Billetterie

Autour de la pièce de Marivaux

La Seconde Surprise de l'amour

Retour à la pièce

LA SECONDE SURPRISE DE L’AMOUR de Marivaux
 
Le Chevalier et la Marquise ont trop en commun pour rester indifférents l’un à l’autre.
 
La Marquise pleure son défunt mari et le Chevalier, une fiancée qui a pris le voile. Ils sont voisins, partagent une même cour et le goût de la lecture. Ils ont tous les deux définitivement renoncé à l’amour. Comme tant de choses les rapprochent, ils décident de s’offrir une amitié réciproque, un espace où partager à l’aise leurs souffrances, la douceur et les tortures de leurs deuils. Ils seront amis.
 

À leurs côtés, à leur service, Lubin et Lisette, l’un valet, l’autre suivante. Comme dans beaucoup de ses pièces, Marivaux a ici étroitement lié maîtres et domestiques: leurs sentiments, leurs penchants secrets, leurs tiraillements de tête et de cœur – des émois discrets jusqu’aux aveux explosifs. Ainsi, le Lubin du début de La Seconde surprise, affligé comme son maître, pleure et s’apitoie sur sa séparation avec Marton… jusqu’à ce qu’apparaisse un nouveau visage. Dès la fin du premier acte, Lubin n’est plus tout à fait le même. Moins entier dans son chagrin, déjà ébranlé dans la certitude qu’il avait que sa douleur durerait éternellement. Ambivalent et goûtant déjà les plaisirs mélangés d’une nouvelle rencontre possible. « Crac, me voilà infidèle tout de plein pied, et cela m’afflige: pauvre Marton! Faudra-t-il que je t’oublie? (…) Ah! pour cela, oui, cela sera bien vilain, mais cela ne manquera pas d’arriver : car j’y sens déjà du plaisir, et cela me met au désespoir. (Au Chevalier) Encore si vous aviez la bonté de montrer l’exemple. » (Acte 1, Scène IX)
 

Amour, amour-propre, jalousie, orgueil, les différences entre ces mots se brouillent lorsque les personnages de La Seconde surprise de l’amour sont placés les uns face aux autres.
 
L’orgueil de la Marquise est piqué lorsque se profile l’ombre de la possibilité d’un rejet de la part du Chevalier. Bien sûr, elle ne « veut pas se marier» mais, ne veut pas non plus « qu’on la refuse ». Quant à la disgrâce publique que causerait ce refus, à l’indécrottable tache qu’il ferait à sa réputation, la jeune veuve frémit rien que d’y penser. Le Chevalier quant à lui, voit ses ardeurs attisées lorsqu’un rival apparaît dans le décor. Le Comte soupire d’amour pour la Marquise et la « douceur » avec laquelle elle le traite met le Chevalier sur des charbons ardents.

 

On l’a vu entrer en scène, porteur d’une lettre à Angélique où il écrivait vouloir« lui parler pour redoubler la douleur de sa perte, pour s’en pénétrer jusqu’à en mourir. » (Acte 1, Scène VII) Quelques heures plus tard, c’est le même homme qui écrit à la Marquise que « son amour pour elle durera aussi longtemps que sa vie. » (Acte Ill, Scène XV) A cet aveu d’amour éternel, la Marquise fait une réponse étonnante: « Je ne vous le pardonne qu’à cette condition. »
 
(Acte 111, Scène V) Est-ce parce qu’elle sait déjà, autant que le Chevalier, ce que durera ce nouvel amour?

 

Alors que se dessine un brillant et complexe billard amoureux, le pédant érudit que la Marquise a engagé tente, tant bien que mal, de s’acquitter de sa tâche. Après tout, on le paye pour qu’il ramène la jeune veuve à la raison, pour qu’il lui enseigne la philosophie qui est sensée « purger l’âme de toutes ses passions.. » (Acte 1, Scène XIV) Mais que peuvent l’ennuyant Hortensius et les écrits d’un Sénèque qui « ne sait pas ce qu’il dit » lorsqu’il écrit que « la raison est un grand bien qu’il ne faut pas oublier » et qu’il faut absolument « fuir les passions qui nous la dérobent » comme par exemple… l’amour. Que peut la raison contre une amitié « aussi dangereuse » et qui « va aussi loin » que celle qui lie la Marquise et le Chevalier? Hortensius, on s’en doute, finira à la rue, comme les « jamais » et les « toujours » dont s’étaient armés la Marquise et le Chevalier pour se préserver d’une nouvelle intrusion de l’amour dans leurs vies.
 
 

Emmanuelle Roy
Dramaturge