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À propos de Quartett

Quartett

Avec Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos écrit un roman par lettres à la signification ambiguë, s’attachant moins peut-être à décrire l’affrontement du libertin et de la société que le dérèglement généralisé des principes de l’un et de l’autre. « Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet état de trouble et d’anxiété », écrivait Mme de Merteuil à Valmont dans la lettre 90.
 
Non seulement cet état n’a pas cessé, mais avec QUARTETT, écrit exactement deux siècles plus tard, Heiner Müller renoue la « liaison » qu’entretiennent les joueurs cyniques mais amoureux que sont Merteuil et Valmont, et transpose l’échiquier de leur amour-à-mort tout à la fois dans un bunker d’après la troisième guerre mondiale et dans un salon d’avant la Révolution française.
 
La lettre permettait chez Laclos de nouer et d’entretenir une liaison que le code social interdisait d’établir au niveau de la parole. En cette fin de siècle et de millénaire, les codes sociaux ne sont plus les mêmes, bien des interdictions sont levées, une révolution sexuelle a bouleversé les rapports entre les hommes et les femmes, mais reste pour les duellistes le désir de conquérir et de perdre sa victime, le désir de s’abandonner à l’autre et de se perdre, le désir de laisser tomber l’armure du cynisme et de la peur pour avouer son amour. La Merteuil de Laclos écrit à Valmont : « Vous ne possédez absolument que sa personne : je ne parle pas de son cœur, dont je me doute bien que vous ne vous souciez guère; mais vous n’occupez seulement pas sa tête. » Joute intellectuelle et sexuelle, traversée de métaphores guerrières et animales, le QUARTETT de Müller met en scène un homme et une femme du XVIIIe et du XXIe siècle, époques contradictoires où les jeux de l’amour sont souvent des jeux de pouvoir. Cet amour qui ne veut pas se dire, qui a beaucoup à voir avec une passion destructrice, et que les Valmont et Merteuil de Müller pratiquent à la manière d’un jeu pervers, cet amour détaché, préparé, tacticien où un homme et une femme rivalisent, en toute égalité, dans la passion et la cruauté, nous fait basculer dans une nuit des sentiments où la jouissance est terrifiante, où le plaisir n’est pas lié à l’amour, mais naît du spectacle de l’amour, de son jeu délibéré. « L’amour que l’on nous vante comme la cause de nos plaisirs n’en est au plus que le prétexte », écrivait Laclos.
 
 
Stéphane Lépine
Conseiller dramaturgique