Partager une lecture avec un metteur en scène est toujours un travail passionnant pour le chercheur de signes que doit être le « dramaturg » que nous appellerons pour plus de simplicité « dramaturge ».
La partage d’idées et de regards avec Alice Ronfard procède d’une aventure induite par la directrice de l’ESPACE GO, Ginette Noiseux, qui veut mener un travail théâtral tout à fait particulier et modèle et qui, pour ce faire, essaie de découvrir des échanges fondamentaux qui n’ont jamais été appliqués dans une ville aussi importante au point de vue théâtral que Montréal.
Dans le cas de LA VOIX HUMAINE de Cocteau, il s’agissait pour trois personnes : un scénographe, une metteure en scène et un dramaturge, de croiser des regards avec une comédienne, et ce, pour un atelier d’une semaine au mois de septembre.
Viendraient d’ajouter à ce quatuor les autres importantes composantes du spectacle, sans restriction, les costumes, l’éclairage, l’assistanat et tout ce qui fait qu’une pièce de théâtre est œuvre collectivement humaine et, surtout, travail de partage.
Reste aujourd’hui s’offrir au regard de ce qui constitue la partie essentielle d’une présentation. Partie sans laquelle la notion même de théâtre ne pourrait exister : le public.
Travailler un texte de Cocteau qui est indiscutablement daté est un travail périlleux si nous prenons la peine de conduire l’analyse du verbe au plus profond de notre inconscient.
Que voulait donc dire la situation d’une femme pendue au téléphone (le terme n’est pas innocent), poussée à bout par un désespoir amoureux?
Où était donc l’essentiel?
Dans la communication?
Dans le médium téléphonique?
Dans le désespoir d’Amour de l’héroïne?
Dans le mépris de l’homme?
Dans la réalité du couple ou dans le côté universel que pouvaient former tous ces éléments réunis?
La réponse sur scène risque d’étonner ou de désemparer le lecteur classique de la linéarité théâtrale puisque ce travail, essentiellement féminin, a été relu sur l’existence inconsciente (?) de toute littérature, de tout ce qui est écrit, de la faute, de la culpabilité de la femme.
Ainsi, celle qui est représentée un peu plus d’une heure, désespérée devant un amour perdu, n’a à la fois aucune chance de regagner cet amour mais surtout, de retrouver la réalité humaine qui est en elle et c’est cela, sans doute, le plus important.
Ce texte est, de fait, une tragédie. Le mouvement de cette femme entre le début et la fin du spectacle est le condensé de l’existence même.
La tragédie est purement et simplement le fait de naître et de mourir, la chose est inéluctable. C’est le seul phénomène immuable qui peut exister dans l’univers.
Nous ne voulions pas représenter la vie de cette femme comme un drame. Nous voulions montrer un moment de conflit fondamental avec l’extérieur, bien évidemment, mais aussi avec elle-même. Nous voulions aussi et malgré tout poser la notion d’espoir.
Cette femme n’a donc plus d’autre existence que celle du mot. Elle ne peut plus se retrouver que dans le verbe et si la fin propose autre chose, c’est que le rituel qui la fait passer d’n état à l’autre est la métaphore de tout ce qui peut advenir à l’homme en général.
Le texte de Cocteau est une grande pulsion. Elle marque les passions qui guident et mènent les hommes et veut être l’écho de tout ce que nous savons être la cause de notre malheur et que, souvent, nous n’osons même pas énoncer.
Michel Tanner
Dramaturge