Billetterie

Marivaux (1688-1763)

La Seconde Surprise de l'amour

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« Estimer ce qui se fait chez nous! Eh! Où en serait-on s’il fallait louer ses compatriotes? Ils seraient trop glorieux, et nous trop humiliés. Non, non; il ne faut pas donner cet avantage-là à ceux avec qui nous vivons tous les jours et que l’on peut rencontrer partout. »
 
– Marivaux, L’INDIGENT PHILOSOPHE, 1728

 
 
En 1742, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux a derrière lui trente fécondes années d’écriture. Une trentaine de comédies (LES FAUSSES CONFIDENCES, LA SECONDE SURPRISE DE L’AMOUR), une tragédie en vers, divers journaux, des romans (LA VIE DE MARIANNE, LE PAYSAN PARVENU). Il a cinquante-quatre ans. Il vient d’être élu à l’Académie française. Ce qu’il souhaiterait, c’est qu’on le prenne un peu au sérieux. Que vienne enfin la reconnaissance des « grands ».
 
Rien à faire. Ses collègues n’oublient pas qu’il a connu ses plus grands succès avec les Comédiens italiens – la troupe réputée subalterne où la sublime Silvia Baletti, Lélio, Mario et Flaminia ont interprété plus de la moitié de ses pièces. Personne n’oublie que les dix pièces qu’il a données à la Comédie française ont été, plus souvent qu’autrement, des échecs. Que, c’est sur cette scène qu’en 1727, LA SECONDE SURPRISE DE L’AMOUR a été retirée après seulement quatre représentations et qu’en 1744, on a sifflé LA DISPUTE. A l’Académie, ses collègues baillent en écoutant les Réflexions qu’il leur soumet et c’est Annibal, la seule tragédie qu’il ait jamais écrite, qui recueille les applaudissements du capricieux public du Théâtre français en 1747. Bien sûr, des hommes du monde comme le comte de Clermont font jouer ses comédies dans leurs théâtres privés et lui commandent de nouvelles pièces. Cela n’empêche pas Grimm d’écrire en 1763 – année de la mort de Marivaux – que l’auteur du JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD et des FAUSSES CONFIDENCES a fini ses jours dans un oubli plus ou moins complet.
 
Marivaux aurait dit « J’aime mieux être humblement assis sur le dernier banc dans la petite troupe des auteurs originaux, qu’orgueilleusement placé à la première ligne dans le nombreux bétail des singes littéraires ». Dépit de n’être pas reconnu par ses contemporains? Conviction profonde et confiance réelle en la qualité de son travail? Difficile à dire. Il reste qu’à une époque où les pièces en cinq actes étaient la norme et où les érudits qualifiaient de « monstruosité dramatique » toute œuvre qui transgressait cette règle, Marivaux s’est obstiné à écrire dans ce genre considéré mineur qu’était la comédie en un ou trois actes. Il n’a qu’assez peu sacrifié au goût marqué du public pour le pathétique et les comédies larmoyantes et il a réussi à créer une œuvre originale et personnelle dans un siècle qui faisait la fête au nouveau « genre sérieux » qui a assuré le succès d’auteurs comme Nivelle de la Chaussée, Destouches et Sedaine, aujourd’hui oubliés.
 
Voltaire, qui a été l’un de ses plus fidèles détracteurs, disait de lui que c’était « un homme qui passe sa vie à peser des œufs de mouche dans des balances de toiles d’araignées. »
 
Au-delà de la boutade, c’est peut-être le plus beau compliment qu’il pouvait lui faire. Il ne fallait rien de moins que d’infinies précautions pour arriver à disséquer aussi minutieusement ces matériaux mouvants et volatiles que sont l’âme et les passions qui l’habitent. Pour ciseler une langue aussi souple, fine et délicate que celle dont il a doté ses personnages. Pour se transformer en chirurgien des sentiments et traquer, derrière l’apparente légèreté des conversations, le sens caché des mots.
 
 

Emmanuelle Roy
Dramaturge