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La guerre selon Michel Garneau

Les Guerriers

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« On ne peut pas être pour la paix – il faut être contre la guerre », dit Michel Garneau. Ça va de soi, chanterait Brassens et tout le monde avec lui.
Pourtant…
 
À la télévision on a tant et si bien juxtaposé les images de la guerre à celles de catastrophes naturelles que nous en sommes arrivés à considérer la guerre comme aussi naturelle que le jour qui se lève ou les éruptions volcaniques. Or, on ne peut raisonnablement pas être contre le jour qui se lève ou contre les éruptions volcaniques. On n’est pas contre l’inéluctable. On le subit; puis on recommence.
 
Le poète est né juste avant le début de la Deuxième guerre mondiale. Printemps 1939. Pendant qu’on se bat outre-mer, à Montréal et autour c’est la guerre «à la canadienne» : les usines tournent à plein régime pour fournir uniformes, bottes et armement. Le gouvernement prépare la conscription. Le frère aîné de Michel est appelé à se battre. Avant l’Europe, c’est la camp d’entraînement. Lorsqu’il en revient, Sylvain a le visage glabre. La barbe soyeuse et fournie que le petit Michel admirait tant a été rasée et le grand frère est terriblement silencieux. Son silence paraît interminable à l’enfant qu’est Michel Garneau. Il n’oubliera jamais la barbe rasée de son grand frère.
 
Avide de liberté, Garneau veille depuis tout jeune à protéger ce bien précieux. A 14 ans, il quitte l’école. Il veut voir, apprendre, comprendre par lui-même. Il a, dit-il, hérité de ses parents le réflexe de ne rien prendre pour du cash. Il soumettra donc sa vie à l’épreuve de la liberté et de l’individualité. Il est musicien autodidacte, compositeur autodidacte, homme de radio, de chanson, de cinéma, de théâtre… Par lui-même.
 
Octobre 1970. C’est l’état de guerre. Un intermède, quelques jours à peine. Dans le cas de Garneau, ce sont douze jours passés à Parthenais. Pas grand-chose diront certains. Pour Garneau, c’est un virage. Lorsqu’il sort de là, de cette prison, il est enragé.
 
Sensuel, bon vivant, il savoure l’existence et surtout, surtout, se régale de mots. Tout lui est bon pour succomber à son penchant inguérissable pour la parole, celui, simple et sensoriel, d’émettre des sons par la bouche. Pour le théâtre, il écrit une vingtaine de pièces dont QUATRE A QUATRE, ÉMILIE NE SERA PLUS JAMAIS CUEILLIE PAR L’ANÉMONE et LES CÉLÉBRATIONS. De la poésie? Toujours. Une poésie orale, bien ancrée dans la réalité. «Ce que j’haï le plus, dit-il, c’est la poésie « poétique ». Les mots poétiques, ça me fait mourir. Des mots comme « abîme », je n’utilise jamais ça, parce que je n’ai jamais vu ça, un abîme». En 1988, il nous offrait ses POÉSIES COMPLÈTES 1955-1987.
 
Il croit que les mots devraient être des torches pointées vers la conscience, non pas des outils de manipulation. C’est pour cette raison qu’il considère les publicitaires comme ses ennemis naturels. « Leur travail est de manipuler, psychoser et polluer l’âme d’un peuple. C’est le grignotement de l’intelligence, de la liberté pour nous rendre toute chose confuse, parce qu’on choisit librement ce qu’on comprend. »
 
Sondeur de l’âme, Michel Garneau a écrit de magnifiques rôles de femme. En écrivant LES GUERRIERS, il s’est fait explorateur de la violence. Un fait troublant ressort de son expédition : « La grande ambiguïté c’est qu’on condamne la guerre mais tout le monde en aime le spectacle. »
 
 
Emmanuelle Roy
Dramaturge