Billetterie

Müller d’après Laclos

Quartett

C’est l’amorce et la source d’un nouvel érotisme, où Éros et Thanatos sont plus que jamais inséparables. C’est l’approfondissement des inquiétudes modernes et le sacrifice final de Tristan et Isolde : « La mer s’étend déserte et vide », dit la Merteuil de Müller, empruntant  à l’opéra de Wagner le sentiment d’avoir complété son voyage au bout de la nuit et de se tenir à l’extrême limite de son continent intérieur, tout au  bord  du vide et de la terreur. QUARTETT est une liaison dangereuse de notre temps : « Important, notait Müller, de connaître cet animal que nous sommes, ce quelque chose entre l’animal et la machine qui a développé la faculté singulière de s’exterminer soi-même. » QUARTETT est une œuvre de l’après, qui nous dit que nous vivons avec les con­séquences de l’Histoire. QUARTETT est une œuvre qui a incorporé les révolutions marxiste, psychanalytique et féministe, et toute la dramaturge mondiale, du théâtre de Schiller au mythe maintes fois revisité de Don Juan, sans parler de la peinture, de Goya à Francis Bacon.
 
En 1899, déjà Freud écrivait : « Je m’habitue aussi à considérer chaque acte sexuel comme un événement impliquant quatre personnes. »  En permettant à Valmont et à Merteuil de changer de rôle, en faisant dire à Valmont : « Je crois que je pourrais m’habituer à être une femme, Marquise », Heiner Müller lève le voile sur cette cohabitation du masculin et du féminin en nous. « Il n’y a pas de rapport sexuel », disait Lacan. QUARTETT fournit la preuve que l’amour est la plus belle des illusions volontaires, qu’ « aimer, c’est donner ce  qu’on  n’a pas à quelqu’un qui  n’en  veut  pas », que la rencontre  sexuelle  n’a lieu en effet  que  dans  l’effrayant,  le  terrifiant et l’abyssal, que dans ce  moment  où l’on s’abolit en l’Autre. Le mot de la-fin­ qui-n’a-pas-de-fin sera accordé à Merteuil, à la fois homme et femme, femme et homme : « À présent nous sommes seuls cancer mon amour. »
 
« Ne nous cherchons plus comme des contraires, écrivait Rainer Maria Rilke, mais comme des frères et des sœurs. Comme des proches. Unissons nos humanités pour supporter ensemble, gravement, patiemment, le poids de la chair difficile qui nous a été donnée. L’amour ne sera plus le commerce d’un homme et d’une femme, mais celui d’une humanité avec une autre. »
 
 
Stéphane Lépine
Conseiller dramaturgique