Billetterie

La violence des mots

Variations sur le canard

Né à Chicago en 1947, David Mamet va toujours rester attaché à cette déroulent dans cette grande ville du « Mid­West ». Après le succès de THE DUCK VARIATIONS (1972) et SEXUAL PERVERSITY IN CHICAGO (1974), il crée AMERICAN BUFFALO (1975), suivi de A LIFE IN THE THEATRE ( 1977), puis de GLENGARRY GLEN ROSS ( 1983), SPEED-THE­PLOW ( 1988) et OLEANNA ( 1992), pour ne nommer que ses plus grands succès.
 
Il écrit aussi des pièces pour enfants et des scénarios de films, dont The Postman always rings twice (1981), The Verdict (1982), The Untouchables (1987) et Hoffa. En plus de ses œuvres de fiction, il écrit quatre livres qui contiennent en partie des souvenirs, en partie des essais : Writing in restaurants (1986), Some Freaks (1991 ), On Directing Films (1992) et The Cabin (1993). Récemment, il publie un roman intitulé The Village (1994). Il a aussi traduit et adapté LA CERISAIE, ONCLE VANIA, et LES TROIS SOEURS de Anton Tchekhov (1860-1904).
 
Avec Emily Mann et Richard Nelson, David Mamet fait partie d’un petit groupe d’auteurs qui, chacun à leur façon, renouvelle le réalisme au théâtre américain. Mamet se réfère régulièrement à Constantin Stanislavski (1863-1938) et à Sanford Meisner (né en 1905). Il a lu les textes du premier et suivi des ateliers avec le second pour clarifier sa compréhension du réalisme au théâtre. Pour lui, le théâtre est avant tout action. L’acteur doit se concentrer sur ce qu’il vient accomplir sur la scène plutôt que sur ce qu’il ressent.
 
Le personnage n’existe que par ce qu’il fait et ce qu’il dit. Chez Mamet, les personnages n’ont pas de passé. Ils se construisent et se découvrent au fur et à mesure du déroulement de l’action. Ils n’existent que par ce qu’ils font. Il n’y a pas d’explication psychologique, pas de justification sociale. Il n’existe que la nécessité de faire au moment présent.
 
Mamet manipule avec génie un outil puissant pour construire ses personnages et l’action dramatique de ses pièces : le langage. Ses personnages parlent… beaucoup. Ils s’activent autour de la langue. Devant l’inexistence de leurs motivations, il ne leur reste qu’à parler. Ainsi, ils exposent leur détresse et leur désespoir mais aussi leur soif de vivre.
 
La langue de Mamet est abrasive. Il utilise des mots abusifs, les mots du peuple. Ses personnages déploient toute une panoplie de jurons, de blasphèmes et de grossièretés comme si dans l’inconvenance résidait la vie. Ils possèdent un vocabulaire aussi limité que leur point de vue sur le monde. Ce sont des êtres pleins de préjugés et de stéréotypes comme les mots dont ils disposent. Il y a un vide dans le monde des personnages de Mamet, l’accumulation des mots ne réussit qu’à le camoufler sans jamais le remplir. Cette profusion de mots permet à Mamet de construire, au-delà de la forme réaliste, un théâtre poétique et moderne. La réalité, chez Mamet, devient celle demandée par la pièce. En valorisant le point de vue individuel et égoïste des personnages, Mamet commente et dénonce la violence de la société américaine. Parfois, il lie capitalisme et violence comme dans GLENGARRV GLEN ROSS ou AMERICAN BUFFALO; parfois, il lie sexe et violence comme dans SEXUAL PERVERSITY… ou OLEANNA. Il renvoie le spectateur à ses propres valeurs, le forçant à les réévaluer à la lumière de ce que le théâtre lui a montré.
 
Contrairement à Sam Shepard (1943-2017) et plusieurs autres écrivains de la nouvelle génération qui sont des auteurs du Sud, Mamet est un auteur du Nord. En plus d’avoir grandi à Chicago, il a étudié et enseigné dans le Vermont. Il a aussi passé quelque temps au Québec entre 1965 et 1969. Comme il l’explique dans son livre The Cabin, il travaille en 1965 dans un petit restaurant de Trois-Rivières, le long de l’ancienne route 2. En 1967, il réussit à obtenir un numéro d’assurance sociale et travaille à l’Expo dans le spectacle à grand déploiement de Maurice Chevalier intitulé TOUTES VOILES DEHORS!!!. Il personnifie aussi Johannes Gutenberg (l’inventeur de l’imprimerie) au pavillon de l’Allemagne de l’Ouest. En 1969, on le retrouve habitant rue Ste-Catherine à Montréal. Il est membre d’une troupe de théâtre à l’Université McGill où il joue du Beckett ou du Pinter. Encore en 1994, dans son roman The Village, il décrit la rencontre d’un chasseur américain avec des chasseurs « canadiens-français ». Mamet fait donc partie de l’espace géographique du Québec. Il a une façon de penser et de s’exprimer qui est familière aux Québécois. C’est sans doute pourquoi son théâtre est toujours bien reçu ici.
 
 
Bernard Lavoie

 
Metteur en scène et conseiller dramaturgique, Bernard Lavoie rédige présentement une thèse de Doctorat sur la traduction théâtrale améri­caine à Montréal. Il enseigne à l’Option-théâtre du CEGEP St-Hyacinthe et au département de théâtre de l’UQAM.
 

 

Note : Ce texte a été publié pour la première fois dans Les Cahiers de la NCT. Nouvelle série no. 76, Hiver 1995. pp. 12-73.