Sophocle est considéré avec Eschyle et Euripide, comme l’un des plus grands poètes tragiques de la Grèce antique. Mort à l’âge de quatre-vingt-dix ans, sa vie coïncide avec l’âge d’or d’Athènes. De son immense production littéraire, sept tragédies complètes nous sont parvenues, soit LES TRACHINIENNES, ANTIGONE, AJAX, OEDIPE ROI, ÉLECTRE, PHILOCTÈTE et ŒDIPE À COLONE, ainsi qu’une partie du drame satyrique LES LIMIERS.
Lorsque Sophocle commence à écrire, Eschyle (~ 525 -~ 456), celui qui a « inventé » la tragédie est encore actif, son œuvre est d’ailleurs contemporaine de celle d’Euripide (~ 484 -~ 406) dont il est l’ainé d’une douzaine d’années. Si Eschyle, en inventant le dialogue entre deux acteurs, est le fondateur du théâtre tel qu’on l’entend en Occident, c’est en revanche Sophocle qui en développe les mécanismes et en saisit les extraordinaires possibilités. Sophocle donna en effet à la tragédie sa forme définitive : il ajouta un troisième acteur et porta de douze à quinze le nombre des choreutes (acteurs du chœur qui déclament ou chantent un fragment lyrique commentant ou ponctuant l’action dans le théâtre grec ou classique). Sophocle substitua également à la trilogie liée (trois épisodes du même mythe), la trilogie libre (où chaque drame est autonome). Le poète modifia en outre le sens du tragique en faisant de l’évolution du héros et de son caractère une part essentielle de la manifestation du destin et de la volonté des dieux.
L’implication personnelle de Sophocle dans la vie de la cité est également très importante, voire indissociable de son œuvre. Il est en effet impossible de séparer chez Sophocle le citoyen engagé dans la vie politique d’Athènes et l’auteur prolifique (126 pièces dont 72 ont été couronnées lors des concours, dont 24 premiers prix).
Sophocle a connu et fréquenté tous les grands hommes de son temps; il était notamment un ami proche de Périclès. Il a été administrateur du trésor fédéral (le fonds commun d’Athènes et de ses cités alliées), deux fois stratège (haut-commissaire de l’armée), magistrat au Collège des Proboules (dont la fonction était de développer la politique économique et militaire) et, en 412, alors que la démocratie est menacée, il participe à la mise sur pied d’un comité de salut public.
Bien sûr on retrouve dans le théâtre de Sophocle l’écho de ses préoccupations civiques. À ce titre, l’auteur s’interroge sur la place et le rôle de la raison et de la volonté dans la vie individuelle et celle de la collectivité. Il pose la question de la connaissance de soi et se demande si les fautes que l’on commet par ignorance, comme celles d’Œdipe, ne sont finalement pas les plus dangereuses et les plus dévastatrices. Tout son théâtre est ainsi traversé par une préoccupation majeure : la survie de la cité. Un peu comme le fera Shakespeare, ses pièces s’ouvrent sur des cités en état de crise – la peste dans OEDIPE ROI, l’incertitude au lendemain d’une guerre civile dans ANTIGONE – et montrent le prix du rétablissement de l’ordre et de la paix ou, encore, de la justice dans ÉLECTRE.
Virginie Krysztofiak