Billetterie

August Strindberg (1849-1912)

Mademoiselle Julie

DU GÉNIE À LA TOURMENTE

 
« Tout ce que j’ai vécu, enfant, m’a fait une forte impression, car j’étais hypersensible à la fois à mes propres souffrances et à celles des autres. Je pleurais pour tout, parfois je pleurais « pour rien » ou de douleur d’être au monde. » À Stockholm, le 22 janvier 1849, naît August Johan Strindberg. Son enfance, telle qu’il la relate dans son roman autobiographique Le fils de la servante (1886), est fortement marquée par un amour maternel déficient et par la puissance hostile de son père, Carl Oscar Strindberg. Plus tard, à l’adolescence, la mort de sa mère et le despotisme moralisateur de sa marâtre contribuent à ce qu’il se sente abandonné voire même étranger à sa propre famille. Pourtant, ses relations troubles avec les adultes qui stigmatisent sa jeunesse s’avéreront un terreau fertile pour ce génie littéraire en devenir.
 
C’est en 1869 que Strindberg découvre sa vocation. Après avoir conclu sa brève carrière d’acteur dans le trou du souffleur, il s’engage dans ce qui sera pour lui la voie du succès théâtral : l’écriture dramatique. En l’espace de quelques mois, il écrit deux pièces à caractère historique, HERMIONE et À ROME, qui reçoivent toutes deux un accueil enthousiaste. Mais c’est en 1872, avec MAÎTRE OLOF, dont le thème de la fidélité à la vocation lui est plus personnel, que le génie de Strindberg se révèle. Malheureusement, la grande modernité de ce drame lui nuira. Refusé partout et de tous, il ne sera créé que dix ans plus tard, à force de réécritures et de persévérance.
 
En 1876, Strindberg séjourne à Paris et en revient fort marqué par les courants de pensée qui y circulent, notamment par le féminisme dont il se pose en défenseur et qui lui inspire LA FEMME DE SIRE BENGT (1877); plus tard, parallèlement à ses déconvenues matrimoniales, son attitude à l’égard de la cause féministe se transformera en affrontements brutaux et contradictoires entre lui et les femmes, tant dans ses écrits que dans sa vie. En 1877, il épouse la comédienne Siri von Essen, qu’il arrache à son baron de mari, mais rien ne sourit au jeune couple. Leurs déboires théâtraux et financiers prennent toutefois fin en 1879 lorsque Strindberg publie La Chambre rouge, roman naturaliste avant la lettre, et que la pièce MAÎTRE OLOF est enfin reconnue et jouée, en 1881.
 
De 1883 à 1889, Strindberg s’installe à l’étranger avec femme et enfants. Au cours de cet intervalle, il découvre un tout nouveau courant littéraire – le naturalisme – qu’il adapte à sa façon. Contrairement à celui de son instigateur, Émile Zola, le naturalisme manière Strindberg s’accommode mal de la « tranche de vie » crue et de la surabondance de détails. Pour lui, ce qui importe, c’est un décor minimal, un drame psychique fort (un combat de consciences) et des personnages complexes capables d’être imprévisibles. Ainsi tisse-t-il ses grands drames naturalistes CAMARADES (1886), PÈRE (1887), MADEMOISELLE JULIE (1888) – son chef-d’œuvre qui fit scandale – et CRÉANCIERS (1888), qui portent le genre à son sommet.
 
Les années 1890 sonnent le début d’une ère sombre pour Strindberg. L’échec de sa première union provoque chez lui une violente crise psychique et morale, relatée dans Le plaidoyer d’un fou (1887). Son recueil de nouvelles à saveur misogyne Mariés lui vaut un procès d’impiété et MADEMOISELLE JULIE, l’exil. À Berlin, où il sombre dans la bohème et le doute, il rencontre Frida Uhl, journaliste, qu’il épouse en 1893. L’année suivante, plus troublé que jamais, il rentre à Paris où il flirte avec la chimie, l’occultisme et le catholicisme. La Ville lumière est le théâtre de son succès dramatique – ses drames naturalistes y triomphent – et celui de sa presque folie.
 
Toutefois, après son second divorce (1897) et l’écriture de son roman autobiographique Inferno (1897), qui exulte magistralement sa sévère dépression, le chat Strindberg retombe sur ses pattes et se remet à son théâtre, radicalement bouleversé par la période qui s’achève. L’heure est aux structures oniriques, aux dédoublements des personnages et à la disparition de l’espace et du temps : c’est le cycle des pièces mystiques dont la trilogie du CHEMIN DE DAMAS (1898-1903), LA DANSE DE MORT (1900) et LE SONGE (1902) sont les œuvres phares. En 1901, au cœur de cette renaissance théâtrale et spirituelle, Strindberg s’unit à l’une de ses plus grandes interprètes, Harriet Bosse, dont il divorcera en 1908.
 
Quelques années avant sa mort, Strindberg concrétise un vieux rêve : posséder un petit théâtre où on ne jouerait que ses textes. Pour le Théâtre Intime (1907-1910), il écrit de nombreuses pièces « de chambre » dont LE PÉLICAN, LA MAISON BRÛLÉE et LA SONATE DES SPECTRES où la réalité brute et crue l’emporte sur l’onirisme. Son œuvre intime se ferme sur LA GRAND-ROUTE (1910), qui évoque la vie tumultueuse d’un poète. Homme de tourmentes, de contradictions et d’idéaux, August Strindberg lègue à l’humanité un riche et volumineux corpus littéraire et dramatique (58 pièces) et laisse la marque indélébile de son influence sur le symbolisme suédois, l’expressionnisme allemand et le théâtre moderne en général. À Stockholm, ville de ses amours les plus passionnées et de ses haines les plus féroces, il meurt d’un cancer, le 14 mai 1912.
 
 
Dominick Parenteau-Lebeuf