Billetterie

Entretien avec Claude Poissant

Le Triomphe de l'amour

Qu’est-ce qui vous a amené à faire du théâtre?
 
Même si j’avais déjà le goût de la scène, c’est un pur hasard si un jour des copains du collège m’ont demandé de participer à une pièce de Ionesco, qui était pour moi un parfait inconnu. Je ne connaissais pas un seul auteur, sinon Molière qu’on avait étudié en classe. C’est là que j’ai eu la piqûre : j’avais l’impression de mieux comprendre la vie à l’intérieur de ce mensonge qu’on se raconte sur scène. J’avais là un miroir de moi, de la famille, de la vie, de la société, et je trouvais plus intéressant de m’évader là-dedans que d’essayer peut-être de régler ma propre vie. Puis j’ai pris un peu les guides de cette troupe, et on a monté quatre ou cinq pièces jusqu’à ce que j’entre à l’université.
 
À l’université, j’étudiais la littérature, et au bout de trois mois, je m’emmerdais un peu à lire trois millions de pages de Marcel Proust, à toujours être dans ma tête, à être dans mes livres, à être à mon pupitre, à ne plus avoir d’activités physiques, à ne plus être en relation avec d’autres gens. Je suis un gars qui a été élevé tout seul : j’ai perdu mon frère au moment où je commençais à faire du théâtre. J’ai l’impression d’avoir eu une réaction à ça : je me suis mis à avoir besoin de travailler en collectif avec d’autres. Le théâtre me le permettait, alors que la littérature seulement, c’était castrant. Alors, après trois mois en études littéraires, je me suis inscrit au module d’art dramatique de l’Université du Québec, j’ai obtenu mon baccalauréat, et en sortant de là, j’ai fondé ma propre compagnie, qui, une année plus tard, s’est appelée le Petit à petit.
 
 
 
Pourquoi montez-vous un Marivaux, qu’est-ce qui vous attire dans son œuvre?
 
Marivaux est complexe, exigeant, parce qu’on doit se creuser les méninges, en ce sens que les personnages sont continuellement en train de se mentir à eux-mêmes. Ce qu’ils disent, ce n’est pas nécessairement ce qu’ils pensent. Toute leur vie devient un tracé stratégique, tout est fait en fonction du ce que ça deviendra et non pas en fonction du je dis ce que je sens. Ils surgissent les uns après les autres et sont obligés de trafiquer leur vie pour arriver à leurs fins, pour arriver à passer au travers. Ça, moi, ça m’a toujours fasciné.
 
En plus, Marivaux traite d’un sujet absolument universel : l’amour. Et l’amour, c’est quelque chose d’impalpable, d’abstrait. On passe notre temps à essayer de comprendre ce que c’est. À chaque fois qu’on connaît l’amour, on se met à l’intellectualiser et on en perd le filon. Nous sommes continuellement en bataille à l’intérieur de nous, et Marivaux en profite : il essaie de mêler les cartes, de nous rendre la tâche plus difficile.
 
Comme être humain, c’est exigeant, et comme acteur, puisqu’on devient un miroir de l’être humain, c’est doublement exigeant. On retrouve dans toutes les pièces de Marivaux cette difficulté entre le cœur et la raison, entre la sexualité et la déclaration, entre le geste et le mot. Ces opposés sont les bases de la vie, et Marivaux les met dans le même bateau. Parfois, c’est comme s’il nous traduisait deux années de vie en une seule journée. Ce qui est comédie peut devenir tragique et, de la même façon, ce qui est dramatique, on peut finir par en rire, à force de s’y reconnaître.