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Quartett : extraits de critiques

Quartett

Brigitte Haentjens a su tirer de ce Müller à plusieurs degrés une matière à la fois féconde et dépouillée. Dans un premier temps, elle a eu la sagesse de laisser le texte imposer sa logique avant de chercher à l’illustrer.
 
Petit à petit, une cérémonie funèbre va s’instaurer qui va réduire à néant pratiquement tous les idéaux propres aux sociétés occidentales mais en particulier au culte du corps et de la jeunesse. À ce chapitre, quelle idée géniale que d’avoir confié à des comédiens encore jeunes, dont on a accentué à dessein la décrépitude et la flétrissure, ces deux âmes dévastées. En France, lorsqu’il avait monté QUARTETT, Patrice Chéreau avait quant à lui distribué des comédiens plus âgés afin d’exprimer cette décadence qui exsude du texte. Or, le parti pris de Brigitte Haentjens révèle qu’elle a beaucoup mieux compris de quoi est faite cette dégradation qui préoccupe Müller, « ce sentiment général qu’il n’y a plus d’avenir. »
 
Dans un univers glacial et déshumanisé où plus rien d’autre n’a d’importance, la marquise et le vicomte vont se distraire par des frottements d’épidermes qui n’ont rien de joyeux. Ils procèdent en effet du plus haut funèbre, du rituel macabre. C’est la mise à mort notamment de l’idée voulant que la révolution sexuelle ait libéré l’homme de quoi que ce soit. Elle l’a, nous en convainc Müller, asservi davantage à une enveloppe désâmée qui fonce vers la mort inéluctablement.
 
Tout cela est admirablement servi par une mise en scène d’une rigueur implacable. L’esthétisme glacial du décor de Danièle Lévesque n’est pas là pour rien. De plus, Haentjens fait bel usage de la musique de Robert Normandeau qui, de concert avec les éclairages, assoit une atmosphère intemporelle mais capable de ponctuer par à-coups ce funeste duo. François Barbeau signe là des costumes éloquents, inspiré du XVIIIe siècle, tout en étant ô combien actuels avec leurs éclats fluo et leur négligé délibéré. Il y avait longtemps qu’il n’avait vu si juste.
 
Mais surtout, ce spectacle doit beaucoup à Anne-Marie Cadieux, sensationnelle marquise de Merteuil, dont on ne peut détacher les yeux. Elle incarne la désillusion et la nudité avec une telle retenue, jouant d’un regard constamment vide comme d’autres de coquetteries. Elle se plie à ce simulacre d’actes sexuels telle une machine. Je n’ai qu’un mot : bravo. Marc Béland, de son côté, ajout un supplément d’impertinence à ce spectacle qui donne des frissons dans le dos.
 
Dans ce que Brigitte Haentjens a réveillé de meilleur d’un texte sciant, il y a certes ce troublant constat qui font de l’homme et de la femme, du dominant et du dominé, des figures interchangeables. Mais le véritable tour de force de cette mise en scène vient de ce qu’elle rend concrètes des abstractions sulfureuses mais à la théâtralité certaine. Pour ce faire, elle ne dédaigne aucun des niveaux par lesquels Müller manifeste son déchantement quant à la tournure que prend l’humanité. Voilà pourquoi l’indécence voisine une langue des plus raffinées. C’est le spectacle le plus courageux qu’il m’ait été donné de voir depuis longtemps et la plus belle mise en scène à ce jour de Brigitte Haentjens. D’ores et déjà, il s’agit du spectacle le plus fort de 1996.
Hervé Guay, Le Devoir
 
 
 
Pour ne rien vous cacher, j’ai vu la pièce vendredi soir, et je ne cesse depuis d’y repenser, de me répéter certaines répliques, de revoir certaines scènes.
 
Pour donner forme à cet exercice de style par moments vertigineux, Brigitte Haentjens a fait appel à deux jeunes acteurs qu’elle a transformés en êtres déchus. Marc Béland est physiquement en ruine et son jeu a quelque chose de distancié qui le rend à la fois effrayant et pathétique, tel un vieux beau qui croirait encore à son pouvoir de séduction. C’est toutefois Anne-Marie Cadieux qui m’a subjuguée. Qu’elle soit la Merteuil ou qu’elle joue le rôle de Valmont, elle est terrifiante de puissance, de justesse et de désespoir. Chacun des mots qu’elle prononce porte comme une dague empoisonnée.
 
Ne le cachons pas. L’ESPACE GO présente-là une pièce intellectuelle, épithète qui fait souvent peur. À tort, dans ce cas-ci. Le texte de Müller est toujours compréhensible, toujours accessible. […] Il n’est pas sûr qu’on puisse sortir de QUARTETT aussi innocent qu’on y est entré. C’est cela, le pouvoir maléfique et sublime des mots, des idées, de l’intelligence, bref, de l’âtre humain….
Marie-Christine Blais, La Presse
 
 
 
Brigitte Haentjens met en scène sans une once d’attendrissement une version dépravée des Liaisons dangereuses. Merteuil et Valmont, pâles cadavres pervers par désœuvrement, miment la vie dans un décor somptueux élaboré par Danièle Lévesque. Impossible de passer sous silence les performances incandescentes de Marc Béland et Anne-Marie Cadieux. Attention : ce théâtre est sans issue, désespéré et lucide.
Diane Jean, La Presse
 
 
 

Actuellement à Montréal, on peut voir deux superbes productions. L’ESPACE GO honore le masque de la tragédie en proposant le chef-d’œuvre de Heiner Müller, QUARTETT, dans une mise en scène implacable de Brigitte Haentjens.
 
Pour illustrer cette tragédie, elle a dirigé deux comédiens exceptionnels. Cadieux s’abandonne totalement à ce projet immense. Elle s’impose ici comme une grande comédienne tragique, de la trempe de Sylvie Drapeau ou d’Élise Guilbault. Béland maîtrise admirablement la perversion de son Valmont.
En somme, un rendez-vous cruel, mais un grand rendez-vous.
Luc Boulanger, Voir
 
 
 
À l’ESPACE GO, Brigitte Haentjens a mis en scène ce QUARTETT de Müller dans un registre grave, sur fond de détachement, sans concessions, en décidant que la mise à nu psychologique des personnages allait s’accompagner d’une mise à nu de leurs corps, jadis entièrement consacrés aux choses dites de l’amour et aujourd’hui inutiles. L’effet a été foudroyant.
 
Le jeu d’Anne-Marie Cadieux et de Marc Béland est net et explicite, sans jamais effleurer la vulgarité. Leurs deux corps, pourtant jeunes et beaux, sont, ici, deux corps qu’aucune convoitise ne vient plus exciter. Quand Valmont se dénude, on dirait une statue de marbre parfaite, mais blanche et froide. On sent une direction d’acteurs fermes et un travail rigoureux derrière ce jeu renversant qui repousse les limites de la pudeur. Ces comédiens ont réussi à donner une image très forte des personnages, stoïques et d’une perspicacité troublante.
Louise Vigeant, Revue JEU