Billetterie

Qui est Jean Tardieu?

Cabaret des mots

« MON LANGAGE REGARDE QUE LE LANGAGE REGARDE QUE LE LANGAGE! »
 
Qui est Jean Tardieu? Un poète? Un auteur de théâtre? Un prosateur inspiré? « Un homme qui feint de vieillir emprisonné dans son enfance »* ou un vieillard étonné de se voir rajeunir à chaque instant? Il est tout cela à la fois et surtout il demeure inclassable. Une chose est sûre : il est né en France en 1903 à St-Germain-de-Joux dans le Jura, d’une mère musicienne et d’un père peintre et s’est éteint – ou peut-être n’a-t-il que disparu… – à Créteil en 1995.
 
Très tôt, dès l’âge de sept ans, Jean Tardieu fait ses premières tentatives poétiques. Après une licence ès Lettres à la Sorbonne (1927), il se consacre entièrement à l’écriture pendant plus de soixante ans. Dans les années quarante, il est l’ami des Surréalistes et des Pataphysiciens dont Raymond Queneau, Jean Lescure et André Breton qui professaient une profonde admiration pour Max Jacob, leur maître à tous. Passionné par les métamorphoses infinies de la langue, Tardieu écrit, à l’âge de vingt ans, Poèmes autour du Langage où il nous dit : « Mon langage regarde que le langage regarde le langage! »
 
Et le voilà lancé dans un long voyage à travers la forêt touffue des mots, ces mots qui lui échappent sans cesse et que pourtant il réinvente toujours. Que ce soit dans ses poèmes réunis, entre autres, dans Le fleuve caché (1933), Jours pétrifiés (1948), Monsieur Monsieur (1951) ou encore dans ses proses de La part de l’ombre (1937-67), La première personne du singulier (1952), Le professeur Froeppel (1978), Tardieu est animé par le désir profond de dire l’indicible, ce paradis perdu où l’être humain, avec une innocence lumineuse, savait écouter, et parler avec tout l’univers. Pour essayer de chasser l’angoisse de cette perte irrémédiable et retrouver cette plénitude du sens, Tardieu secoue, avec un humour fantasque et une poésie imprégnée d’enfance, toutes les conventions, qu’elles soient sociales, linguistiques ou artistiques.
 
C’est dans cet esprit qu’il écrit ses pièces de théâtre dont LES AMANTS DU MÉTRO (1954) et L’ABC DE NOTRE VIE (1958) ainsi que de nombreuses pièces radiophoniques pour la Radio et Télévision Française (RTF) dont il sera, de 1960 à 1980, le directeur du programme « France-Musique ». Mais c’est son Théâtre de chambre I II et III(1950-1965), une vingtaine de courtes pièces jouées régulièrement en France et à l’étranger où elles sont traduites en sept langues, qui le fera le mieux connaître. À travers cette sorte de « clavecin bien tempéré » de l’art dramatique, comme Tardieu le définit lui-même, l’auteur met à nu les procédés dramatiques comme les apartés, les quiproquos, les monologues, les adresses au public. Un mot ou un geste prend la place de l’autre, Feydeau y rencontre le Grand Guignol, le lyrisme mélodramatique fait la nique à l’enflure tragique et tout à coup, sans crier gare, on y découvre des plages de pure musique. Les mots, vidés de leur sens convenu, deviennent des notes dans l’espace entrecoupées de murmures étouffés et surtout de silence plein. La poésie retrouve son chant et va droit au cœur.
 
L’imaginaire de Tardieu est un clown rouge habillé des brumes du temps et de l’espace. « Nous entrons dans un univers bizarre, inquiétant où le fantastique vacille entre l’humour et le cauchemar. Le vertige, l’angoisse, l’inconnu ou la mort »** veillent en sourdine. Ce qu’il ne saurait dire, Tardieu le fait sentir, le montre. Sa fantaisie n’est que l’envers amusé et pudique du sens tragique de l’existence qu’il porte, avec tendresse, au plus profond de lui-même.
 
En prêtant l’oreille, on « entend apparaître » nous dit admirablement Jean Tardieu. C’est cette petite musique de l’âme que le poète nous invite à écouter.
 
 
* Jours pétrifiés. Poésie. 1948. Jean Tardieu.
** Préface de La part de l’ombre. Proses. 1937-1967. Yvon Belaval.