMÉDIATE
 
« Je m’appelle Enzo Cormann. Je suis né en 1953, dans la maison du médecin de campagne d’un petit bourg gascon. Je vis désormais dans l’Isère entre Chartreuse et Vercors. J’ai consacré ces vingt dernières années à l’écriture et à la scène, ce qui m’autorise à revendiquer le titre de petit artisan fictionneur. Je suis passablement névrosé, marié, rieur, père de deux garçons, jardinier, cynophobe, papivore, de corpulence moyenne – signe particulier : une licorne tatouée sur le bras gauche. Cormac Mac Carthy et Juan Carlos Onetti font partie de mes auteurs favoris. Je n’ai aucun plaisir à assister à la représentation de mes propres pièces. Je ne lis plus les critiques qui me sont consacrées depuis 1986. Je me produis régulièrement sur scène avec des formations de jazz, en qualité de récitant et vocaliste. J’ai écrit ma première comédie il y a peu. Ma prochaine pièce racontera l’histoire d’un arbre. Je publie l’essentiel de mon travail aux Éditions de Minuit. » Enzo Cormann.
 
C’est en ces mots que se présente Enzo Cormann lorsque l’Agence Rhônes-Alpes pour le livre et la documentation lui remet une bourse pour la poursuite de son travail littéraire en 1999. Cette autobiographie tronquée de plusieurs segments de son existence – des études poussées en philosophie ou la fondation de la Grande Ritournelle avec le saxophoniste Jean-Marc Padovani, par exemple – ne l’empêche toutefois pas d’être fort révélatrice à certains égards…
 
LA PASSION DE L’INSOMNIAQUE, la première pièce d’Enzo Cormann, n’a jamais vu le jour. Une pièce impossible, scéniquement inexprimable. Un vrai casse-tête pour un metteur en scène. Une valeur sûre s’y cache toutefois : le texte. Déjà, un souci des mots, une écriture sans cesse repassée au crible, une prose presque ivre de poésie. La quête d’un auteur qui interroge l’inconscient traversant le réel. En Europe, maintenant, les pièces d’Enzo Cormann prennent l’affiche presque à chaque saison théâtrale depuis plus de vingt ans.
 
Pour écrire tant et si bien – près de 30 pièces de théâtre publiées, une dizaine de partitions de spectacles en plus des paroles de nombreuses chansons – Enzo Cormann se plie à un horaire de béton dont il ne déroge qu’à de rares occasions… Six heures de travail d’écriture par jour. Tous les jours. De 8 h le matin à 10 h et de 15 h à 19 h. Il en va de son assurance en tant qu’auteur; il doit entretenir, voire faire fructifier son talent. Dès que l’œuvre est produite par contre, il abandonne toutes ses prérogatives à son égard, telle une chatte abandonne ses petits. « Le vrai plaisir, c’est l’écriture », soutient-il.
 
À 28 ans, il publie CREDO suivi de LE RÔDEUR. À peine un an plus tard, en 1983, la pièce est créée au Théâtre de l’Athénée de Paris dans une mise en scène d’Emmanuel Ostrovski. Gilles Costaz du Matin de Paris la cerne ainsi : « un monologue qui évite presque toujours la littérature et dont les phrases assassines tombent l’une après l’autre comme des gouttes d’acide. » Jean Lebrun, du journal La Croix, remarque quant à lui : « Le texte d’Enzo Cormann, qui oscille sans cesse entre un réalisme, très charnel, et la folie, est superbe. » CREDO est à ce jour considéré comme son chef-d’œuvre du genre, soit le monologue qu’il triture jusqu’à le rendre hallucinatoire.
 
De cette façon, le parler incessant des personnages de Cormann s’apparente à une logorrhée compensatrice d’angoisse, beaucoup plus près de l’écriture romanesque que de la pratique théâtrale. Selon lui, « on a le choix entre deux extrêmes, logorrhée et rétention. La logorrhée, à un certain moment, c’est tellement trop de mots que le corps de l’acteur est l’unique recours du spectateur. […] Sinon, une parole un peu avare, qui peut faire illusion de silence, qui oblige à déporter sa propre émotion… »
 
Enzo Cormann se revendique d’une philosophie semblable à celle du peintre anglais Francis Bacon, mort à Madrid en 1992, qui expliquait ainsi sa démarche : « Je ne veux pas que mes toiles racontent des histoires. Ce que je veux, c’est toucher aux nerfs, à une sensation très immédiate. » Et, Cormann d’avouer pour sa part : « J’écris à défaut de peindre. » De prime abord, son texte doit absolument s’ouvrir au rêve ou à l’imaginaire des autres. Il se sert d’une anecdote pour fouiller la quête d’un personnage, ses angoisses intériorisées, sa douleur tapie, ses fantasmes inconséquents. Ainsi, dans les œuvres qui suivent CREDO, entre autres NOISES, on observe un va-et-vient constant entre l’utilisation de l’inconscient comme un moyen de saisir le réel et son rejet net.
 
Pour lui, faire ou écrire du théâtre, « c’est avoir envie de rencontrer des gens, de se cogner à d’autres sensibilités pour produire du vivant. » Ainsi, des pièces comme BERLIN, TON DANSEUR EST MORT, CABALE, EXILS, CORPS PERDUS, TAKIYA! TOKAYA!, LA PLAIE ET LE COUTEAU, DIKTAT, LA RÉVOLTE DES ANGES ont pu naître grâce à lui.
 
 
Hugo Couturier